Dans cette enceinte, l'importateur est à la merci des supergrossistes. Gagnant son ticket du plus important marché de gros à l'échelle nationale, le fameux quartier de Gué-de-Constantine, connu aussi sous le nom de Semmar, a fini par se tailler une réputation qui dépasse largement nos frontières. C'est ici qu'arrivent et atterrissent d'énormes quantités de denrées alimentaires dont la majorité importée et acheminée directement de l'enceinte portuaire d'Alger. Et c'est de ce vaste point aussi que s'élancent chaque jour plusieurs centaines de tonnes de marchandises à destination de toutes les wilayas du pays. Progressivement, donc Semmar a réussi à effacer le quartier La Montagne qui avait imposé pendant longtemps sa loi sur ce segment d'activité. Aujourd'hui donc, l'unique pôle de distribution des produits agroalimentaires s'est érigé dans ce pauvre et triste quartier. 60 % du marché national Condamné au statut de “chantier sans issue”, on serait même tenté de dire que l'anarchie urbanistique et le triste état des lieux et des routes auraient plutôt incité au choix de ce quartier. Quand on fait un tour à Semmar, mieux vaut se débarrasser de sa cravate et surtout il convient de s'interdire le port du cartable. Celui-ci étant un élément de haute frayeur en ces lieux où tout le monde est sur le qui-vivre, à l'affût du moindre indice de contrôle. Combien de milliards de dinars de chiffres d'affaires circulent quotidiennement dans ces labyrinthes et combien sont-ils exactement ces grossistes qui animent le marché et qui surtout approvisionnent, selon les grossistes, à hauteur de 60 % le marché national ? Ni recensement et encore moins d'évaluation fiscale ou autres, Semmar échappe aux statistiques officielles et reste une zone off-shore qui ne dit pas son nom. D'ailleurs, ici, rares sont ceux qui affichent leur nom dans les affaires. “On n'a pas besoin d'afficher son nom ou détenir un registre du commerce”, nous dit un de ces grossistes puisqu'“ici, on n'utilise pratiquement pas de chèque, on aime le cash, liquide”, ajoute-t-il. Ni factures, ni chèques, à Semmar, on adore les sacs noirs “echekara”, synonyme de containers à billets. Le grossiste-distributeur, en maître des lieux, ne croit ni au fisc ni à la banque. Le registre du commerce est loué Le moindre petit local dans cet amas amalgamé coûte à la location pas moins de 50 000 DA par mois. En fait, tout est loué : le nom commercial, le local, le registre, etc. Et dans chaque local, voire sur chaque affaire, 4 ou 5 associés se partagent l'effort de travail et le minimum de frais. Il s'agit ensuite pour nos commerçants, après avoir bien sélectionné le local, d'attendre que le bon importateur se pointe et leur propose d'écouler sa marchandise. Cela va des différentes catégories de lait en poudre, café vert, légumes secs, thé, épices, etc., produits quasiment importés et provenant de l'ensemble des continents. Mais à coup sûr et sans appel, dans cette filière agroalimentaire, le flux d'affaires algéro-françaises, permet de lier, via le port d'Alger, la grande métropole de Marseille à la petite bourgade Semmar. Les prix sont fixés à Semmar En effet, Semmar est une zone-relais pour une bonne dizaine de traders installés à Marseille. Ces derniers connaissent parfaitement toutes les tendances de notre marché. Toute marchandise prétendant à la circulation doit impérativement passer par cette “Bourse”. Le lieu de rencontre des importateurs, des grossistes, détaillants est l'endroit indiqué pour la fixation des prix. Une référence pour les commerçants et surtout les importateurs qui s'en servent comme indices avant d'entreprendre toute transaction. Au gré de l'offre et de la demande, les cours se fixent parfois en faveur des distributeurs grossistes et aux dépens des importateurs. Un marché libre. Souvent, trop libre, puisque aucune régulation n'existe, laissant la voie ouverte aux jeux de la spéculation. Paradoxalement, ici l'importateur ne fait point la loi et se retrouve souvent à la merci des seigneurs du marché. Ceux qui font les prix et le marché, deux mois déjà avant le ramadhan, l'effervescence à Semmar tournait autour des pois chiches, amandes, épices et thé dont les prix ont commencé à flamber à l'approche de ce mois. De 180 à 210 DA le kg de thé, de 540 à 590 DA le kg d'amandes, etc. Par contre “maintenant on est tous en quête de la belle affaire pour l'après-ramadhan que l'on prépare déjà”. Les légumes secs sont très demandés Notre interlocuteur supergrossiste de son état, nous indiquera que les “lentilles canadiennes sont très demandées en ce moment” et qu'il serait prêt à en “acheter immédiatement 1 000 tonnes”. Car, après le mois sacré, les lentilles et les haricots deviennent tout aussi sacrés sur le marché de gros. A l'approche de l'Aïd, de formidables quantités de confiserie “Halwa turc” font leur apparition en force et s'échangent au prix fort à ce niveau. “ À chaque période, son produit, et chaque grossiste, sa spécialité ou son champ d'intervention”, nous fait-on savoir. La concurrence fait rage entre ceux qui travaillent légalement et les autres “casseurs de prix qui acceptent 1 DA de bénéfice et parfois même vendent leurs produits au prix de revient, juste pour toucher les liquidités et s'attaquer à une autre affaire. On brade une marchandise pour renchérir une autre de circonstance”. Et d'ajouter :“Ces gens-là n'ont aucun frais et aucune charge. Pas même un compte bancaire. Ils sont là dans leur local à attendre sans rien perdre.” En effet, en occupant un espace stratégique en ces lieux on est sûr d'attirer l'importateur qui concédera à vous laisser ses containers sans paiement immédiat. L'analyse qui pourrait être faire, on notera que grâce à ce marché, l'Algérie confirme sa grande dépendance alimentaire. On retrouve tous les continents pratiquement en tant que centres de provenance de nos produits. L'assiette algérienne, vue à travers Semmar, se révèle très cosmopolite : légumes secs, originaires du Mexique, des USA, du Canada et même d'Argentine, laits en poudre de la Nouvelle-Zélande et d'Europe, le café, originaire du Brésil et de pays africains, épices et thé de Chine et de pays asiatiques, etc. Toutes ces origines convergent vers Semmar, via Marseille, où, dit-on, de formidables stocks sont spécialement réservés à l'Algérie au niveau de vastes espaces portuaires de cette grande métropole. À Semmar, on peut tout voir, tout trouver sauf, la couleur d'un chèque ou la forme d'un PV de contrôle. Ici, la notion d'OMC ou d'UE peut être aisément confondue avec un nouveau produit qu'”il faut absolument commercialiser”. A. W.