Parfois nostalgique, tantôt lucide, mais jamais amer ou aigre, le documentaire serbe a permis de découvrir un cinéma d'une grande vitalité lié à la seconde moitié du XXe siècle, mais aussi de voir un pays qui n'existe plus, à travers l'image qu'il a tenté de transmettre dans son cinéma. Comme dans un rêve... Ce que le monde sait du Maréchal Tito c'est qu'il a été le président de l'ex-Yougoslavie jusqu'à sa mort en 1980. Ce que le monde ne sait pas (ou sait moins), c'est qu'il était un grand cinéphile. Du témoignage de son projectionniste personnel durant 32 ans, Leka Konstantinović, dans le documentaire Cinéma Komunisto, il était une fois la Yougoslavie de la réalisatrice serbe Mila Turajlić (projeté dimanche dernier à la salle El Mouggar, dans le cadre de la compétition –Documentaire– du Festival international du Cinéma d'Alger dédié au film engagé), le "camarade" Tito a visionné plus de 8000 films. Cette large culture cinématographique l'a inspiré, et il a vite compris que le cinéma est un moyen efficace pour écrire l'histoire –officielle– d'un pays, et l'édification de sa nation. Voilà donc le point de départ d'une autre histoire, celle d'un cinéma qui a rayonné sur le monde dans un pays qui n'existe plus aujourd'hui...sauf en pellicule. Mila Turajlić propose, dans son documentaire, de revenir sur la fabuleuse aventure du cinéma de l'ex-Yougoslavie, sur une dynamique impulsée par Josip Broz Tito, qui a encouragé l'essor de cet art, qui en a été le concepteur, l'architecte, le cerveau. Le cinéma yougoslave a donné de la force, de l'espoir ou peut être même un sentiment d'appartenance, dans un pays qui sortait d'une guerre, à une population qui avait ce besoin de regarder dans la même direction, et de construire un idéal commun. Construit principalement sur la base d'images d'archives et de films –de propagande– produits, et sur les témoignages de professionnels du cinéma de l'époque et du projectionniste personnel du maréchal Tito, le documentaire revient sur la création, dans les années 1940, des studios Avala Films à Belgrade (capitale de l'actuelle Serbie), mais également sur la création du Festival de Pula (actuelle Croatie), et sur les superproductions cinématographiques de l'ex-Yougoslavie, notamment la Bataille de la Neretva de Veljko Bulajić (1969), et Sutjeska de Stipe Delić (1972), avec Richard Burton dans le rôle du président Tito. Après l'ouverture du pays sur le cinéma hollywoodien, l'industrie cinématographique durant la deuxième moitié du siècle dernier était si dynamique que des acteurs à la renommée mondiale ont joué dans des films yougoslaves, à l'exemple d'Orson Welles et Yul Brynner. Ce parcours extraordinaire d'une grande vitalité, qui a rayonné de telle façon sur une partie du monde en lutte contre la colonisation, et qui a contribué à faire connaître dans les pays de l'Est notamment la cause algérienne, a vite été rattrapé par l'histoire, notamment celle de la guerre, qui a tout transformé, dont les traces et les stigmates se constatent sur les murs des studios Avala. Des studios mythiques qui ont, entre autres, accueilli le premier groupe d'étudiants en cinéma algériens, comme l'a rappelé la réalisatrice peu avant la projection. Aujourd'hui, ces studios sont comme une ville fantôme, abandonnée, désertée, et ils sont même mis en vente par le gouvernement serbe. Par ailleurs, si la réalisatrice en quête de sens expose dans ce documentaire une réalité, celle d'un cinéma qui a brillé au passé, elle ne perd pas de vue l'essentiel : celui de sa résonnance au présent. S. K Nom Adresse email