Les deux comédiennes tunisiennes, Faouzia Benmansour et Saïda El Hammi, ayant interprété la bouleversante pièce Madha law mata dhili (Et si mon ombre mourait), ont vraiment marqué leur passage à Béjaïa, à la faveur de la 5e édition du festival international du théâtre professionnel qu'abrite l'ancienne capitale des Hammadites depuis le 29 octobre dernier. Leurs prestations scéniques, données dans la soirée de samedi à la maison de la culture Taos-Amrouche de Béjaïa, n'ont pas manqué de susciter des salves d'applaudissements au sein du nombreux public béjaoui, venu découvrir le professionnalisme et la polyvalence de ces deux comédiennes qui jouissent d'une grande expérience dans le domaine théâtral. Ecrite par Ibrahim Ben Amar et mise en scène par Dalila Meftahi, fondatrice et gérante de la société professionnelle dénommée Masrah Ennas Tounès (Théâtre pour tous de Tunisie), la pièce décrit les mutations sociales et politiques que connaissent ces dernières années certains pays arabes, notamment la Tunisie, l'Egypte, la Libye... Traitant de l'actualité politique tunisienne, cette œuvre théâtrale se veut une approche comparative entre le régime autoritaire de Ben Ali et l'avènement de la violence islamiste après l'arrivée au pouvoir du parti Ennahda. Entre les événements marquant l'histoire contemporaine de la Tunisie et le sort peu enviable réservé aux artistes et intellectuels du même pays, à la lumière des menaces et assassinats ayant visé certains d'entre eux, les deux comédiennes tentent, à travers leur prestation, de montrer l'image d'une nation en pleine mutation, qui se cherche encore après la révolution de jasmin. Ainsi, Faouzia Benmansour prénommée Hayet (vie) et Saïda El Hammi appelée Dounia (univers) jouent le rôle de deux comédiennes au déclin de leur carrière artistique, qui décident de participer à un casting pour un film ouvert à toutes tranches d'âges. Au détour d'une séance de répétitions, tenue de nuit et en cachette, dans une salle de spectacles, elles se retrouvent contraintes à s'expliquer aussi bien sur la situation de crise politique que traverse leur pays, que sur les péripéties ayant jalonné leur parcours artistique. Se regardant en chiens de faïence dans une scène nocturne, Hayet et Dounia s'interpellent sur le passé et le présent de leur patrie, tout en mettant en valeur l'importance du rôle de la femme tunisienne dans le combat pour les libertés démocratiques. Un combat pour la "vie", d'où le prénom "Hayet", dans un univers harmonieux, auquel fait allusion le prénom "Dounia". Elissa, la reine de l'antique Carthage, Chahrazed, personnage des contes légendaires Les Mille et une nuits, Mère courage, personnage de la célèbre pièce théâtrale du même nom, mise en scène par le dramaturge allemand Bertolt Brecht, ou encore Basma Belaïd, veuve de l'opposant tunisien Chokri Belaïd, assassiné devant son domicile le 6 février 2013. Autant de femmes héroïnes ayant marqué par leur courage et dévouement l'histoire du combat féminin ont été citées dans le dialogue des deux comédiennes. L'une de ces dernières ne manquera pas, d'ailleurs, de reprendre la célèbre citation du défunt Chokri Belaïd qui disait : "Je souhaiterais voir en Tunisie un jardin abritant mille fleurs et autant de couleurs." Avant que l'autre interlocutrice n'intervienne pour signifier que le combat de l'opposant assassiné a été vite relayé par sa femme, Basma, avocate de son état. Paraphrasant la veuve Belaïd, l'oratrice martèlera "Pleurer, j'aurai le temps. Maintenant, il faut lutter. Je continuerai à me battre jusqu'à ce que la lumière soit faite sur ce crime organisé, et que toutes les personnes impliquées soient punies." Les responsables de la situation dramatique que traverse aujourd'hui la Tunisie sont qualifiés de "El Djarad" (criquets), cette espèce d'insectes ravageurs qui menace la vie humaine. à travers cette pièce, la metteure en scène Dalila Meftahi veut faire ressortir un message très fort. Celui de dire que les femmes tunisiennes, du moins les artistes, ne sont pas prêtes d'abdiquer devant les menaces persistantes des islamistes au pouvoir. Leur mobilisation et leur détermination à se battre pour préserver leurs droits arrachés sous le règne de feu Bourguiba ont été mis en relief par les deux comédiennes, Hayet et Dounia. "Je découvre un changement bouleversant dans mon pays. J'entends un langage qui n'est pas le mien. Je vois certains en train de museler d'autres, un homme égorger son frère, une femme violée par une vingtaine de personnes... On l'appelle El Djihad !", a lancé d'une voix tremblante la comédienne Hayet. Allusion faite ici aux crimes politiques, dont celui ayant visé Chokri Belaïd, les dix jeunes femmes tunisiennes envoyés au "Jihad sexuel" en Syrie, les pressions exercées sur la presse, les intimidations et menaces subies par les artistes, intellectuels et tous ceux qui s'opposent au projet archaïque visant l'islamisation de la Tunisie... K. O Nom Adresse email