Le titre de cette chronique va sûrement changer d'ici peu pour devenir « chronique d'une voix étouffée » ou d'une révolution avortée. Ce qui se passe actuellement en Tunisie, n'annonce rien de bon pour les libertés fondamentales et la liberté d'expression, inéluctable pourtant, lorsqu'un peuple aspire à la démocratie. Ceci n'est pas un coup de gueule mais un billet écrit avec beaucoup d'amertume pour dénoncer un abus que je ne saurai qualifier... Chateaubriand était un parfait homme de gauche : démocrate mais non démagogue. Il fallait que la révolution de 89 eût été bien hideuse pour qu'il devînt l'un des piliers de la restauration. Vous l'aurez compris, ceux qu'on appelle « opportunistes » profitent tant bien que mal des « révolutions ». Mais comment voler une révolution ? On commence par faire taire, dissimuler et faire croire au monde parfait. Il y a deux hypothèses à cela, soit le peuple est dupe, il croit, se tait et se noie. Soit le peuple est instruis, conscient et intelligente et je continue à croire que le peuple Tunisien fait partie de la seconde catégorie. La révolution est passée de l'attaque à la résistance, une résistance quoi va sans doute durer mais que nous l'espérons, va apporter ses fruits. Je vous écris pour partager avant tout, mon étonnement Il y a deux jours, en exerçant mon travail de journaliste, je décidé de me pencher sur une affaire importante qui touche directement à la liberté de la femme, jusque-là intouchable en Tunisie. Le fait est qu'une bloggeuse et journaliste tunisienne « Jolanare » s'est insurgée sur sa page Facebook pour dénoncer un abus qu'elle a subi à l'aéroport de TunisCarthage, elle assure qu'on l'a empêchée de quitter le territoire national pour se rendre au Maroc sauf avec autorisation paternelle ou maritale pour Jolanare est majeure et mariée. Une première en Tunisie ? Non pas vraiment hélas.. La police des frontières semble récidiver puisque en avril dernier, Sana Ghenima a été le souffre-douleur des douaniers puisque cette dernière, âgée de plus de 35 ans, célèbre femme d'affaires tunisienne et présidente de l'association Femmes et Leadership a été interdite de voyager alors qu'elle se rendait en Lybie, on lui a demandé une autorisation de voyage signée par son époux. Sana était stupéfaite et indignée, elle a aussitôt présenté une requête à la direction générale des frontières pour dénoncer cet abus. La réponse a été rapide, le ministère de l'intérieur s'est excusé et l'agent de douane à l'origine de « l'incident » a écopé d'une sanction administrative. Et rebelote Le même scenario – ou presque – se reproduit cette fois avec un père et ses deux filles majeures, empêchées de se rendre en France pour des raisons inconnues. J'ai décidé de prendre les choses en main et suivre de près cette affaire, une investigation a été faite. Qui a fait quoi ? Lundi matin après avoir passé la matinée à tourner en rond à l'aéroport entre un responsable à l'autre, le commissariat de la police des frontières, qui se disait non concerné, m'a orientée vers la douane, soit au premier étage de l'aéroport de Tunis-Carthage, et ce à l'intérieur. Mais pour cela il nous m'a fallu un laisser passer que nul n'a voulu me donner. Insistante, je n'ai pas plié bagages; je suis restée aux portes des départs à guetter les douaniers qui passaient. Et puis, l'un d'entre eux a accepté de répondre à mes questions mais de manière furtive et superficielle. Il avance: «Ces mesures ne concernent pas toutes les femmes de moins de 35 ans mais seulement quelques-unes, tout dépend de l'historique de leurs voyages, et les pays qu'elles ont l'habitude de visiter; cela dépend aussi de la femme, de sa situation et de la raison pour laquelle elle quitte le territoire tunisien». J'ai décidé alors de contacter le ministère de l'intérieur qui m'a communiqué le numéro de la direction générale de la police des frontière, le secrétait me passe le DG : Sans scrupule et fermement, le directeur de la police des frontières a répondu par un «oui» sec à la question «est-il vrai que les Tunisiennes de moins de 35 ans doivent disposer d'une autorisation paternelle (si elles sont célibataires) ou maritale (si elles sont mariées) et ce pour se rendre en Egypte, Jordanie, Maroc, Syrie et Turquie?». Moi : «Selon quels critères demandez-vous des autorisations à des femmes qui sont majeures et vaccinées? Et pour quelles raison ?» Avant de raccrocher, il me répond par «ceci nous concerne nous». Fin de la conversation, et fin du mystère. Nous sommes à présent sûrs que cette histoire est bel et bien vraie: désormais, les Tunisiennes libres, majeures et vaccinées auront –tout de même- besoin d'une autorisation paternelle ou de leur époux «complément selon la nouvelle Constitution» pour passer la frontière et ce même pour se rendre dans un pays voisin. Toutefois, mon enquête ne s'est pas arrêtée là. Une agente de la police des frontières de l'aéroport m'a finalement rappelée pour apporter son témoignage. M me raconte: «ce n'est pas officiel, mais vrai, tout dépend de la femme, son état, si elle est "propre" et "correcte", elle n'aura aucun problème pour voyager». Conclusion : il n'y a ni loi, ni circulaire ni dispositions légales mais il y a bel et bien des Tunisiennes de moins de 35 ans qui ont été empêchées de voyager sans autorisation paternelle ou celle du mari. Etonnée mais heureuse, épuisée mais ravie Incroyable –ou presque – le site a eu 30 mille visite en un jour depuis la publication de l'article, rappelons qu'il s'agit du site www.baya.tn . La société civile a réagi et nous avons été contactés par plusieurs avocates et militantes féministes. Toutefois, le lendemain matin, une réaction « distinguée » a attiré mon attention, celle du ministère de l'intérieur qui a simplement démenti notre information. Voici le démenti : (voir photo) Toutefois, dans l'article précédent, à savoir « C'est officiel, les Tunisiennes de moins de 35ans doivent avoir une autorisation de sortie pour quitter le territoire », je n'ai nullement évoqué – noir sur blanc- l'existence de dispositions légales, au contraire, j'ai déploré le manque d'informations en ce qui concerne cette affaire d'interdiction de voyage. Ma source que je protège d'ailleurs, m'a confirmé qu'il y a bel et bien des femmes de moins de 35 ans et parfois plus interdite de voyage, là nous évoquons l'exemple de madame Sana Ghenima, la femme d'affaires tunisienne qui a été interdite de voyage sans autorisation en avril dernier. Au final nous n'avons obtenu ni interview, ni conférence de presse. Le ministère « dément » sur Facebook comme s'il s'agissait d'une affaire banale... Le droit de savoir... Je suis rassurée de constater que la réaction des femmes libres de ce pays a été immédiate, je suis heureuse de savoir que la femme reste « intouchable » malgré toutes les tentatives de l'intimider, personnellement, nul ne m'intimidera, un comité de juristes est en cours de création, il se réunira dans les jours prochains pour intenter une action en justice contre ces instructions arbitraires et non fondées notamment avec Faiza Skandrani, Sana Ghenima et Bochra Belhaj Hmida ; le ministère de l'intérieur nous doit des explications claires et ce dans les plus brefs délais Affaire à suivre... M.E.B Chercheuse en management journaliste; blogueuse; et militante pour les droits de la femme Lire les anciennes chroniques : - Tunisiens, apprenez à écouter ! - Une minute de silence pour onze millions de Tunisiens - De Tunis au Caire, on ne mourra pas - Etat des lieux - La Tunisie, entre saints barbus et seins nus -Tunisie, le pays de onze millions de vents Nom Adresse email