Unique femme candidate à la présidentielle, Louisa Hanoune, qui se représente pour la troisième fois, évoque dans cet entretien les enjeux liés au prochain scrutin. Liberté : à la lumière du climat politique actuel, peut-on assister à un scrutin libre ? Louisa Hanoune : S'il y a suffisamment de garanties et des instruments qui permettent à un candidat de défendre les voix qu'il aura obtenues, oui. Le Premier ministre a dit qu'il y aura des mesures sévères et des dispositions pour présenter des recours. C'est bien, mais ça reste insuffisant. Il faut, au préalable, assainir la pratique politique, assainir l'attitude de l'administration. Je ne parle pas des mentalités. On doit changer les comportements, les pratiques. Ceux qui auront la charge du déroulement du scrutin doivent absolument être neutres. En ce qui nous concerne, nous mettrons des contrôleurs partout. On l'a fait avant, mais il y a eu un rouleau compresseur. Mais cette fois, c'est une question de vie ou de mort pour ce pays. Le Premier ministre et le président de la République doivent savoir qu'ils seront comptables devant la nation, devant les générations futures par rapport aux conséquences d'une éventuelle fraude. Nous, nous voulons des élections algériennes. Exclusivement ! Nous ne sommes pas demandeurs d'observateurs étrangers car ils ne sont pas une garantie. Il y a même des observateurs arabes, comme s'il y avait des élections au Golfe. Même les Européens, nous n'avons aucune confiance en eux, car ils utilisent les failles comme un moyen de pression. Ils n'ont rien à tirer de la démocratie dans notre pays. Pour nous, le climat n'est pas sain. On dirait qu'il s'exprime une volonté chez les uns et les autres d'aggraver la confusion pour ne pas permettre aux Algériens de discuter, de prendre connaissance des véritables intentions de chaque candidat. Il y a une activité politique en ce moment, de notre point de vue, qui déporte le débat. Vous faites allusion à ceux qui s'opposent au quatrième mandat du Président ? Entre autres. Nous avons pris position par rapport aux courtisans, à la clientèle qui se mobilisent à l'occasion de chaque scrutin pour soutenir le Président, mais en réalité ils attendent les dividendes. Cela est valable pour d'autres. Cette fois-ci, nous constatons des développements nouveaux. En démocratie, il doit y avoir les conditions pour que les citoyens puissent voter en leur âme et conscience. Cela se conjugue, bien sûr, avec la liberté de candidature. C'est la condition pour que s'exprime la souveraineté du peuple. Lorsque quelqu'un est dans l'exercice du pouvoir, par exemple le Président-candidat, c'est à la lumière de son bilan que les citoyens peuvent le soutenir ou le punir. Nous, nous sommes pour la révocabilité. Aujourd'hui, il y a un glissement dangereux : au lieu d'exprimer un désaccord avec le programme d'un candidat à travers le choix ou le soutien d'un autre candidat, qu'on le fasse clairement, ou bien à travers le boycott ou l'abstention pour ceux qui n'ont pas confiance dans le scrutin -ce qui est de leur droit, et nous comprenons parfaitement leur appréhension-, on se prononce pour l'empêchement d'une candidature. C'est une remise en cause d'un droit constitutionnel. Cela peut permettre à des groupes obscurantistes, par exemple, de dire que la SG du PT n'a pas le droit d'être candidate car c'est une femme. D'autres peuvent dire tel autre candidat ne doit pas se présenter parce qu'il est un enfant du système. Mais beaucoup évoquent l'état de santé du Président. Pensez-vous qu'il est capable de gouverner ? Ne pensez-vous pas qu'il est prisonnier de son entourage ? Moi, je ne fais pas de la politique fiction, je juge sur les faits. Je ne saurais imaginer quelqu'un, en l'occurrence le Président, briguer un nouveau mandat s'il n'a pas les capacités mentales, intellectuelles pour le faire et pour diriger le pays, car il sait que les Algériens n'accepteront jamais que quelqu'un gouverne par procuration à sa place. Or, je sais que le Premier ministre n'agit pas seul, qu'il