Dans cet entretien, l'ancien premier responsable de la compagnie pétrolière présente de façon succincte les réalisations majeures de Sonatrach et ses contreperformances au cours de ses cinquante ans d'activité. Il situe également les défis que doit surmonter la pétrolière nationale à court, moyen et long terme. Liberté : Que représente pour vous le cinquantenaire de la naissance de Sonatrach ? Abdelmadjid Attar : C'est pratiquement l'anniversaire de ma deuxième famille, celle où j'ai entamé ma carrière juste au moment des nationalisations des hydrocarbures en février 1971 en étant placé devant des défis énormes à cette époque pour assurer la relève des compagnies qui ont tout abandonné, et celle que j'ai quitté en 2000 avec les mêmes réserves d'hydrocarbures qu'en 1971. J'en suis très fier même si je n'y suis plus. Quelles sont les réalisations saillantes de la compagnie pétrolière nationale ainsi que ses contreperformances au cours de ces cinquante ans ? Les années 60 ont été celles de l'élargissement des activités de la Sonatrach vers l'exploration production parceque à sa création sa seule mission était le transport et la commercialisation. Il a fallu attendre 1966 pour qu'elle s'engage dans ce domaine avec la découverte d'El-Borma en plus de sa participation dans les contrats dits "Ascoop" avec la société française Sopefal. En aval, ses grandes réalisations sont l'oléoduc Hassi Messaoud-Arzew (OZ1) et le premier complexe GNL à Arzew. Le 24 février 1971, elle devient opératrice sur l'ensemble du domaine minier et accélère le développement des activités en aval avec le démarrage des unités de GNL et GPL à Skikda et Arzew. Mais les résultats en matière de renouvellement des réserves n'étaient pas brillants dans la mesure où la compagnie était plus préoccupée à prendre en charge les gisements nationalisés et en assurer le développement et l'extension. Leur production a augmenté régulièrement jusqu'en 1978, puis a entamé une chute importante en 1979. Les années 80, qui ont démarré avec sa restructuration, ont été les plus difficiles je crois du fait de la crise pétrolière. On peut cependant inscrire à l'honneur de Sonatrach trois actions salutaires : - l'accélération de la production de Hassi R'mel et la réalisation du gazoduc Enrico Mattei qui lui a ouvert la porte des exportations vers l'Italie ; - une vaste campagne d'algérianisation du personnel d'encadrement technique qui était pilotée par Si Khouani allah yarahmou (ancien VP) ; - la mise œuvre de la loi pétrolière de 1986, à travers une large campagne de promotion du partenariat dans l'exploration, dont les premiers résultats ont démarré en 1988 avec plusieurs contrats d'association, et un accroissement conséquent des activités de recherche sur le domaine minier national. Les années 90 ont été caractérisées par des défis multiples et des performances extraordinaires dont on peut citer : - son classement à la 11e compagnie pétrolière dans le monde, première en Méditerranée, 4e exportateur de gaz naturel dans le monde et 2e pour le GPL ; - l'accroissement de l'effort d'exploration et de réservoir-management qui ont entraîné le doublement des réserves pétrolières et le maintien du niveau de production sans aucune interruption malgré les conditions sécuritaires existantes ; - la réalisation du 2e gazoduc Pedro Duran Farell vers l'Espagne ; - la protection des hommes et des installations pétrolières dans un contexte sécuritaire très difficile, ainsi que la préservation de l'attractivité du pays en matière de partenariat ; - la sortie de Sonatrach dans l'amont pétrolier (exploration) à l'étranger ; - le développement des compétences humaines et de l'esprit d'entreprise à travers le projet "Promos", et la réorganisation des activités dans le cadre d'un nouveau statut en 1998. Pour les années 2000, le peu que je connais avec un regard externe, ayant quitté le secteur à cette époque, est une compagnie qui a réussi d'excellents résultats financiers, le développement de projets importants en aval (pétrochimie, dessalement d'eau de mer, et nouvelles unités de GNL), un accroissement de sa production globale et le maintien d'une politique de partenariat intense jusqu'en 2007. La production a cependant commencé à baisser par la suite du fait d'importants retards en matière de réservoir-engineering, développement des nouveaux gisements, et des résultats en exploration insuffisants non pas en matière de volume de travaux qui sont consistants mais en matière de volumes découverts surtout. Les nombreuses réorganisations successives de la compagnie ainsi que la nouvelle loi pétrolière 2005 amendée en 2006 n'ont pas réussi à inverser cette évolution au jour d'aujourd'hui. Tous les espoirs de reprise sont maintenant dépendants de la nouvelle loi pétrolière 2013. Quels sont les défis majeurs que doit relever Sonatrach à court, moyen et long terme, en un mot d'ici à 50 ans? A court et moyen terme, comme les gisements découverts durant les vingt dernières années ont tous été développés maintenant, l'avenir des hydrocarbures en Algérie ou si on veut le potentiel en matière de réserves et de production reposera de plus en plus sur le maintien d'un effort important en exploration, l'amélioration des taux de récupération à partir des gisements existants, et par conséquent des investissements humains, technologiques et financiers importants. Il y a certainement encore de nombreuses découvertes à faire en Algérie, mais le domaine minier algérien est déjà assez mature et le sera de plus en plus, ce qui signifie qu'il ne faut pas continuer à croire à un "eldorado" infini, sinon pourquoi dans le monde entier, on envisage le recours aux hydrocarbures non conventionnels quand on en a et aux sources d'énergie renouvelables quand on n'a pas de potentiel pétrolier? L'Algérie a les deux en même temps et devrait s'y préparer. Le domaine minier algérien est, certes, inégalement exploré d'une région à une autre pour des raisons multiples qui n'ont rien à voir avec les programmes réalisés à ce jour tant par Sonatrach que par ses partenaires. Les techniciens de Sonatrach savent que chaque bassin géologique est différent d'un autre et qu'on ne peut pas espérer découvrir les mêmes réserves n'importe où pour de raisons géologiques évidentes qu'ils connaissent parfaitement. A long terme, Sonatrach (avec sa sœur Sonelgaz) deviendra plus un outil chargé d'assurer la sécurité énergétique du pays et non la rente financière qui devra provenir des autres activités productrices de richesses : la connaissance, l'agriculture, l'industrie et les services. C'est un horizon et un objectif sur lequel il faut travailler maintenant, au cours de la phase de transition qui ne durera pas plus de 15 à 20 ans. K. R. Nom Adresse email