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“Ceci est mon testament…”
Découverte sur Internet d'un document signé Beliardouh
Publié dans Liberté le 25 - 11 - 2002

C'est presque fortuitement qu'un document daté du 17 octobre 2002 et signé de notre confrère décédé, Abdelhaï Beliardouh, a été mis au jour sur le site Web de Reporters sans frontières (RSF).
Ce document de quatre pages, intitulé par son auteur Ceci est mon testament…, a jeté la stupéfaction au sein de la corporation, lorsque celle-ci a appris son existence. Daté du 17 octobre dernier, perdu dans les nombreuses pages du site et intercalé entre d'autres textes trop longs, il aurait pu, en effet, passer inaperçu depuis cette date. Bien que cela puisse être assez improbable. Lorsqu'on sait que de très nombreux internautes, notamment des journalistes, consultent souvent ce site, l'on comprend difficilement qu'un message de cette gravité puisse échapper à l'investigation des visiteurs. La question se pose donc de savoir si c'est bien Abdelhaï qui a lui-même transmis le texte ou s'il a demandé à une tierce personne de le faire pour lui en cas décès. La veuve de notre confrère nous avait signalé que, quelques jours avant sa tentative de suicide, Abdelhaï avait visiblement très peur, qu'il empêchait son fils de jouer dehors et qu'il barricadait sa maison dès la nuit tombée. Est-ce parce qu'il avait déjà envoyé son “testament” et qu'il avait peur des représailles ? Cela est possible aussi, puisque, dès qu'il avait été hospitalisé après avoir ingurgité de l'acide, il nous demandera de récupérer une disquette dans son domicile pour la remettre à son journal. Celle-ci demeurera introuvable. C'est certainement son contenu qui aura été transmis à RSF.
Il n'en demeure pas moins que le texte en soi, plus qu'un pavé dans la mare, promet de faire beaucoup de bruit et de susciter des réactions.
Rédigé dans un style fébrile, laissant transparaître une sourde angoisse, le document peut paraître maladroit, décousu, exagéré, voire même confus. Certaines lourdeurs, voire même de grosses fautes d'orthographe peuvent même laisser planer le doute sur l'authenticité de la signature, Abdelhaï étant un excellent rédacteur. Le rythme du texte et le sentiment d'oppression qui s'en dégage montrent bien que notre confrère était bien sous l'effet d'une forte pression psychologique, voire qu'il souffrait d'une sérieuse dépression.
Mais cela ne devra pas jeter systématiquement le discrédit sur les graves accusations contenues dans le message.
La lecture devra en être prudente et il faudra même recourir à un certain décodage. Mais beaucoup de Tébessis qui connaissent l'ampleur et la gravité de la situation ne seront pas étonnés outre mesure. Aussi ahurissantes qu'elles puissent paraître, certaines accusations devront être examinées avec sérieux. Le défunt journaliste fait état, dans ce texte, d'informations qu'il détient sur le réseau Al-Qaïda, sur des péripéties et des vicissitudes de sa vie personnelle, notamment lorsqu'il a été arrêté, en 1982 avec d'autres PAGSistes, pour atteinte à la sûreté de l'Etat, sur ses tentations passagères de continuer son combat sous la bannière islamiste, sur certains démêlés qu'il avait eus avec les services de sécurité. Il y sera également question de l'infiltration des GIA et des GSPC par les services de sécurité, d'un complot latent qui se prépare, d'un vaste programme des GSPC de perpétrer des attentats en Europe. Il y sera demandé à Bouteflika de ne pas se rendre à Tébessa et à son avocat de ne pas aller à El-Affroun…
Il y parlera aussi de Garboussi (le président de la Chambre de commerce qui l'avait enlevé, torturé et séquestré en juillet dernier) dans la grosse affaire des domiciliations frauduleuses et accusera celui-ci d'avoir pu faire passer 240 millions de dollars dans les comptes du GSPC en Europe. Tout comme il l'accusera d'avoir un lien avec l'assassinat du président Boudiaf. L'enlèvement du sénateur Boudiar dans un faux barrage du GSPC et qui avait défrayé la chronique fera aussi l'objet de confidences stupéfiantes puisque Abdelhaï affirme dans sa confession que le sénateur n'était pas retenu au maquis mais dans une casemate à peu de distance du domicile de Garboussi. Il fera également part de tentatives de manipulations de certains services de sécurité dont il nommera l'un des membres qu'il vouera au diable.
