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Une approche historique et comparative
La r?gulation juridique des relations conjugales :
Publié dans La Nouvelle République le 20 - 01 - 2009

Des résistances à l'uniformisation sont apparues. Ainsi, les réformes camerounaise, de 1981, et gabonaise, de 1989, consacrent le maintien du droit coutumier, en reconnaissant la dot. En République Centrafricaine, 85% de la population se marie selon le code coutumier, qui n'est pas reconnu par le code civil (Laffargue, 1997). Ce vide juridique crée une situation où tous les abus peuvent s'engouffrer.
Dans le monde musulman (Aluffi Beck-Peccoz, 2001), la révolution iranienne marque un tournant. Depuis, que ce soit en Algérie et au Koweit, en 1984, au Soudan en 1991, dans la république arabe du Yemen (qui a repris le droit familial du Yemen du Nord, datant de 1978), dans les douze États nigérians qui appliquent, désormais, la charia, au Pakistan, et au Bangladesh, des réformes abolissent les quelques limites qui avaient été apportées au pouvoir marital. Que ce soit en Lybie, en Iran, au Pakistan, au Soudan, ou au Pakistan, le code pénal se conforme aux principes de la charia. L'homme et la femme mariés, coupables de «fornication illicit», sont également punis de mort par lapidation, néanmoins, il faut quatre témoins, masculins, de l'acte, ou une grossesse, ce qui rend la preuve plus facile pour les femmes. L'application de la charia n'est pas un retour à une situation antérieure, car elle marque un affaiblissement des coutumes et des droits des communautés. Elle simplifie, et uniformise, le droit applicable à chaque citoyen. L'essentiel tient, sans doute, au contexte dans lequel s'applique la charia. Ainsi, au Nigeria, dans la fameuse affaire Safyatu, où une femme divorcée a été condamnée à mort pour avoir eu un enfant hors mariage, la faute n'a pas été dénoncée par la victime éventuelle mais par des groupes islamiques, qui avaient espionné Safyatu, puis l'avaient emmenée au poste de police. Or, ni les groupes hisba, ni les policiers n'ont, traditionnellement, aucune fonction judiciaire dans l'application de la charia (Iman, 2001).
Il y a, là, une fusion tout à fait nouvelle des groupes islamistes et de l'État.
Des discriminations, autrefois très répandues, ont quasiment disparu, telles la perte de la nationalité 9, du nom, de la capacité civile, du salaire, de l'administration de ses biens 10, ou du pouvoir de travailler sans l'autorisation du mari 11. D'autres discriminations perdurent, néanmoins. Bien que l'âge minimum au mariage ait fortement augmenté, une différence perdure entre les sexes, puisque le mariage avant dix-huit ans est accepté par 22 % des pays, pour les hommes, et par 40 % pour les femmes.
Cette différence laisse supposer que les études sont moins importantes pour les filles, et que leur destin réside, essentiellement, dans le mariage. La différence d'âge est plus forte en Afrique. Toutefois, la moitié des pays n'établit plus d'âge différent selon le genre ; ceci concerne 70 % des pays en Europe et en Asie, mais aucun en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (tableau 4).
Généralement, dans les 142 pays, les trois quart des parents exercent, en commun, l'autorité parentale, décident, ensemble, du domicile conjugal, administrent ensemble les biens communs, et l'adultère est traité de façon identique pour les deux genres. Bref, l'inégalité ne persiste, dans ces domaines, que dans un tiers des pays. Les biens acquis pendant le mariage ne sont divisés en deux, ou en tenant compte du travail domestique, que dans un tiers des cas. C'est en Europe que l'égalité juridique dans le mariage est la plus généralisée. L'Amérique et l'Asie sont assez proches, en ce qui concerne les rapports personnels entre époux et l'autorité paternelle, mais le pouvoir marital reste plus élevé en Asie en ce qui concerne le domicile conjugal, le traitement de l'adultère, la division des biens et l'autorité sur les enfants, en cas de séparation. L'Afrique est le continent où la prédominance maritale reste la plus importante, avec des inflexions différentes en Afrique du Nord et au Moyen Orient par rapport à l'Afrique subsaharienne. Le droit musulman explique que la femme mariée garde, plus souvent, le contrôle de ses biens propres dans la première région, mais pour tous les autres indicateurs, le pouvoir marital, et surtout paternel, reste plus élevé. L'égalité juridique entre les époux est, pourtant, devenue la règle dans trois pays musulmans : la Tunisie, dans le cadre d'un islam rationalisé, la Turquie, dans un cadre laïc, et l'Ouzbékistan à la suite de l'influence communiste.
