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Algérie-FMI
Derrière la lune de miel
Publié dans Liberté le 22 - 05 - 2013

La directrice du FMI était à Alger le 12 mars 2013. L'occasion de passer en revue la situation économique et financière de ce grand exportateur gazier, qui a augmenté substantiellement sa quote-part au FMI.
Christine Lagarde a visité l'Algérie, le 12 mars dernier. Ce pays, qui a augmenté substantiellement sa quote-part de 705,2 millions de DTS (équivalent de plus d'un milliard de dollars), le portant à 1,96 milliards de DTS (3 milliards de dollars), selon un décret présidentiel publié au dernier journal officiel courant octobre 2012 (sans compter l'emprunt en 2012 de 5 milliards au fonds monétaire à un taux inférieur à 1%), est devenu un membre majeur du système monétaire international.
L'aisance financière artificielle grâce aux hydrocarbures (600 milliards de dollars de recettes en devises entre 2000 et 2012 selon les bilans de Sonatrach) a permis d'éponger une fraction importante de la dette publique intérieure et extérieure, mais il existe une déconnexion avec la sphère réelle. Or un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente, un taux de croissance élevé à la période T1, en référence à un taux de croissance faible en référence à la période T0 donne globalement un taux de croissance faible.
1 -L'Algérie dépense sans compter
Selon les institutions, le rapport du FMI 2011, le produit intérieur brut l'Algérie est de 158,97 milliards en 2010, 183,4 milliards de dollars en 2011 et de 188,6 milliards de dollars en 2012. Or il y a lieu de souligner la faiblesse de la production et de la productivité du fait que 97/98% des exportations sont le résultat des hydrocarbures à l'état brut et semi-brut, les 2,3% hors hydrocarbures fluctuant depuis plus de 20 ans pour un montant dérisoire entre 900 millions de dollars et 1,5 milliard de dollars. Ces 2/3% sont constitués en majorité de produits semi-finis, issus eux-mêmes des hydrocarbures et déchets ferreux et non ferreux. C'est que plus de 90% du tissu économique sont constitués de PMI/PME organisées sur des structures familiales, ne possédant pas de management stratégique, ne pouvant pas faire face à la concurrence internationale. Les importations couvrent 70/75% des besoins des ménages et des entreprises dont le taux d'intégration ne dépasse pas 10/15%.
On peut démontrer facilement que le taux de croissance officiel, hors hydrocarbures de 5/6%, a été permis pour 80%, via la dépense publique et qu'il ne reste pour les entreprises véritablement autonomes, créatrices de richesses, pouvant évoluer dans un environnement concurrentiel mondial, que moins de 20% du produit intérieur brut. Cela a permis également une dépense publique estimée entre 2004 et 2013 à plus de 500 milliards de dollars (part devises et part dinars), l'Algérie dépensant deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats par rapport aux pays similaires. Le taux de croissance moyen 2004-2013 de 3% aurait dû être de 10 à 15% en termes réels, posant la problématique de la mauvaise gestion et de la corruption.
Devant être attentif pour toute analyse objective à la balance des paiements et non uniquement à la balance commerciale, le montant poste assistance technique étrangère est passé de 2 milliards de dollars en 2002 à 12 milliards de dollars entre 2011/2012. Le montant des réserves de change, richesse artificielle, signe monétaire dû à des facteurs exogènes et non signe du développement, composées des réserves de change à hauteur de 46% en dollars et à 42% en euros, le reste étant constitué d'autres monnaies étrangères à l'image de la livre sterling, le yen japonais et les DTS du FMI, dont 86% environ placées à l'étranger, (y compris l'emprunt de 5 milliards de dollars au FMI à environ un taux de 0,08%), notamment en bons de Trésor américain et européen, est estimé à plus de 200 milliards de dollars au 1 janvier 2013, toujours grâce à la rente des hydrocarbures.
Aussi, le taux de croissance, le taux d'inflation et le taux de chômage officiels sont artificiels et gonflés, pour le premier via la dépense publique, le second par des subventions, et le troisième par la dominance des emplois issus de la rente. La distribution de la rente sans contrepartie productive pour une paix sociale éphémère (la loi de finances 2013 annonce un total de 2 millions de fonctionnaires pour une population de 37 millions d'habitants en 2012 et un PIB seulement de 180 milliards de dollars y compris les hydrocarbures) est une des causes essentielles du retour à l'inflation. Le taux de cette inflation a dépassé en moyenne annuelle 8% en 2012, le double par rapport à 2011.
