Lettre à ma sœur est le titre du film-documentaire consacré par Habiba Djahnine à Nabila, l'une de ses aînées, que des hordes terroristes avaient assassinée le 15 février 1995 dans les rues de Tizi Ouzou. Le film commence avec le voyage de la dépouille de Nabila, transportée depuis Tizi à bord d'une ambulance, pour y être enterrée dans sa ville natale, Bgayet. Alors que le véhicule mortuaire poursuivait, dans le film bien sûr, sa route pour atteindre le golf béjaoui que Nabila aimait tant contempler, la jeune réalisatrice nous mène sur les traces de sa sœur, plus précisément dans la ville des Genêts. Ville où elle avait accompli avec succès ses études en architecture. Où elle avait travaillé et fondé, avec d'autres, l'association Tighri n'Tmetut (cri de la femme). Bien qu'elle soit une militante sans frontières et touche à tout, c'est auprès des femmes, rurales plus particulièrement, qu'elle passera le restant de sa vie. Une vie écourtée par une horde sauvage, qui avait mesuré le danger que pouvait représenter cette complicité entre une militante sans frontières, qui "parlait sincèrement et avec cœur" avec des femmes au foyer, des filles sans emploi, etc. Habiba donnera la parole à ces femmes, cloitrées naguère dans leurs maisons, qui feront des témoignages poignants sur celle ; elle a su les écouter, leur parler et les sortir de l'espace dans lequel elles étaient confinées.Et pour témoigner de leur reconnaissance à celle qui avait été leur confidente, leur amie à un moment de leur vie, elles se feront belles chaque fois qu'il s'agira de parler devant la caméra de Nabila, cette infatigable militante. Si le film-documentaire a nécessité plusieurs jours pour restituer dans le menu détail le travail accompli auprès de ces femmes, devenues d'un coup visibles et audibles, elles porteront toujours des habits neufs : il s'agit d'un hommage à celle qui était l'une des leurs ; il fallait donc en être toujours digne. Le film sera d'ailleurs projeté un peu partout dans le monde. Et ces femmes qui s'étaient faites belles le temps d'un film, qui avait duré 52 minutes, n'a pas échappé aux téléspectateurs, à l'œil vigilent. C'était le cas dans une salle archicomble de Grenoble où un compatriote s'était malheureusement illustré en interpellant la réalisatrice : "Comment peut-on écrire une lettre à un mort ou à une morte ?" Une observation qui avait scandalisé l'assistance, d'autant qu'ils ont pu voir que la disparition de Nabila avait provoqué une déchirure, une hécatombe dans l'équipe de Tighri n'Tmetut. Et qui semble toujours avoir du mal à se reconstituer. Les autres militantes et militants – parce qu'ils y en avaient – paraissaient dans le film complètement perdus une décennie plus tard, voire plus. C'est un peu comme l'hebdomadaire Ruptures, qui avait du mal à survivre après la disparition de Tahar Djaout. Mais qui était cette militante qui, à 29 ans, avait réussi à toucher le cœur d'un si grand nombre de femmes et d'hommes. Beaucoup d'acteurs de la gent masculine ont fait irruption dans le film. Nabila n'était pas seulement une militante féministe ; elle était de tous les combats. Alors qu'elle était étudiante à Tizi Ouzou, elle contribuera à la fondation du Syndicat national des étudiants algériens, qui s'était constitué après la grande grève générale de 1987. Le ministre de l'Enseignement supérieur de l'époque, Abdelhak Brarhi, devrait s'en souvenir, lui qui avait été obligé d'assister à une AG des étudiants jusqu'à une heure très tardive de la nuit. Elle prendra aussi une part active au travail de construction du deuxième séminaire du Mouvement culturel berbère, en 1989, qui fit émerger le MCB comme acteur essentiel de l'ouverture politique. Au sein du PST, elle sera membre de la commission Femmes. Elle sera aussi parmi les membres fondatrices de l'AEF (Association pour l'émancipation de la femme) avant de fonder, avec d'autres, l'association Tighri n'Tmetut (cri de la femme), "qui essayait de faire parvenir le message de l'émancipation jusqu'aux villages les plus enclavés sans déserter les étudiantes de M'douha ou les travailleuses", en témoignent ses anciens camarades. Elue à la direction du PST en mai 1991, elle va s'investir activement dans les débats consécutifs à la victoire électorale du FIS. Mais elle se retirera du parti une année plus tard pour se consacrer exclusivement à son activité au sein de l'association Cri de la femme et à son travail d'architecte. Avec l'assassinat de Katia Bengana, une lycéenne de Meftah, le 28 octobre 1994, pour avoir refusé le diktat vestimentaire des fondamentalistes islamistes, le lâche assassinat de Nabila a eu un impact considérable auprès de celles qui avaient décidé de continuer à lutter dans cette Algérie des années 1990. Beaucoup espèrent que le sacrifice de ces deux colombes ainsi que de toutes les victimes du terrorisme n'a pas été vain. M O Nom Adresse email