L'association Machaâl Echahid a eu encore une fois le mérite de dépoussiérer le volet sombre de la Révolution algérienne, celui de ces hommes oubliés sciemment ou “inconsciemment" bien que leur contribution active au plus haut point ne souffre d'aucune équivoque. Organisée au forum de la mémoire du quotidien El Moudjahid, la rencontre d'hier, consacrée à la participation des avocats à la guerre de Libération nationale, a été dédiée à Ali Boumendjel, assassiné, il y a 56 ans, par l'armée française et dont le 23 mars est décrété depuis 2004 Journée nationale de l'avocat. L'historien Amer Rekhila est revenu sur cette date en rendant un vibrant hommage aux avocats algériens confrontés aux pires intimidations de l'administration coloniale dans l'exercice de leur profession dès lors qu'il s'agissait de défendre des “indigènes", encore plus lorsqu'ils étaient responsables et militants de la cause nationale. “Les textes de loi n'étaient pas faits pour plaider en faveur des Algériens", dira l'historien, ajoutant que cette même administration “édictait aux avocats de faire des plaidoiries politiques impliquant de facto des mesures arbitraires", ce que confirmera l'un des plus anciens avocats et bâtonnier, Mahmoud Zertal, quand il devait défendre le chahid Ahmed Zabana, guillotiné en juin 1956. “L'accès à la profession d'avocat n'était pas facile pour les Algériens", fait observer le conférencier, précisant que le nombre d'étudiants à la faculté de droit dans les années 1930 ne dépassait pas une quarantaine. C'est en France qu'une cellule d'avocats devant défendre les responsables et militants du FLN a été créée en 1957 sous la houlette de Omar Boudaoud et Ali Haroun. Mais il faut attendre 1959 pour voir l'algérianisation de la défense par le GPRA et dont l'audience internationale eut un grand retentissement. Mais non sans de douloureux sacrifices. Beaucoup d'avocats ont été assassinés, emprisonnés et torturés. Le cas de Ali Boumendjel qui, faut-il le rappeler, fut le conseiller de Abane Ramdane. Ce fils d'instituteur kabyle, qui parvint à devenir avocat à la cour d'Alger, était un homme de bon sens, un défenseur de l'idée que la nation algérienne ne se réduisait pas à la définition d'une identité arabo-musulmane. C'était un avocat engagé et membre du collectif de défense des militants du FLN. Il était écœuré par les politiques coloniales à l'encontre de ses concitoyens et ne pouvait accepter la discrimination et surtout la torture pratiquée sur eux. Cependant, et cela reste une énigme que l'itinéraire de ce nationaliste républicain ne soit pas évoqué à sa juste valeur. Il a été torturé avant d'être assassiné alors qu'il luttait avec le droit et non avec les armes. Au moment de son arrestation à Belcourt, juste après la grève des huit jours (janvier/février 1957), Ali Boumendjel, qui faisait le lien entre la direction de l'UDMA et la direction algéroise du FLN, n'a pas eu droit à un procès. il est directement remis entre les mains des paras du général Massu. Sauvagement torturé pendant quarante-trois jours sur ordre d'Aussaresses, il est jeté le 23 mars 1957 du 5e étage d'un immeuble situé dans le quartier d'El-Biar, là où justement étaient détenus Henri Alleg et Maurice Audin. Sa mort est révélatrice à plus d'un titre des méthodes utilisées par l'armée française qui parlera d'un suicide. Comme de Ben M'hidi ! Aussaresses le reconnaîtra plus tard dans son livre : Ali Boumendjel a été assassiné après des semaines de torture. Malika Boumendjel, la veuve de Ali Boumendjel, avait déjà dit à ce sujet : “Mon mari ne s'est pas suicidé, il a été torturé puis assassiné. Je ne connais pas les circonstances de sa mort, je n'ai même pas eu le droit de voir son corps. Surtout qu'on ne nous parle pas de suicide c'est primordial pour sa famille. Nous estimons avoir le droit à la vérité. C'est indispensable pour l'Histoire encore plus que pour nous." C'est, en effet, curieux que ce chahid ne figure que brièvement dans l'histoire officielle algérienne et ignoré par des historiens. A F