“Riyah taftar !”, “Aga'd taftar !”, crie une nuée d'étudiants au passage de leur ministre, M. Rachid Harraoubia, l'invitant “vicieusement” à goûter à leur menu à l'occasion d'une visite-surprise qu'il a effectuée, hier, en début d'après-midi dans une cité universitaire à Bab-Ezzouar. Lors de sa conférence de presse de lundi dernier, le ministre de l'Enseignement supérieur s'était engagé, souligne-t-on, à convier les journalistes à une sortie inopinée sur le terrain, en gage de transparence, pour s'enquérir avec eux de l'état des infrastructures dont il a la charge. Et le choix ne pouvait être porté que sur les cités U, d'autant plus qu'en ces jours de f'tours douteux, la qualité des repas servis durant ce mois particulier est au centre de moult griefs. C'était ainsi qu'hier matin, de la façon la plus impromptue, les organes de la presse nationale se virent invités à suivre le ministre à une “ziara tafaqoudia” (visite d'inspection) au pied levé, dont même ses proches collaborateurs ignoraient l'itinéraire. Finalement, notre destination sera la ville universitaire de Bab-Ezzouar. Première halte : la résidence de jeunes filles d'El-Alia. Le ministre, talonné d'une pléthore de conseillers et de reporters, se dirige tout droit vers les fourneaux. La cuisine baignait dans une mare d'eau. Les cuistots semblaient, à l'évidence, surpris par ce débarquement digne d'une inspection onusienne. Ils sont quelque peu intimidés par les projos, les flashs et les caméras. Le cuisinier en chef est prié de soulever le couvercle des grosses marmites qui mijotaient de chorba. Un bac de frites gît sur une paillasse. Le ministre demande le menu. Elham lahlou et ch'titha djedj. Dans l'ensemble, le “chef” s'en tire avec une note passable. Contrairement à d'autres résidences universitaires, à l'instar de la cité Taleb-Abderrahmane de Ben-Aknoun, ici, pas de queue ni tintamarre. Les filles ne font la queue qu'à partir de 15 h. Elles viennent juste pour prendre ce dont elles ont besoin, sinon elles préfèrent faire la popote dans leurs chambres. Une étudiante se plaint toutefois : “Ce n'est pas du tadjine zitoun qu'on nous sert, c'est du tadjine z'roudia.” Direction le Cube 3. Bab-Ezzouar, toutes infrastructures confondues, semble être une ode vivante au “cubisme”, tant tout y est carré, froid et austère. À la différence du calme enveloppant son homologue “filles”, la cité de garçons baigne déjà dans le brouhaha des queues de f'tour, alors qu'il n'était que 14 h de l'après-midi. Le ministre est accueilli par des clameurs de réclamations et de récriminations dès son entrée dans ce ghetto lugubre et glauque. Munis de leurs ustensiles, les étudiants attendent comme des prisonniers que le réfectoire entame le service. “Ici, tu es obligé de pointer tôt pour avoir ta part, sinon klak boubi”, fait remarquer un étudiant des sciences politiques, originaire de Boussaâda. Il nous explique comment les étudiants se débrouillent pour concilier à la fois cours et gamelle. “Je n'assiste qu'à une partie des cours, généralement ceux de la matinée. À 13 h, je me casse. Hélas, mes copains de chambre sont rentrés chez eux. Autrement, on fait la queue à tour de rôle. Celui qui peut se libérer tôt de la fac vient chercher la bouffe dans le réfectoire et on mange tous ensemble dans notre chambre”, dit-il. À noter que pas moins de 3 000 repas sont servis ici quotidiennement. Là encore, Rachid Harraoubia met le nez dans les fourneaux. Cette fois, il sera sacrément déçu. “Win rah elham, win ?”, demande-t-il au cuisinier, qui cherche avec sa louche quelques “îlots” de viande dans un magma de “marqa”. Il paraît que dans certains restos U, on n'hésite pas à détourner viande, raisins secs et autres denrées alimentaires de l'ordinaire des étudiants. Le ministre n'a pas voulu épiloguer là-dessus, exhortant seulement le directeur de la cité à ce qu'il y ait plus de viande dans la chorba ainsi qu'un second plat. Harraoubia s'est ensuite “engouffré” dans un “ciment” d'étudiants et a écouté leurs doléances, avant de remonter dans sa voiture, déclinant volontiers leur “invitation piégée”. M. B.