Les mises en garde du département d'Etat américain, dénonçant la “tendance préoccupante à ce que la liberté d'expression soit de plus en plus contrainte en Egypte", ne semblent pas être prises en compte par le gouvernement Morsi, qui n'arrête pas les poursuites contre l'humoriste Bassem Youssef. Après l'avoir placé en liberté sous caution dimanche suite à la première série de plaintes, Bassem Youssef, déjà accusé d'avoir insulté le président Mohamed Morsi et l'islam, doit maintenant faire face à une plainte pour “menaces à l'ordre public". En effet, des sources judiciaires égyptiennes ont indiqué hier que le procureur général a ouvert lundi une enquête concernant ces nouvelles accusations. “Une nouvelle plainte contre moi a été déposée au parquet général, pour avoir propagé des rumeurs et de fausses informations, et troublé l'ordre public", a indiqué Bassem Youssef sur son compte Twitter. “J'ai l'impression qu'on veut nous épuiser physiquement, émotionnellement et financièrement", a ajouté cet humoriste extrêmement populaire, dont les problèmes judiciaires alimentent les critiques contre le pouvoir, accusé de chercher à museler la liberté d'expression et à intimider ses adversaires. D'après des sources judiciaires, un avocat a déposé plainte contre Bassem Youssef ainsi que contre la direction de la chaîne CBC Télévision, qui diffuse chaque semaine son show satirique, “al-Bernameg", inspiré de la célèbre émission comique américaine “The Daily Show" de Jon Stewart. Cette plainte accuse Bassem Youssef, un cardiologue devenu comédien, de multiplier les attaques contre les islamistes et indirectement d'appeler à la “guerre civile". L'humoriste, qui tourne en dérision régulièrement les islamistes à la tête du pays, avait été libéré dimanche en échange d'une caution de 15 000 livres égyptiennes (1700 euros) après un interrogatoire de près de cinq heures. Il avait été questionné sur la base d'accusations d'offense à l'islam pour s'être “moqué du rituel de la prière", et d'insulte au président égyptien, issu des Frères musulmans, pour avoir “raillé son image à l'étranger". Il y a lieu de s'inquiéter, d'autant plus que ces poursuites judiciaires ne se limitent pas à l'humoriste Bassem Youssef, mais touchent d'autres personnalités des médias, à l'instar de deux journalistes qui font également l'objet d'une enquête dans le cadre de cette affaire. Il s'agit de Chaïma Abou el-Kir, consultante pour le Moyen-Orient du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) basé à New York, sous le coup d'une enquête pour une interview dans laquelle elle prenait la défense de Bassem Youssef, et de Jaber al-Qarmuti, présentateur de l'émission où Chaïma Abou el-Kir s'est exprimée, sur la chaîne privée égyptienne ONTV. L'augmentation du nombre de procédures de ce genre engagées contre des membres des médias a remis en question les engagements de Mohamed Morsi sur le respect de la liberté d'expression, une revendication clé du soulèvement populaire qui avait provoqué la chute de l'ancien président Hosni Moubarak en 2011. Devant cette situation, le département d'Etat américain a dénoncé lundi la “tendance préoccupante à ce que la liberté d'expression soit de plus en plus contrainte en Egypte", et exprimé son “inquiétude" face aux poursuites contre Bassem Youssef. Le pouvoir de son côté invoque le fait que les plaintes sont déposées par des avocats ou des personnes privées, pas par le gouvernement. Dans le système judiciaire égyptien, les plaintes sont présentées au procureur général, qui décide si les preuves sont suffisantes pour mener l'affaire jusqu'au procès. Les suspects peuvent être détenus pendant cette étape de l'enquête. D'après des avocats spécialistes de la défense des droits fondamentaux, il y aurait eu quatre fois plus de poursuites pour insultes au président sous Mohamed Morsi, en fonction depuis dix mois, que pendant les 30 ans de pouvoir de Hosni Moubarak. M T