Dans cet entretien, le ministre français de l'Agriculture revient sur la problématique de la sécurité alimentaire dans le bassin méditerranéen et les moyens ainsi que les mesures qui devraient être envisagées pour y faire face. Stéphane Le Foll évoque également la coopération algéro-française et les perspectives de son développement. Liberté : vous êtes à Alger pour prendre part à la 10e réunion des ministres de l'Agriculture des pays membres du Centre international des hautes études agronomiques de la Méditerranée (Ciheam). Le thème principal retenu pour cette édition n'est pas fortuit puisqu'il aborde la lancinante question de la sécurité alimentaire. Des experts très au fait avouent que de nombreux pays du bassin méditerranéen risquent de vivre des crises alimentaires imminentes. Seriez-vous de cet avis ? Quelle est, selon vous, la situation réelle qui prévaut actuellement dans les 10 pays du bassin méditerranéen ? Si le constat de ces observateurs s'avère juste, quelles solutions proposeriez-vous dans le cadre de cette organisation ? Stéphane Le Foll : Je ne crois pas que l'on puisse parler de crises alimentaires "imminentes", mais la sécurité alimentaire est une préoccupation permanente dont il nous faut parler et pour laquelle il nous faut agir concrètement. Il s'agit évidemment d'un sujet qui mérite notre attention dans la durée. La sécurité alimentaire du bassin méditerranéen, déjà fragile, se trouve menacée par les changements globaux, qu'il s'agisse de la démographie ou de l'urbanisation. Nos agricultures, nos territoires ruraux sont à la croisée des chemins et nous avons de grandes responsabilités à assumer. C'est tout le sens de ma présence ici et de notre démarche. Chacun doit agir à son niveau et en synergie. Au niveau des Etats, des organisations internationales et du Ciheam, et selon un nombre de priorités bien définies si nous voulons rester efficaces : les politiques agricoles et de développement rural, la complémentarité dans les échanges commerciaux, la recherche et la coopération universitaire, et le renforcement du poids de la Méditerranée dans les négociations internationales, en particulier à la FAO et au G20. Quels-sont les objectifs stratégiques assignés à cette rencontre méditerranéenne ? Il s'agit de renforcer la coopération méditerranéenne dans le secteur agricole. J'en fais un enjeu prioritaire car il constitue l'un des principaux socles de la stabilité dans la région. N'oublions pas que l'Union européenne, cette grande zone de paix et de prospérité, s'est en grande partie construite sur une politique agricole commune. Nous sommes aujourd'hui au sein du bassin méditerranéen dans une situation similaire où, au sortir d'une période de changements politiques dans un certain nombre de pays, notre interdépendance en matière agricole et alimentaire nous oblige à une solidarité de fait qui constitue un embryon de politique partagée. La sécurité alimentaire durable de chacun des pays du bassin méditerranéen passe par une approche régionale partagée par tous. Pour aller dans ce sens, c'est une meilleure transparence des marchés qui limite la spéculation ou les décisions contre-productives basées sur des anticipations erronées, qui avaient conduit à la crise alimentaire mondiale de 2008. Pour éviter que cette situation ne se reproduise dans le bassin méditerranéen, nous allons donc entériner aujourd'hui la création de Med Amin qui sera un outil de suivi et d'anticipation des marchés agricoles en Méditerranée. Il se concentrera, dans un premier temps, sur les céréales, le sujet le plus stratégique. Quelle appréciation faites-vous de la coopération entre l'Algérie et la France dans son volet agricole ? Quelles sont ses perspectives ? La visite d'Etat du président Hollande en Algérie, en décembre 2012, a permis à nos relations bilatérales en matière agricole d'entrer véritablement dans un "nouvel âge". La fréquence de mes rencontres avec mon homologue algérien en témoigne. Nous partageons beaucoup de visions en matière de sécurité alimentaire régionale, de promotion d'une agriculture doublement performante, sur les plans économique et écologique. Notre partenariat a beaucoup d'avenir, j'en fais une priorité. Durant l'exercice 2013, plusieurs conventions et autres accords ont été signés entre l'Algérie et la France dans le secteur de l'agriculture. Pourriez-vous faire le point sur ces divers partenariats qui, en principe, devaient être mis en œuvre dès le mois d'avril dernier ? Nous prévoyons de réunir prochainement un comité mixte pour faire le bilan des partenariats engagés depuis l'an dernier. Mais je peux d'ores et déjà affirmer qu'il y a eu beaucoup de progrès, que ce soit sur la mise en place d'un observatoire des filières, le développement d'indications géographiques, le renforcement des services vétérinaires, la mise en place d'une télévision rurale, le développement de la filière équine... la liste est longue ! Les partenariats privés sont également nombreux et en plein développement. L'approfondissement des relations agricoles franco-algériennes est une réalité pour laquelle nous sommes tous engagés. L'Algérie demeure dépendante de ses importations alimentaires. Elle est classée parmi les gros importateurs de céréales dans le monde. La France est l'un de ses principaux fournisseurs. Pourrions-nous connaître le volume des exportations françaises de blés tendre et dur vers notre pays ? Cet échange purement commercial dans le domaine de la céréaliculture connaîtrait-il une dimension plus importante pour devenir un véritable partenariat entre les deux parties ? La richesse de nos relations fait que nous ne pouvons pas les qualifier de "purement commerciales". Ce qui unit la France et l'Algérie est bien plus fort. Pour ce qui est des chiffres, en 2012, l'Algérie a acheté pour 827 M€ de céréales à la France, soit en moyenne 10% du blé tendre et plus de 30% du blé dur français. À l'avenir, la France et l'Union européenne, d'une manière générale, continueront à être présentes avec régularité pour participer aux équilibres alimentaires dans la région. Nom Adresse email