Les personnes qui nous ont quittés habitent nos souvenirs. Dans les innombrables souvenirs de Batna, il y a Chérif Merzouki. Un homme qui a (re)donné au mot artiste toute sa dimension, tant par son œuvre que par son engagement dans la formation. Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais elle annonce tout de même sa venue, et c'est parfois suffisant. C'est au mois d'avril 1991, mois de printemps synonyme de bourgeonnement et de naissance, que nous quittait à jamais l'artiste peintre, Chérif Merzouki, des suites d'une longue et douloureuse maladie. Cet ancien élève de l'Ecole des beaux-arts d'Alger est certainement né avec un pinceau et une palette (pour le mélange des couleurs) à la main. Ses parents sont originaires d'Amentane, un tout petit village chaoui des Aurès, à un jet de pierre du village de Menaâ. Chérif Merzouki, peintre, photographe, musicien, décorateur — il est tout cela ! — est né le 8 février 1951, loin des Aurès qu'il avait dans la peau, au sud du pays. Sa première source d'inspiration était la bande dessinée, disponible à l'époque chez les bouquinistes et libraires. Zembla, Blek le roc, Kiwi, Kebir et bien d'autres, tous ces héros invisibles étaient repris par l'artiste en dessin, avec fidélité et finesse. Maniant le crayon avec grande assurance, les visages, les mains, les doigts, les yeux hantise de tout débutant et néophyte ne posait aucun problème au petit Chérif, qui s'est ensuite lancée dans la reproduction, pour passer, plus tard, à des productions personnelles, modestes au départ, mais s'affinant au fil du temps, pour devenir des œuvres abouties et d'une grande valeur artistique. Du lycée Ben Boulaïd où il était lycéen et faisait le bonheur de ses amis avec ses croquis et portraits, à l'Ecole des beaux-arts. Après de brillantes études dans le domaine du décor, retour au bercail, Batna. Il travailla à la maison de la culture, fraîchement inaugurée, comme animateur et initiateur d'un atelier de peinture. L'adepte de Rembrandt, Etienne Dinet, Goya, vivra, à cette période, ses plus belles années en matière de création, mais aussi d'initiation et de partage. Son atelier était devenu un carrefour pour les artistes peintres, mais aussi pour les chanteurs, musiciens, romanciers. Tous trouvèrent, grâce à Chérif Merzouki, une atmosphère stimulante, et une ambiance propice à la création, à l'exemple de l'autre grand artiste défunt Boughrara Abelali dit «Bougue», Lakhal, le musicien chanteur Nouari Nezzar, le sculpteur Mennoubi Chérif et bien d'autres. Entre expressionisme et réalisme, Chérif Merzouki faisait des merveilles, en reprenant la vie quotidienne dans les Aurès dans ses œuvres, où la femme avait une place de marque. Un village souvent le sien au clair de la lune, une fête où le bendir et le baroud s'alternent, un berger au crépuscule avec son petit troupeau de chèvres... Ce sont-là des descriptions de quelques-unes de ses plus brillantes réalisations. Lorsqu'on demandait à l'artiste d'où venait cette fidélité, cette texture, voire l'odeur envoûtante du couscous qui se dégage du tableau intitulé “Fête chaoui", il répondait avec le sourire : “C'est mon pays, je crois que c'est mon amour pour cette terre qui me guide." L'artiste a su montrer le chemin à la génération qui lui a succédé, lui qui s'est battu avec passion pour l'ouverture d'une Ecole des beaux-arts à Batna, mais qui ne la jamais vu ouverte et opérationnelle. “Les meilleurs partent toujours les premiers", nous dit Chawki Bouzid, metteur en scène. Une mort précoce, un printemps éphémère, un talent inégalable. Abdou Tamine, Hamouda Naziha, Aguini, ou encore Boughrara, nous ont, tout comme Chérif, quittés précipitamment. Leur rendre hommage est magnifique, et il est de notre devoir de le faire. Mais comment ? En conservant leurs œuvres dans un musée, par exemple ? Pourquoi pas ! R H Nom Adresse email