La mémoire féminine sur la Guerre de libération s'est rehaussée, cette année, avec la publication du livre de Zohra Drif "Mémoires d'une combattante de l'ALN. Zone autonome d'Alger", paru aux éditions Chihab. D'emblée, l'auteure assume que son travail n'a rien d'une « œuvre d'historienne » ni d'une « autobiographie ». Comme le soulignent si bien les historiens, la mémoire n'a pas pour fonction de remplacer l'histoire, puisqu'elle « est sélective et refoule les choses désagréables » ou peut-être trop personnelles, il n'en demeure pas moins qu'elle reste « une source de l'histoire », une matière désormais à la disposition des historiens, dans leurs travaux de recherche. De plus, si l'on se réfère au point de vue de l'historienne Malika El Korso, la mémoire féminine « est irremplaçable pour appréhender l'histoire de la vie quotidienne, pour saisir un cheminement, un vécu, reconstituer un climat, éclairer un passé, et tenter ‘'de dire l'histoire autrement'' ». Paraphrasant sa sœur de combat et de détention, Zohra Drif, dans son livre de 610 pages, veut raconter aux jeunes algériens « non pas l'Histoire, mais des histoires vécues, dans l'espoir de donner à rêver et à réfléchir ». A partir de là, les récits rapportés par la sénatrice et vice-présidente du Conseil de la nation, faisant à la fois « acte d'un devoir de mémoire envers la jeune génération » et « acte historique » pour lutter contre l'oubli et contre « la mort lente de la mémoire », sont les bienvenus. Mais, de quoi parle l'ouvrage en question ? Celui-ci a d'abord « rendu vie » à des anonymes, à des militantes et des combattantes de la zone autonome d'Alger, inconnus ou peu (ou mal) connus par les nouvelles générations. Par ailleurs, on notera qu'outre les encouragements reçus depuis quelques années pour écrire ses mémoires, certains événements produits au cours de 2012 ont ébranlé l'auteure, d'autres ont eu « l'effet d'un électrochoc », en la poussant à « convoquer » sa mémoire, à « conjurer l'oubli » et à enfin se lancer dans les sillons douloureux du passé. « L'élégance du combat » face à « l'apartheid de fait » On retiendra le décès, en juin 2012, de son amie et « sœur » de combat, Samia Lakhdari, qui a été enterrée dans « un quasi-anonymat », puis ce « débat public », organisé la même année, soit 50 ans après l'indépendance de l'Algérie, à Marseille. A ce propos, Mme Drif, invitée à ce forum, écrit qu'elle a découvert « ahurie » que la guerre « n'avait jamais cessé » en France et que les organisateurs français attendaient d'elle qu'elle « condamne » le combat libérateur des Algériens et celui des Chouhadas qui, comme Larbi Ben M'hidi,, Hassiba Ben Bouali, Ali la pointe et bien d'autres encore, sont « allés à la mort pour libérer notre pays ». "Mémoires d'une combattante de l'ALN. Zone autonome d'Alger" nous livre de précieuses informations sur les origines et la lignée de l'auteure. Cette dernière est née à Tiaret, le 28 décembre 1934. Fille d'un cadi, « grand lettré en arabe et en français » et d'une mère au « caractère trempé et déterminé », l'auteure fait partie d'une famille nombreuse de huit enfants, dont elle est la deuxième. Dans ses souvenirs, elle revient sur ces périodes du lycée, du scoutisme et de l'université, des années qui, reconnaît-elle, ont été déterminantes dans sa prise de conscience politique. Elle revisite également ses premiers contacts avec le FLN, décrivant notamment ses rencontres avec Boualem Oussedik et Ali El Hadi dit Kamel. Zohra Drif relate en outre les premières tâches confiées aux militantes du Front, l'arrestation de Mustapha Fettal dit « le fennec », non sans omettre de rappeler la grève de l'UGEMA et l'annonce, quelques jours après de l'exécution des deux premiers condamnés à mort : Zabana et Ferradj. D'autres épisodes sont contés, qui ont évidemment marqué et forgé le caractère des militantes, devenues des combattantes, des « volontaires de la mort », voire des « vraies Moudjahidate ». Il est question de cette vie et ces quartiers européens séparés par « un apartheid de fait », mais aussi de « l'action armée », des opérations, entre autres, à la Cafétéria, au Milk Bar et à Saint Eugène. Et, c'est dans la Casbah, au « cœur de la résistance », qu'elle rencontre pour la première fois Yacef Saâdi et Amar Ali (Ali la pointe), qu'elle approche aussi Hassiba Ben Bouali, Ben M'hidi et d'autres militants et responsables du FLN. Nul oubli sur le « courage hors du commun » de Djamila Bouhired et d'Ali la pointe, ni sur « la solidarité agissante » des femmes. Encore moins sur ces autres événements ayant marqué la période de la guerre, comme ces opérations menées avec succès par les militants et militantes du Front, d'une part, et celles, plus sombres, perpétrées par les tenants de la colonisation, de l'autre, particulièrement lors de « la bataille d'Alger » : « torture publique » à domicile, mort de Ben M'hidi et celle de Si Mourad, procès iniques, massacres et bilans macabres. Le témoignage de Mme Drif nous éclaire sur son engagement dans la guerre de libération, sur sa participation à la Bataille d'Alger, son arrestation et sa détention. On en apprend plus sur ces jeunes militantes, dont celles ayant coupé le cordon ombilical avec la société pied-noire, qui étaient mobilisées et unies autour de l'objectif d'indépendance : Hassiba Benbouali, Djamila Bouhired, Samia Lakhdari, Peschard Raymonde, etc. Son récit comporte un aspect, forcément, intéressant pour les chercheurs en sociologie. Plein de couleurs, d'émotions, de sensibilité et parfois de rage, il décrit la vie des Algériens de l'époque et l'état d'esprit de la société, en peignant certains costumes, par-ci, et l'ambiance régnant chez les familles algériennes et dans le milieu des « novembristes », par-là. Même « l'élégance du combat », les « infractions aux règles » et l'amour de la vie y sont fortement présents. H. A Nom Adresse email