Les Turcs votent aujourd'hui pour un scrutin municipal sous tension qui a pris des allures de référendum pour le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, contesté dans la rue et malmené par un scandale politico-financier sans précédent. Celui-ci aborde en effet le scrutin en position difficile. Voilà dix mois que son gouvernement essuie coup sur coup, étape après étape, une fronde qui l'a fait trembler sur ses bases islamistes. Son parti, le Parti de la justice et du développement (AKP), a perdu de sa superbe même s'il reste la première formation dans le pays en termes de voix. Depuis l'été 2013, l'AKP s'est révélé ne pas être si moral que le défendaient ses responsables, à leur tête Erdogan qui a même essayé de vendre son modèle aux autres pays musulmans. Au final, non seulement politique et islam ne changent pas grand-chose sauf à mieux tenir la société au nom de règles sociétales d'un autre temps, décrétées immuables au nom de la religion. Et depuis le 17 décembre dernier, de graves accusations de corruption pèsent sur le chef de la majorité islamo-conservatrice en personne, directement mis en cause par la diffusion, sur internet, d'une série de conversations téléphoniques piratées, qui lui valent de violentes critiques aussi bien en Turquie qu'à l'étranger. Entre autres, Erdoigan a ordonné à son fils, affairiste, via son mobile, de changer de cachette leur cagnotte de plusieurs millions de dollars, fruit d'attributions de marchés et d'exiger plus de la part des bénéficiaires de ces marchés. Tout au long d'une campagne âpre, le Premier ministre a riposté en dénonçant le "complot" ourdi contre lui par ses ex-alliés de la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis et bien apprécié par les cadres de la justice et de la police. Erdogan n'a pas arrêté de chauffer ses militants de l'AKP, jusqu'à en perdre la voix, les exhortant à infliger à leurs ennemis une bonne leçon ce 30 mars. Mais ses discours au vitriol contre les "terroristes" ou les "traîtres", ses purges dans la police et la justice, ses lois liberticides et le blocage de Twitter et de YouTube ont radicalisé comme jamais le débat politique en Turquie. D'un côté les pro-islamistes, de l'autre les convertis au kémalisme. L'opposition laïque et nationaliste a, elle aussi, "nationalisé" le scrutin municipal, faisant campagne pour un vote de défiance contre celui qu'elle traite désormais ouvertement de "voleur" ou de "dictateur". Les instituts de sondage turcs pronostiquent tous un effritement de la position de l'AKP, qui avait décroché un peu moins de 50% des suffrages aux législatives de 2011, mais certainement pas de dégringolade. Entre 35 à 45% au niveau national, selon les enquêtes publiées ces dernières semaines. Car, malgré les scandales et les polémiques, Recep Tayyip Erdogan reste de loin l'homme politique le plus populaire du pays. Le basculement de la capitale Ankara dans l'opposition, jugé probable, ou celui d'Istanbul, où le Premier ministre a lancé sa carrière politique, sonnerait toutefois comme des échecs personnels lourds de conséquences pour son avenir. D B Nom Adresse email