2 -Le coût de la paix sociale
Qu'en sera-t-il, aussitôt épuisées les ressources d'hydrocarbures ? Cette analyse est corroborée par le rapport officiel de l'ONS 2012, pour qui 50% de la population active algérienne active dans l'informel. Il s'agit surtout du petit commerce et des services qui d'ailleurs, toujours selon cette enquête, représentent 83% du tissu économique algérien, démontrant la tertiarisation de l'économie alimentée par la rente des hydrocarbures. En plus, il faut compter les sureffectifs des administrations et des entreprises publiques. Sans cette dépense publique, fonction du prix du pétrole et moteur principal de la création d'emplois, le taux de chômage serait supérieur à 20%. La persistance des déficits publics à travers l'assainissement répété des entreprises publiques et le manque de rigueur dans la gestion (la loi de finances 2013 prévoit plus de 6 milliards de dollars pour les réévaluations des coûts des projets publics en cours de réalisation) a produit un système d'éviction sur l'investissement productif, notamment du secteur privé.
Les banques algériennes déconnectées des réseaux internationaux n'arrivent pas à concurrencer sérieusement leurs consœurs au niveau du bassin méditerranéen et même africain selon “l'African Business". Ce retard s'explique par la qualité des services et le faible niveau de leurs investissements qui n'ont pas permis de gagner en croissance. Le système financier algérien est dans l'incapacité d'autonomiser la sphère financière de la sphère publique, cette dernière étant totalement articulée à la sphère publique dont l'Etat est actionnaire à 100%, le privé local ou international, malgré le nombre, étant marginal. Après plusieurs années d'ouverture, 90% du financement de l'économie algérienne (un taux qui passe à 100% pour le secteur public et 77% pour le privé) se fait par les banques publiques. Celles-ci se caractérisent par une concentration d'actifs pour plus de 39% sur la seule BEA, communément appelée “la banque de Sonatrach". Seulement 10% du financement de l'économie sont pris en charge par les banques privées, avec une concentration de plus de 52% des actifs sur trois banques.
3-Environnement contraignant des
affaires
Comment est-ce qu'un Algérien, qui vit au SNMG (200 euros par mois, soit 6,6 euros par jour alors que le kilo de viande est de 10 euros), fait face aux dépenses incontournables : alimentation, transport, santé, éducation ? La cellule familiale, les transferts sociaux qui ont atteint plus de 1200 milliards DA en 2011, plus de 1400 milliards de dinars en 2012 (14 milliards d'euros), soit 18% du budget général de l'Etat et plus de 10% du PIB, jouent temporairement comme un tampon social. Le climat des affaires ne s'améliore pas, comme le montre la 10e édition du rapport de la Banque mondiale Doing Business 2013, classant l'Algérie à la 152e position sur 185 pays pour les facilités accordées à l'investissement.
Dans ce classement relatif aux meilleures conditions d'entreprendre dans le monde, l'Algérie est à la 156e position pour le lancement d'une entreprise, 129e pour l'obtention d'un crédit, à la 138e pour l'obtention d'un permis de construire, à la 129e pour les procédures de facilitation d'exportation accordées aux PME, 126e en matière d'application des contrats, 170e pour les procédures de paiement des impôts et à la 82e position pour la protection des investisseurs. Cela explique, en plus du changement perpétuel du cadre juridique, la dominance de la tertiarisation de l'économie – petit commerce/services (83% du tissu économique en 2012, avec un commerçant pour 24 habitants) et la part dérisoire de moins de 5% du secteur industriel dans le produit intérieur brut, traduisant le dépérissement du tissu productif. L'actuelle gouvernance, caractérisée par la bureaucratisation de la société algérienne, avec la faiblesse de la morale et donc d'un Etat de droit qui enfante la sphère informelle spéculative, contrôlant 40% de la masse monétaire en circulation et 65%, y est pour beaucoup dans cette situation.
4 -Suspendue au cours du baril
Il y a donc risque en Algérie (l'action terroriste sur le champ gazier d'In Amenas a montré clairement la dominance rentière de l'économie algérienne après 50 années d'indépendance politique) de tensions sociales croissantes en cas de chute durable du cours du baril en dessous des 80 dollars à prix constants. Cela pose la problématique de l'urgence de la diversification de l'économie algérienne, dans le cadre de l'intégration du Maghreb, pont entre l'Europe et l'Afrique. Pourtant, il existe des possibilités pour augmenter le taux de croissance en Algérie qui recèle d'importantes potentialités.
Pour cela, il faudrait une nouvelle gouvernance stratégique des institutions et des entreprises. En bref, la lecture détaillée du rapport 2013 du FMI montre clairement qu'il existe un divorce entre la bonne santé financière de l'Etat due aux hydrocarbures et la sphère réelle en léthargie, et que les équilibres macro-financiers sont éphémères sans de profondes réformes institutionnelles et microéconomiques. Aussi, la transition d'une économie de rente à une économe hors hydrocarbures en Algérie, dans le cadre de la remondialisation, avec d'importants bouleversements géostratégiques entre 2015/2020, suppose un profond réaménagement des structures du pouvoir se fondant sur l'entreprise créatrice de richesses, les couches productives et le savoir. (Source www.lesafriques.com)
A. M.
Professeur des universités (Algérie), expert international
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