Reprenant à son compte la citation de l'homme politique français, Edgar Faure : "Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent", l'invité du Forum de Liberté a émis le vœu que le vent tourne en sa faveur... Façonné par la culture du parti unique, Abderrahmane Belayat a du mal, décidément, à se défaire de la langue de bois... exotique. Il n'hésite pas à brandir, ainsi, par exemple, les principes et les valeurs "immuables" de la Révolution de Novembre alors que l'Algérie est devenue, comme chacun le sait, ces dernières années, un supplétif des puissances occidentales et, parfois même, complice de leurs guerres injustes. Pour se ménager, semble-t-il, une issue honorable, il s'appuiera plusieurs fois sur le proverbe anglais : "Always keep your options open" (laissez toujours vos options ouvertes). Belayat ne veut pas insulter l'avenir. L'humour populaire et la gouaille qu'on connaissait du tribun sétifien auront eu du mal, cette fois, à cacher sa profonde gêne à la suite de ses derniers déboires à la tête du FLN. Belayat est, ainsi, longuement revenu sur la manière dont il a été éjecté du cercle restreint des décideurs au FLN. Pour lui, Amar Saïdani a été tout simplement "intronisé", un mot choisi à dessein pour indiquer que l'heureux élu a été désigné "en dehors des textes du parti et ceux de la République", en l'occurrence les statuts du FLN et la loi organique régissant les partis politiques. "On l'a appris la veille au moment même où l'on fêtait la décision du Conseil d'Etat qui était pour nous, il est vrai, une victoire juridique. Par un phénomène de "panurgisme", la plupart des membres du Comité central a rejoint le lendemain ladite réunion à l'hôtel El-Aurassi...", poursuit-il. À en croire Belayat, nombre de militants du FLN semblent avoir un gros ventre et de petits yeux qui ne voient finalement que le bout de leur moustache, c'est-à-dire leurs intérêts propres. Beaucoup veulent, selon lui, continuer à tirer profit des "prébendes" à tout prix et par tous les temps. Il reconnaît qu'après 30 ans d'exercice politique sans partage, l'ex-parti unique a laissé chez ses militants quelques "habitudes, réflexes et automatismes". Sans compter que la "chkara" et le libéralisme sauvage sont venus fragiliser davantage l'ex-parti unique. Aussi, Belayat a fini par l'avouer, Amar Saïdani est devenu secrétaire général du FLN grâce à la contribution de ses "élites" actuelles. À savoir, celle de la l'argent... sale. Les autres ne comptant plus désormais. Ou alors si peu... Une erreur de casting Pour lui, la situation actuelle au FLN pose un grave problème d'avenir pour le parti et les instituions de l'Etat. Il dit craindre, en effet, "l'humiliation" lorsque les membres du FLN et sa direction se laissent compromettre dans des actes répréhensibles : "Ce genre de comportements ne sert personne. L'Algérie doit éviter sa fragilisation par l'action irréfléchie de certains acteurs politiques." Cependant, pour lui, le dernier épisode du feuilleton flnesque n'est pas tant le résultat d'un ultime règlement de comptes entre les différentes factions du pouvoir. Bien avisé, il croit savoir qu'en cas de changement politique majeur, les "courtisans" vont se terrer en attendant de savoir dans quel sens le vent va tourner. Dans le nouveau "casting" attendu, une distribution qui n'aura sûrement rien de "glamour", il s'agira de déterminer qui sera l'acteur principal, en l'occurrence "l'homme fort" du moment qu'il faudra suivre. Belayat croit, ainsi, dur comme fer, à l'instauration un jour de l'état de droit en Algérie : "La justice finira par confirmer tôt ou tard la décision du Conseil d'Etat et on reprendra l'affaire où on l'a laissée... Quant à ceux qui sont partis, ils reviendront..." Pour Belayat, il n'est sûrement pas question d'abdiquer : "Dans l'affrontement militaire ou politique, celui qui cède en premier a perdu. Et puis, si nous nous rendons, le FLN sera davantage affaibli." D'après l'ancien enseignant à l'Ecole nationale d'administration, si l'on s'en tient à une interprétation strictement juridique, le Conseil d'Etat ne peut pas se "déjuger" sinon ce serait "un coup porté à la justice" algérienne. Comment un simple tribunal administratif peut-il annuler, en effet, une décision du