Il demandera aux pays européens d'accorder l'asile à sa femme et à ses enfants. Il avait vraisemblablement déjà décidé d'en finir.
Ce terrible “testament” soulève plus d'interrogations qu'il n'en résout. Mais il aura eu, du moins, le mérite de lever le voile sur certaines pratiques ahurissantes qui ont cours en toute impunité et en toute transparence dans cette région où le non-droit est érigé en système et où des barons de l'import-import ont des contacts, sans presque se cacher, avec le GSPC sous l'œil bienveillant de certains membres des services de sécurité. L'affaire de l'enlèvement du sénateur Boudiar, malgré les lourds questionnements qu'elle avait soulevés, a été littéralement étouffée. Celle des domiciliations bancaires frauduleuses, qui a consisté à faire passer, des années durant, vers des comptes douteux en Europe, des centaines de millions de dollars sans contrepartie en marchandises et avec une complicité inouïe de certains milieux officiels, a subi le même sort.
D'autres affaires, comme celles, nombreuses, de trafic dans les crédits bancaires de la Badr où des enquêtes sur des soutiens avérés au terrorisme ont été biaisées ou classées sans suite. La corruption débridée de certains milieux de la justice, malgré les preuves irréfutables, a été banalisée au point qu'il existe à Tébessa des courtiers et des rabatteurs pour les affaires de justice. Celle qui règne dans l'administration et dans le peu qui reste du secteur public a fini par tuer dans l'œuf toute velléité de développement de cette région qui croupit dans une affreuse misère. L'immense contrebande qui se pratique dans cette région frontalière qui mobilise et engrange des centaines de millions de dollars, en dehors de tout contrôle de l'Etat, y prospère en toute quiétude, dans une complicité quasi généralisée mais grassement rétribuée par des milieux que nous nous abstiendrons de nommer pour l'instant, bien que nous disposions de preuves tangibles. Même les services de sécurité tunisiens, activant sous la houlette des milieux d'affaires tunisiens proches du pouvoir de leur pays, ont pris néanmoins la précaution de passer un deal avec le GSPC, c'est une certitude, pour que le territoire tunisien soit épargné par le terrorisme. En échange et en plus des faramineux revenus que leur procure le trabendo aux frontières algéro-tunisiennes, les services de ce pays savent fermer l'œil sur “ce qui ne les regarde pas”.
Notre confrère Beliardouh Abdelhaï avait une parfaite connaissance de tout cela. À travers certains de ses articles qu'il tempérait néanmoins pour certaines raisons, il avait copieusement dénoncé cet état de fait. Mais en plus de rester lettre morte, ses écrits lui valurent une persécution et un harcèlement qui allaient le conduire à la mort. On lui avait intimé l'ordre, non pas de quitter la ville, mais “de quitter la vie”. Le document post-mortem qu'il nous laisse est un cri d'homme blessé. Au-delà de ce qui pourrait paraître excessif ou démesuré, il faudra retenir, et c'est un secret de Polichinelle, que la région de Tébessa, excentrée et oubliée, est devenue le lieu de prédilection d'une pègre toute puissante qui y trame, à l'abri des regards, de bien sombres desseins…
D. E. B.
• Il y a quelques semaines, une énième enquête a été diligentée contre un réseau occulte de soutien financier au GSPC. Un repenti aurait craché le morceau.
En fait, c'était le secret de Polichinelle, puisque tout le monde dans la région sait que le GSPC est soutenu par certaines grosses pointures de l'import-import et d'autres activités lucratives. Mais l'investigation allait déboucher sur une impasse. Puis, fait sans précédent, l'enquête redémarre et certains gros pontes sont interpellés. L'un d'eux, le plus important, est dirigé sur la capitale. Serait-ce la conséquence de confidences de repentis ou de la lecture du “testament” intercepté de Abdelhaï Beliardouh ?
D. E. B.


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