58 % des pays se réclament de l'égalité dans le mariage, 19 % reconnaissent l'homme comme chef de la famille, et 23 % exigent l'obéissance de l'épouse. Cependant, si l'on tient compte des dispositions juridiques qui limitent cette égalité juridique, les pourcentages passent à 49 %, 20 % et 31 %. Alors que seuls cinq pays, sur les soixante-trois régimes juridiques étudiés en 1938, n'affichaient réellement aucune prédominance maritale, c'est le cas, désormais, de cinquante deux pays, soit 87 % des pays étudiés en 1938. Dans les pays nouvellement indépendants, vingt-huit pays revendiquent le modèle égalitaire, soit le tiers. Ce serait, donc, plus de la moitié des 142 pays pour lesquels on dispose d'informations, et 43 % des 192 pays.
Tous les pays européens affirment l'égalité entre les genres, comme le principe fondamental de la vie conjugale, ce qui n'est le cas que du tiers des pays américains et asiatiques. La chefferie masculine reste préconisée dans 25 pays, dont la moitié en Afrique subsaharienne. L'obéissance au mari, qu'elle soit générale, ou pratiquée seulement par certains groupes, reste avalisée par 33 pays, soit 10 % des pays américains, 27 % des pays asiatiques, 41 % des pays africains, 52 % des pays arabes et perse. Or, le devoir d'obéissance au mari n'est pas seulement une discrimination : il constitue un rapport de subordination. L'islam joue, aujourd'hui, le rôle de construction de la domination masculine que jouait, en 1938, le code Napoléon, qui a fortement évolué.
Cependant, si 87 % des pays de common laws sont égalitaires, ce n'est le cas que des deux tiers des pays de tradition napoléonienne.
Il faut, cependant, rappeler que les droits du mariage sont devenus plus flous et que leur description est, souvent, moins systématique. Même pour ces 142 systèmes juridiques, le nombre de régimes égalitaires est surestimé. De plus, les pays où les droits de la famille sont connus, sont plus égalitaires que ceux qui ont refusé d'adhérer à la CEDEF, ou ne remettent pas de rapports.
Ainsi, parmi les treize pays dans ce cas, pour lesquels on dispose d'une description : 19 % sont égalitaires, 25 % reconnaissent l'homme comme chef de la famille et 56 % admettent l'obéissance de l'épouse envers son conjoint.
En appliquant ces pourcentages aux 42 pays, pour lesquels on ne dispose pas d'information, on arrive, respectivement, à 83 pays égalitaires, 38 pays où les maris sont chefs de famille, et 57 où l'épouse doit obéir soit, respectivement, la moitié des pays, 20 % et le tiers. Si l'égalité conjugale a fortement progressé au niveau juridique, surtout en Europe et en Amérique, elle reste à atteindre dans la moitié des pays.
Conclusion
La démocratisation des relations conjugales est indéniable puisque l'égalité, inconnue des premières codifications civiles, était présente dans cinq pays, en 1938, et quatre vingt en 2003. Il faut, toutefois, souligner que ces chiffres sont surévalués, à cause du flou des législations, ou de l'observation. La démocratisation a, surtout, été sensible dans les pays européens et américains. Ailleurs, elle a progressé, soit par assimilation aux codes plus égalitaires, soit par simple élimination des dispositions discriminantes.
L'accélération des changements depuis, les années 1990 est, sans aucun, doute liée à l'existence de la CEDEF ainsi qu'aux pressions des mouvements féministes locaux et transnationaux. Il est, pourtant, difficile de conclure à une égalité grandissante, car bien des pays restent fortement discriminatoires, en maintenant des droits religieux, ou coutumiers, et des dispositions issues des anciens codes coloniaux. En effet, aujourd'hui, comme hier, les droits explicitement religieux restent, fortement, inégalitaires, sauf dans de rares pays, comme la Tunisie. De plus, près de 50 pays se soustraient à toute visibilité internationale. Ainsi, 20 % des pays admettent des inégalités, et 30 % acceptent le principe de l'obéissance de l'épouse. Or, le niveau de violences envers les femmes varie, significativement, en fonction des prescriptions des droits du mariage : il est plus fort, lorsque le droit reconnaît l'obéissance au conjoint, moyen lorsqu'il y a des inégalités, et plus faible lorsque l'égalité entre les sexes est prescrite : les descriptions juridiques manifestent bien une certaine réalité, sans que l'on puisse inférer qu'il y ait causalité (Gautier, 2004).
Dans les années 1930, la protection assurée à la femme paraît, pour certains, rendre possible une véritable égalité, tenant compte des différences naturelles entre les sexes, alors que les féministes luttent pour l'égalité civile et économique. Aujourd'hui, la question de l'égalité, là où elle a été conquise au niveau légal, s'est déplacée vers la reconnaissance des unions de fait, et entre sexes, ainsi que du viol au sein du couple marié, ou pour lutter contre la violence conjugale. Des lois ont été votées, dans ce sens, dans plusieurs pays, au Nord comme au Sud (Banda, 1998 et 2003). L'attention se porte, également, sur la mise en pratique de cette égalité conjugale. L'État est désormais tenu pour responsable, non seulement des lois qu'il vote, mais aussi de leur mise en œuvre et, donc, des institutions et des mécanismes qu'il développe, ou pas, dans ce but.
(Suite et fin)


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