Conseil d'Etat ? La question est à poser notamment à l'actuel ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Louh, qui a joué, notons-le, en tant que membre du BP du FLN, un rôle primordial dans l'éviction de Belayat. Malgré cela, l'invité de Liberté garde bon espoir que la justice lui donne, un jour, raison. Pour lui, on ne touche pas impunément à l'ex-parti unique : "Le FLN, ce n'est pas rien du tout... Nous avons été impliqués dans toutes les phases du développement du pays..." Belayat ne veut pas croire, semble-t-il, qu'on lui ait préféré Saïdani : "Le soutien à Bouteflika n'est l'exclusivité ni d'une personne ni d'une instance." Il se demande même comment l'ancien président de l'APN peut-il présenter de "meilleures garanties" que lui pour un soutien à une éventuelle candidature de Bouteflika à un quatrième mandat. Il semble surtout oublier que Bouteflika, même diminué physiquement, se sent si invulnérable aujourd'hui qu'il s'est enhardi à réaliser l'un de ses plus vieux fantasmes, à savoir mettre au pas les militaires. En tout cas, c'est grâce à la complaisance de ces mêmes militaires, qui ont cru être en mesure de le manipuler, que cette "personnalité internationale" a pu accéder et garder le pouvoir aussi longtemps en Algérie. Tout va bien, Monsieur le Président... Pris de vitesse par les alliances que contractent actuellement "tous azimuts" le FLN de Saïdani avec d'autres partis politiques dans l'éventualité d'un nouveau mandat pour Bouteflika, Belayat a estimé que de telles démarches devraient émaner des résolutions du congrès : "Ni le bureau politique ni le Comité central n'ont été consultés à ce sujet. Le FLN doit constituer l'axe principal et le moteur de l'alliance présidentielle. Il n'est pas à égalité avec les autres partis. Dans tous les cas de figure, le leadership doit revenir au FLN." Au-delà des propos légalistes et rassurants de Belayat, il ne faut pas être grand clerc pour en déduire que les "redresseurs" vont tout mettre en œuvre pour entraver l'action de Saïdani en relayant, notamment, de vraies et de fausses rumeurs pour le déstabiliser. Cela dit, Belayat a plus de points de vue en commun avec Saïdani que de divergences. Au-delà de leurs différentes approches tactiques, leurs buts ultimes semblent les mêmes. Le plus surprenant, toutefois, est qu'ils croient tous les deux à "l'indépendance de la justice". S'agissant, par ailleurs, de l'absence de Conseil des ministres depuis plus de dix mois, Belayat n'y voit, lui aussi, aucun inconvénient. Et pour cause "les élèves vont à l'école, les travailleurs sont à leur poste de travail et les ministres sont dans leur bureau..." Peu importe, donc, pour lui, si les missions, qui ont été constitutionnellement confiées au premier magistrat du pays, ne sont plus assurées convenablement : "Il n'est pas donné à n'importe qui de juger ni d'apprécier l'incapacité du Président à assumer son mandat." Pour lui, l'application de l'article 88 revient aux "institutions qualifiées" et "non à un tel leader qui s'impatiente pour se présenter". Il dit vouloir éviter au pays une crise de succession à la suite d'une "aventure juridique ou institutionnelle". Déjà que la prochaine échéance réveille cahin-cahin les vieilles querelles et autres rivalités politiques. Il faut dire que l'ancien ministre a, tout au long de son intervention, soigneusement évité d'emboîter le pas à une grande partie de l'opposition, qui ne cesse de dénoncer le laxisme et le laisser-aller qui caractérise aujourd'hui la gestion du pays. S'il reconnaît du bout des lèvres que l'Etat algérien est aujourd'hui affaibli, Belayat refuse, toutefois, de parler ouvertement de règne de mafias, de "chkara", de potentats et de morcellement du pouvoir. Il ressort même de ses propos l'idée que Bouteflika n'est pas prêt à céder le pouvoir et à laisser le peuple à sa "médiocrité" : "On ne peut remplacer Bouteflika par une personnalité faible de caractère ou encore inexpérimentée. On ne peut pas confier la Présidence à un apprenti, de surcroît frappé du complexe de Panurge et qui n'a pas une conscience aiguë des intérêts du pays et de ses enjeux." À entendre Belayat, il ne faut vraiment pas se leurrer et s'attendre à du changement en 2014. M.-C. L. Nom Adresse email