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La révolution de mon père 22e partie
Publié dans Liberté le 14 - 10 - 2013

Résumé : Kheïra souffrait encore de sa blessure. Si Ahmed l'avertit. Si elle s'infectait, il va devoir lui couper le bras. Rien à faire. Têtue comme une mule, elle refusera ses conseils. Elle était là, et personne ne la délogera. Si Ahmed sortit pour une ronde, je me retrouvais avec les deux femmes. Je leur demande alors si je pouvais leur être d'une quelconque utilité. Le toubib revint pour nous avertir.
Si Ahmed, qui revenait de sa tournée, s'approche de nous :
-Cet abri n'est plus un lieu sûr pour nous... Je viens d'avertir Da Belaïd. Des patrouilles militaires ratissent les environs... Nous ferions mieux de nous préparer à quitter les lieux au plus tôt.
Fatiha se lève :
-Nous sommes prêtes nous deux... Nous n'aurons qu'à ramasser nos affaires... Veux-tu que j'aille au village voisin pour prévenir nos amis ?
-Si tu veux... Nous pourrions transférer nos blessés en premier lieu... Il faut faire vite, chaque minute devient précieuse pour nous.
Il se retourne vers Kheïra :
-Et toi, que peux-tu faire ?
-Je suis prête à aider au transfert des blessés, et à les veiller...
-Bien... Alors je vais prévenir les autres. Nous devrons tenir une réunion en urgence avec tout le monde.
Hormis les djounoud qui veillaient à l'extérieur, le reste des frères se joint à nous. Da Belaïd, Amar et Si Ahmed parrainèrent cette assemblée improvisée, à l'issue de laquelle nous décidions de changer de camp. Mon "père" s'arrête... Il était encore sous l'émotion de ses souvenirs, et moi qui me tenait en face de lui, suspendue à ses lèvres, je me forçais à ne pas trop bouger pour ne pas interrompre cette procession de détails sur ses premiers pas au maquis. Il prend une longue et lente inspiration, avant de lancer :
-Yasmina, tu es en train de tout remuer en moi...
La révolution, les combats, les camps, les blessés, les morts. Ne crois-tu pas que c'est cruel ?
Je me lève et m'approche de lui avant d'entourer ses épaules de mon bras :
-Je sais papa... Je comprends fort bien tes émotions... Mais je ne veux pas que ces souvenirs s'éteignent aussi... Je veux revivre tous ces moments avec toi, avant de les rédiger. Mes lecteurs ne demandent pas mieux que de connaître cette étape de leur histoire. La révolution est une belle tranche de notre passé. C'est grâce aux sacrifices de tes semblables que nous vivons tous aujourd'hui dans un pays libre et indépendant. Nous vous devons une fière chandelle.
Il soupire :
-Nous étions tous avides de connaître le goût de la liberté et de l'indépendance.
-C'était un but tout tracé, mais la guerre n'a pas été clémente.
-Pas du tout... La suite de mon récit te révèlera des choses inimaginables.
-Alors, on continue ?
Il se passe une main sur le visage :
-Toujours insatiable... Toujours à l'affût du moindre détail... Yasmina ne veux-tu pas me laisser en paix ?
-Pas avant d'avoir assez de notes pour mon prochain feuilleton. Nous allons le rédiger ensemble. Tu veux bien papa ?
Il sourit :
-À chacun son métier... L'écriture et moi, nous ne faisons pas bon ménage... Bien que j'aie essayé déjà d'écrire mes mémoires à mon retour du maquis, je n'ai jamais pu trouver des expressions assez fortes pour décrire toutes ces atrocités infligées par la guerre.
-Bien. Alors laisse-moi faire... Je ne demande pas mieux que de me substituer à toi pour raconter ce passé qui te fait encore tant souffrir. Et puis, tu verras que parler te fera du bien aussi. Me confier ces souvenirs enfouis au fond de toi te soulagera sûrement.
Il prend une gorgée de café, et se redresse avant de me défier :
-Tu ne pourras jamais comprendre profondément ce que je ressentais dans ces moments de détresse.
-C'est tout à fait logique... Mais tu as survécu à cette guerre, et tu as connu la joie de l'indépendance... Et tu as rencontré maman...
Il sourit :
-Petite chipie. Tu ne rates rien... Ah ! L'indépendance... Un vent de liberté avait soufflé enfin sur notre pays... Je n'oublierai jamais la liesse qui s'en était suivie... Des jours et des jours, nous n'avons pas fermé les yeux... Nous étions comme dopés par cette liberté chèrement acquise... El-Hadj El-Anka avait écrit sa célèbre chanson El-hamdoulillah ma bqach estiâmar fi bladna que nous avons tous apprise par cœur, et que nous chantions à tout bout de champ. L'hymne national venait de naître, et nous étions les premiers à l'apprendre.
-C'est bien beau tout ça... mais je veux connaître la suite du maquis. À l'issue de cette réunion, vous avez décidé de changer de camp.
-Oui... Da Belaïd avait pris les devants pour contacter quelques relations et nous permettre de traverser des villages durant la nuit afin de ne pas attirer l'attention. Pour cela, nous étions obligés de nous scinder en trois groupes. Si Ahmed et moi avions pour première mission de transférer les blessés. Ceux qui pouvaient marcher nous facilitèrent la tâche, mais les autres, nous avions dû les transporter sur des civières jusqu'aux villages avoisinants, avant de les confier à des familles d'accueil. Si Lakhdar était venu nous refiler quelques renseignements assez précieux. Nous n'avions pas assez de munitions ni assez d'hommes pour affronter l'ennemi. Il avait contacté un chef de tribu qui se nommait Kadour, et qui avait vraisemblablement formé quelques jeunes de son village pour les envoyer au maquis. Da Belaïd, qui lui faisait confiance, se renseigna sur le nom du village, et nous décidons de nous y rendre. On attendra la nuit, bien sûr, pour quitter les lieux. Fatiha et Kheïra, qui avaient tout empaqueté, emboîtèrent le pas aux pionniers.
Plusieurs fois, tout au long de notre itinéraire, nous nous sommes arrêtés afin de prêter l'oreille. Les éclaireurs ouvraient la voie, mais nous avions tous nos sens en alerte. Le danger était partout... Gare à celui qui se laissait distraire... Nous pouvions à chaque minute tomber dans un piège.
Après trois jours de marche, avec tout juste quelques heures de répit, nous arrivons enfin au village.
Amar demande tout de suite à parler au chef, alors que nous étions sommés de nous cacher derrière des bosquets jusqu'à nouvel ordre.
La méfiance était de mise, et nous savions qu'un simple faux geste pourrait nous être fatal. Ce chef de village, ou de tribu comme on l'appelait, nous ne le connaissions pas. J'étais moi-même encore un novice dans les rangs, mais je comprenais cette règle du jeu, qui nécessitait tout d'abord une première reconnaissance du terrain.
Au bout d'une heure, Amar revint accompagné de Si Lakhdar et d'un homme de grande taille, dont la peau tannée renseignait sur ses longues expositions au soleil :
-Vous pouvez sortir de vos bosquets, nous lance Amar d'un air sérieux... Nous allons nous regrouper pour hisser les couleurs, avant de prendre quelques heures de repos...
Il se tourne vers Kadour et lui dit :
-Ces moudjahidine sont fatigués... Nous avons marché trois jours durant sur des terrains escarpés et jonchés d'épines, mais nous sommes sains et saufs.
Un autre groupe va arriver probablement à la tombée de la nuit, et le troisième a déjà dû traverser ce "carré". Nous allons repartir dès l'aube.
(À suivre) Y. H.
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