À l'heure où l'Algérie importe de tout, Lotfi Double Kanon aura réussi, lui au moins, à exporter le fameux accent annabi. Merci S'haybi ! Après le passage du groupe Imadiwan (les amis) venu de Djanet (wilaya d'Illizi), les jeunes de l'esplanade de l'Oref (Office Riadh El-Feth) ont commencé à vite s'impatienter jeudi soir en réclamant bruyamment l'idole du jour, à savoir Lotfi Double Kanon. Et c'est sous le slogan, du reste subversif, de "Chaâb yourid Double Kanon !", que le pionnier du rap algérien a finalement fait son apparition, au grand bonheur de ses fans venus pour certains de Médéa, de Boumerdès, voire de plus loin. Actualité oblige, Lotfi s'en ira puiser dans son répertoire au vitriol pour dénoncer "les escrocs" en ouvrant notamment les hostilités avec Darou rayhoum, un funk-raï issu de son dernier album Katastrophe. En reproduisant avec brio un rythme âlaoui, la section rythmique, emmenée par l'excellent batteur Yazid et le percussionniste de talent Mostefa, a vite fait de mettre le feu aux poudres. Cette chanson au rythme groovy évoque, ainsi, l'Algérie d'aujourd'hui, l'Algérie à deux vitesses celle des "sachiat" (pots-de-vin) pour les uns et celle des "cachiat" (psychotropes) pour les autres. Chitta ou t'manchir ? (brosse ou sciage ?) a demandé alors Lotfi à "Ouled Salembier" qui s'empresseront de lui répondre "Houkouma", du nom d'un titre très attendu, semble-t-il, par les jeunes, puisqu'ils reprendront ensuite en chœur ses paroles. Cette chanson revisite hélas une thématique qui est loin d'être épuisée, en l'occurrence la "harga" ou l'émigration clandestine qui continue d'inspirer nos artistes. Et quand, c'est Lotfi Double Kanon qui se jette à l'eau, cela donne des remous à n'en plus finir... "Koulha bandiya, koulha sarraqa, koulha goumiya, koulha sakkata"... Originaire de Annaba, une plaque tournante de la harga s'il en est, Lotfi sait de quoi il parle quand il évoque ces folles traversées que n'hésitent pas à entreprendre ces jeunes au péril de leur vie. Il faut savoir, en effet, que depuis 2006 la région de Annaba est devenue un point d'embarquement important pour des milliers d'émigrants clandestins algériens et d'Afrique subsaharienne. Lotfi sait parfaitement que ce véritable drame en mer ne jette pas moins le trouble sur la position ambiguë que campent les pouvoirs publics, souvent soupçonnés de bien s'accommoder de ce phénomène. Désemparés, les parents restés à terre estiment que derrière le "laxisme" affiché par les autorités se cachent des réseaux de passeurs dont aucun n'a été à ce jour, rappelle-t-on, démantelé. "Mala vas-y goul, goul el-houkouma pourquoi les jeunes fi hadi el-bled habine Roma".... "Mala vas-y rouh, rouh..." répond en écho le public. "Ciao belo !" dirait l'autre... Il y a lieu de signaler que sur ce morceau, le guitariste chanteur Mounir Cheriak, qui vient de sortir un excellent album solo Chouf, s'en est donné à cœur joie avec ses riffs et sa voix mélodieuse. Et pour rendre hommage au vieil Alger et à son inimitable chaâbi, Lotfi demandera alors au claviériste Zine, l'arrangeur en chef, de lancer la bande d'une version remixée d'El-H'mam de cheikh el-hadj M'hamed El-Anka. S'ensuivra également Afous, une adaptation de la célèbre chanson kabyle de Mohamed Allaoua. Enfin, la touche personnelle de Lotfi résidera essentiellement dans cet accent annabi si typique qu'emprunte aujourd'hui la plupart des rappeurs maghrébins et mêmes beurs. M-C .L Nom Adresse email