L'écrivain n'a pas un seul père ! Il est le "bâtard" le plus heureux du monde. Fier de sa bâtardise ! Le bon écrivain est celui conçu hors le lit national ! Le bon écrivain, l'enfant légitime wald lahlal, est celui qui est le fruit d'un lit labouré par des milliers d'acteurs ! Le lit qui l'a enfanté est franchi par un nombre élevé de fréquentés, l'enfant appartient à l'arbre généalogique noble : l'arbre de la littérature. L'arbre universel ! Son sang n'est pur que lorsqu'il est mélangé, brouillé! Il est purifié quand il est métissé ! Le politicien est l'enfant de la démagogie nationaliste. Le religieux est l'enfant de la quiétude divine! Le prophète est l'enfant de la souffrance ! L'écrivain est l'enfant du vent, du voyage, du rêve et de l'espoir terrestre! Aucun membre de la tribu des écrivains, les bons écrivains, ne peut renier la paternité de Proust, de Cervantès, de Homère, de Molière, de Imrou el KaIs, d'El Mutanabbi, de Tchékhov, de Tolstoï, de Hemingway, de Steinbeck... Tous constituent sa filiation légitime! Les façonniers de l'arbre généalogique génial! Bien que l'écrivain soit enchanté d'appartenir à ces pères qu'il vénère, l'idée de les tuer tous le hante en permanence. Il n'y a pas de belle écriture, sans l'assassinat du père. Les écrivains qui appartiennent à une seule culture, à une seule lecture, à une seule langue, à un seul père sont menacés par l'oubli. Ils sont illégitimes ! Ils sont en voie d'extinction, à l'image des chauves-souris, du hamster, de l'ours brun, de la forêt Amazone, du vison d'Europe, de l'aigle de Bonelli, du patrimoine bouddhiste en Afghanistan, des tortues marines. Elles sont menacées, les langues africaines, chaque jour une poignée de langues meurent, dans le silence complice des uns et dans l'indifférence des autres. D'autres langues, menacées par la standardisation hégémonique attendent leur destin tragique. La langue amazighe agonise sous le poids du marchandage politicien! Seuls les écrivains, par la poésie, par le conte, par le roman, ces fils des vents sont capables d'assurer la garde contre l'effondrement tragique de l'humanité. Parce que l'écrivain est descendant de l'arbre généalogique universel, fils de la matrice fertile, il symbolise l'œil de l'ange-vigile, l'œil qui ne dort jamais. En permanence, posé sur la culture locale menacée par la sauvagerie de la standardisation : les danses de nos grand-mères, l'art du henné sur les paumes d'une jolie fille, la musique de l'imzad qui s'enfonce dans le silence des sables silencieux, le cheval berbère qui a perdu ses fers, sa selle et sa belle crinière, la saveur de la galette el matloue chaouie ou msirdie avec un morceau de beurre de chèvre fondu par-dessus, le burnous maghrébin fierté d'Ibn Khaldoun et de mon père qui, de plus en plus, se folklorise et se dévalorise.... La littérature, par son ouverture sur le monde, sur l'autre, est apte à adopter, à aimer et faire aimer ces belles choses, par les siens comme par les autres. Elle raccommode la cicatrice de la mémoire universelle. En petits dieux maudits, les écrivains, ces enfants du lit traversé par de multiples voix, multiples parfums, ressuscitent les disparus, réveillent les agonies et sauvent les menacés! Ces écrivains, descendants de cet arbre généalogique magique, dont les racines ancrées dans la nuit des temps et dont les ailes envolées dans les airs des cultures, tourmentent les constantes stériles, ouvrent les portes des horizons pour aérer l'espace de l'imaginaire. Elargir la vision, l'âme et la vue. La littérature par sa force confinée dans sa fragilité magique, est capable de faire embarquer sur un tapis volant les identités et les imaginaires d'un temps vers un autre, d'une géographie vers une autre. Elle a la capacité de franchir toutes les frontières, même si, dans quelques pays, l'œil du censeur ne dort jamais. Les écrivains, enfants de la turbulence, les turbulents, dérangeurs et arrangeurs et rongeurs, chaussent le vent et dégustent le vin du néant. Brisent la carapace du père et de la standardisation mortelle. A. Z. [email protected] Nom Adresse email