Ils sont nombreux, les victimes de l'oubli. Permettez-moi de réveiller quelques-uns, quelques-unes. Les oublié-vivants de la littérature algérienne appartiennent aux trois langues : arabe, tamazight et français. Et quand les espaces culturels, universitaires et scolaires oublient ces écrivains, cela dit que la nation est en mauvaise santé ! La littérature, la bonne littérature, est cette belle chose de laquelle on se souvient lorsqu'on a tout oublié. Et les bons littérateurs sont ceux dont les noms resteront gravés dans la mémoire collective quand les autres noms se gomment l'un après l'autre. Après cinquante ans d'indépendance, je médite sur le paysage littéraire, depuis Jean Sénac jusqu'à Kamel Daoud et je ressens le champ comme frappé par la maladie de l'oubli. Il existe l'oubli par l'oubli. Et il existe l'oubli par préméditation ! Il y a d'abord ces écrivains, les oubliés-vivants, ceux avec qui, chair et âme, nous partageons encore la pomme de la vie, mais personne ne parle d'eux. Bien qu'ils fussent, par un passé pas très lointain, les faiseurs du beau temps littéraire. Y a-t-il quelqu'un, parmi nous, à l'université, à l'école, dans une institution culturelle qui se souvient d'un poète appelé Messaour Boulanouar ? Jadis, le fils de Sour El-Ghozlane fascinait son lecteur aux côtés de Kateb Yacine, Jean Sénac et Malek Haddad et d'autres. Messaour Boulanouar, auteur de La Meilleure Force (son premier recueil paru en 1963), est sans force ! Le poète hiverne dans le silence. Et c'est triste ! Le poète Djamel Amrani, décédé le 2 mars 2005, dans l'oubli et le vide, son corps a été découvert quarante-huit heures après sa mort ! Et c'est triste ! Qui parmi nous se souvient d'un autre poète brillant et unique, il s'appelle Hamid Tibouchi ? Jean Sénac l'a placé, dès les années soixante-dix, comme la voix majeure de la nouvelle poésie algérienne aux côtés de Rachid Boudjedra, Hamid Skif, Hamid Nacer-Khodja, Youcef Sebti... L'auteur de Il Manque l'Amour (paru en 1977) est complètement négligé dans son pays. Rares sont les lecteurs algériens d'aujourd'hui qui connaissent le talent de ce poète et peintre d'une sensibilité palpitante et d'un humanisme unique. Même s'il reste présent à l'étranger, personne ne parle de Hamid Tibouchi dans son pays. Azradj Omar, poète de langue arabe, dans les années soixante-dix, fut la voix littéraire la plus courageuse. Après un long séjour en Angleterre, il décida de retourner dans son pays afin de poursuivre son activité culturelle, mais... Azradj Omar, auteur du Retour à Tizi Rached (recueil paru 1985), s'est retiré dans son village en Kabylie. Plongé dans l'amertume du silence, il consume ses jours dans l'indifférence. Il était une fois une poétesse appelée Mabrouka Bousaha. À travers sa voix sur les ondes de la Chaîne I de la radio nationale, elle faisait rêver toute une génération. L'auteure de Bourgeons (recueil paru en 1969) s'est retirée de toute activité, elle vit dans l'absence complète. Et c'est triste ! Ils sont nombreux les oubliés-vivants de la littérature algérienne. Et permettez-moi de réveiller quelques-uns, quelques-unes : Nabil Farès, Mohamed Sehaba, Ghania Hammadou, Latifa Ben Mansour, Aïcha Lemsine, Djdel Benddine, Mohamed Haidar, Houaria Kadra-Hadjadji, Allaoua Boudjadi, Amar Mezdad, Abderrahim Merzouk, Zouheir Allaf, Hassen Bouabdallah et d'autres. Et ils sont nombreux ! Le jour où la littérature algérienne arrivera à constituer une mémoire collective, sans frontière aucune entre ses trois langues : arabe, tamazight et français, ce jour-là sera annonciateur du commencement du vrai combat contre l'oubli de nos écrivains. A. Z. [email protected] Nom Adresse email