Le courage qui devait prévaloir dans l'examen et la révision du code de la famille manque manifestement aux applicateurs de cette démarche initiée par le gouvernement, l'automne dernier. La commission pluridisciplinaire, mise en place par le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, le 26 octobre 2003, patine. Pour cause, en lieu et place des modifications d'envergure attendues, cette structure, présidée par le premier président de la Cour suprême, Boutarn Mohamed Zeghloul, s'est contentée, en guise de premières recommandations, d'introduire des aménagements accessoires. Pis, elle a conforté la loi en vigueur dans certains de ses aspects discriminatoires en consacrant dans bien des domaines, comme le droit de garde, le travail et le divorce l'assujettissement de la femme. L'ossature de ce texte, concocté en 1984 par l'assemblée FLN, reste donc intacte puisque aucune de ses dispositions les plus controversées n'a fait l'objet de proposition d'abrogation, au mieux d'une velléité de changement. Tutorat, polygamie, répudiation… autant d'articles décriés pendant deux décennies par le mouvement féminin sont toujours élevés au rang de dogmes. “Cette question fait encore l'objet d'un examen”, stipule le rapport préliminaire de la commission Boutarn en faisant référence au thème litigieux du tutorat. Le document dont nous avons obtenu une copie a été adressé au ministre de la Justice le 20 janvier. Il fait l'exposé d'une réunion, tenue 10 jours plus tôt, la première depuis l'installation de l'instance de réflexion. Il aura ainsi fallu un mois et demi aux experts – réunis en ateliers — pour baliser le terrain et se tracer des objectifs, de surcroît très modestes. Que de temps perdu ! Que de désillusions surtout ! Une déception de plus En annonçant il y a deux mois l'inespérée révolution, le garde des Sceaux l'avait inscrite dans l'urgence. La révision de certains articles, notamment le tutorat, devait selon lui intervenir rapidement. Or, voilà le résultat. Annoncée en grande pompe, la révision du code de la famille semble une fois encore compromise. Pour le moment, les changements préconisés sont décevants. Morceaux choisis. Dans la forme, la commission Boutarn distingue deux étapes. L'une doit prendre en charge les questions les plus importantes “qui demandent une attention particulière à l'état actuel et exigent des solutions urgentes de la part du législateur”, dixit le rapport. L'autre phase sera consacrée à la révision des autres articles du code de la famille sur une période plus longue. Quels sont-ils ? Le rapport ne le précise pas. Tout autant, la commission ne fixe pas les délais impartis aux deux étapes. Selon des indiscrétions, la copie revue et corrigée du code de la famille pourrait être présentée pour approbation à l'APN durant la prochaine session de printemps. Cependant, compte tenu du rythme de travail actuellement et vu la nature des amendements apportés au texte initial, il est peu probable qu'on assiste à un changement de fond. Dans le fond, justement, la commission a énuméré une série de réaménagements “urgents”. Elle cite pêle-mêle — sans annoncer l'ordre de priorité — les chapitres liés au mariage, la pension, le travail de la femme, la rupture de l'union conjugale, la paternité, la gestion des biens matrimoniaux, le tutorat. Pour le mariage, les experts se sont mis d'accord sur un point. Ils préconisent la soumission des fiancés à des examens médicaux pour la prévention des maladies congénitales chez l'enfant. Très innovante, cette recommandation est certes importante. Toutefois, son éventuelle introduction dans le texte de loi est insuffisante. Pour preuve, d'autres questions comme la procréation in vitro doivent normalement requérir cette vigilance. Mais force est de constater que les membres de la commission Boutarn n'ont pas réussi à braver les interdits et pousser la réflexion dans le sens d'une plus grande conciliation entre la charia et le droit positif. Dans ce cadre précis, le traitement réservé au chapitre lié au tutorat est très éloquent. Contestée pour sa qualité réductrice de la femme et son maintien dans un statut de “mineure à vie”, cette disposition de la loi de 1984 doit, de l'avis de nombreuses associations féminines, tout naturellement être abrogée. Le ministre de la Justice l'avait clairement laissé entendre en octobre dernier. Les experts en ont décidé autrement. Des divergences profondes auraient émaillé les discussions autour de ce point. En revanche, d'autres points qui consolident la loi dans son caractère rétrograde n'ont, en aucun point, suscité des désaccords. Il en est ainsi du travail de l'épouse. Selon la commission, elle est obligée d'obtenir au préalable l'accord de son conjoint. De même, en cas de divorce, l'emploi de la femme ne doit pas influer de manière négative sur l'éducation des enfants dont elle assure la garde. Dans l'éventualité de rupture de l'union conjugale, un seul changement notable mérite d'être relevé. Il s'agit de l'obligation pour l'ex-mari de mettre un logement à la disposition de la mère de ses enfants. Pour autant, les concepteurs du nouveau projet de loi ne lui interdisent pas de garder ou de chasser sa moitié à sa guise. En effet, ancrée aussi bien dans les mœurs que dans les textes, la répudiation ne souffre ici d'aucune remise en cause. D'apparence sourcilleuse, la commission s'est contentée de préconiser des modalités de réparation. S. L.