L'inculpation d'un célèbre humoriste accusé d'avoir raillé le président islamiste, illustre le durcissement du régime. Il l'a échappé belle. Mais pour combien de temps ? Après un interrogatoire de cinq heures, dimanche, au parquet égyptien, le célèbre humoriste Bassem Youssef a été libéré contre une caution d'environ 1 700 euros, en attendant les résultats de l'enquête. Son «crime» ? Avoir insulté l'islam et le président Morsi. La plainte, déposée auprès du procureur général par 12 citoyens, lui reproche de s'être moqué du «rituel de la prière» et d'avoir «raillé l'image du président à l'étranger» : des accusations qui font craindre aux opposants et journalistes d'être plus systématiquement épinglés par la justice, dans un pays dominé par les islamistes et où la libre expression héritée de la révolution de janvier 2011 se trouve aujourd'hui menacée. Avec son émission satirique, «Bernameg» («Le Programme»), inspiré du «Daily Show» de l'Américain Jon Stewart, Bassem Youssef incarne cette nouvelle génération d'Egyptiens, libérés des chaînes de la censure imposées sous Moubarak, et assoiffés de parole. Rien, pourtant, ne prédestinait cet ancien chirurgien de 38 ans à devenir une «star» de la contestation. Quand, il y a deux ans, la révolte explose contre l'ex-raïs du Caire, il rejoint sans hésiter la place Tahrir pour prêter main-forte aux médecins bénévoles venus soigner les manifestants blessés. Dégoûté par la propagande servie par les médias gouvernementaux, il s'inspire alors des images glanées sur YouTube pour bricoler, depuis son domicile, des petites vidéos humoristiques de huit minutes. Au bout de sept épisodes, son programme engrange plus de cinq millions de «vues». Un succès inattendu. D'abord recruté par OTV, il officie désormais sur la chaîne CBC. D'un humour mordant, cet ex-cardiologue de 38 ans n'épargne personne : ni le patron de CBC, ni les felouls (les «résidus» de l'ancien régime), ni les révolutionnaires. Inspiré par l'actualité politique, il tourne également en dérision le président, issu des Frères musulmans, et chatouille allègrement la barbe des islamistes au pouvoir. Mais ses critiques acerbes et sa popularité croissante auprès d'une jeunesse révolutionnaire désenchantée ne sont pas du goût des nouveaux dirigeants. Samedi 30 mars, le procureur général a fini par trancher, en lançant un mandat d'arrêt contre lui. Téméraire, Bassem Youssef a préféré se rendre dès le lendemain au tribunal, avant que son domicile ne soit perquisitionné. Fidèle à cet humour qui lui colle à la peau, il s'y est présenté coiffé d'un chapeau démesuré, imitation directe de la casquette de doctorant «honoris causa» offert à Morsi lors d'un récent séjour au Pakistan. Libéré sous caution au bout de cinq heures d'interrogatoire, l'humoriste attend désormais les résultats de l'enquête. Pour les défenseurs des droits de l'homme, son interpellation est le signe d'un durcissement à l'encontre des médias accusés d'insulte au président Morsi. Selon l'avocat Gamal Eid, il y aurait eu quatre fois plus de plaintes déposées sous ce motif lors des 200 premiers jours de Mohammed Morsi au pouvoir que pendant les trente ans de règne de Moubarak. La semaine dernière, un mandat d'arrêt a également été délivré contre le blogueur Alaa Abd el Fattah pour «encouragement à la violence», tandis que des procureurs ont prévenu qu'ils envisageaient d'enquêter sur trois présentateurs d'émissions politiques pour incitation au chaos. Pendant ce temps, la brutalité de la police, soupçonnée de collaboration avec les Frères musulmans, se poursuit. A Alexandrie, la cité méditerranéenne, neuf activistes, dont l'illustre révolutionnaire Mahienour el-Masry, et quatre avocats viennent à nouveau d'en faire les frais. Arrêtés vendredi à la suite d'accrochages entre manifestants et forces de l'ordre, ils ont été violemment malmenés, puis incarcérés au commissariat d'el-Raml. Selon son propre témoignage, relayé par les médias électroniques, Ranwa Youssef, une des activistes, a vu ses vêtements arrachés par les policiers avant de s'évanouir et d'être, elle aussi, transportée au poste de police. Finalement libérés dans la matinée de dimanche, les activistes n'ont toujours pas récupéré leurs téléphones portables, saisis lors de leur arrestation. «Pendant sa campagne électorale, Morsi nous avait promis la liberté d'expression. Il nous a trahis. Morsi, Moubarak : tous les mêmes !», s'insurge Amr Dabes, un activiste d'Alexandrie.