agit sous les orientations du chef de l'Etat. Nous avons vu le chef de l'Etat recevoir des étrangers, donc il arrive quand même à leur parler, à avoir des échanges et eux-mêmes font des déclarations. Pourquoi ces étrangers nous mentiraient-ils en disant qu'ils ont eu des échanges avec lui, qu'ils ont parlé des questions régionales etc. ? Pourquoi participeront-ils à un simulacre ? Quel est leur intérêt ? Nous l'avons vu aussi rencontrer le Premier ministre, le chef d'Etat-major et d'autres responsables, et nous avons lu son communiqué du 18 février. Il était d'une extrême fermeté. La dérive qui s'était produite (attaque contre l'armée), il en a situé les responsabilités. Même au niveau du vocabulaire, c'était le sien. Le 20 février, dans le communiqué sur les élections, c'était la même chose. Même chose sur le 8 mars. Comme décision, il y a eu la création d'un fonds. Mais la question qui est posée pour les femmes c'est la citoyenneté pleine et entière, c'est l'abrogation du code de la famille, se sont des lois civiles égalitaires, la réunion des conditions pour qu'il n'y ait pas la précarité sociale, à l'origine des harcèlements en tous genres. Mais il y a eu des conquêtes pour avancer. En ce qui nous concerne, notre position sur les femmes et sur d'autres questions est claire. Nous avons l'audace de nommer les choses par leurs noms, d'avancer nos propositions. Nous n'avons pas l'intention de ménager ni les uns ni les autres car nous pensons que le peuple a les capacités de choisir. Il n'est pas obscurantiste. Connaissant la personne du Président, il est inimaginable qu'il cède même un iota de ses prérogatives. En l'absence de ses orientations, rien ne se fait. Maintenant, le Président ne marche pas, d'accord, il ne se lève pas probablement, mais il peut communiquer. Le Conseil constitutionnel a tranché sur cette base-là à partir de son dossier médical tel qu'il est exigé par la loi. Sans m'immiscer dans les prérogatives des médecins, je ne peux imaginer que le médecin va établir un certificat médical de complaisance. Je respecte les médecins algériens, je pense qu'ils agissent selon le serment d'Hippocrate, ils ne peuvent pas trahir leur conscience. Il ne sert à rien de tenter de déporter le débat, chacun est libre d'exprimer sa position. Nous sommes pour la liberté de manifester, de se rassembler et d'exprimer son point de vue. Nous dénonçons toute atteinte à ces droits et nous militons pour lever toutes les contraintes de l'exercice des droits politiques et démocratiques. Car rien ne justifie l'interdiction des marches à Alger maintenant que la paix est restaurée. Quant à la menace terroriste, c'est l'armée et les services de sécurité qui s'en occupent. Pour nous, la démocratie est un tout indissociable. Personnellement, j'ai milité pour le droit à la candidature en toute indépendance du temps de la clandestinité, pour le pluralisme et pour les libertés syndicales. J'ai combattu l'article 120 et j'ai été exclue, ce qui a provoqué des situations inextricables dans mon établissement. La démocratie ne saurait être à géométrie variable. L'opposition "principielle" ne change pas avec le temps et l'endroit. Nous n'avons aucun droit de nous substituer au Conseil constitutionnel ou de nous ériger comme tuteur de la nation. Celui qui soutient un autre candidat n'a qu'à le déclarer, c'est son droit le plus absolu. Mais là, ça ressemble étrangement à une sorte de cache-sexe qui finira par s'exprimer clairement plus tard. Mais pourquoi, on balaie la situation comme ça, à quel dessein en fait ? Il faut quand même être conscient que ces élections ne se déroulent pas dans des conditions normales, ce sont des conditions de guerre. Sur 6 640 km de frontières, nous sommes entourés par des volcans, des situations chaotiques, et nous avons été ciblés à Tiguentourine, pour ceux qui prétendent qu'on n'est pas ciblés de l'extérieur. Aussi, nous sommes en train de lire régulièrement les exigences de l'administration US sur le terrain économique par rapport à la règle 51/49, par rapport au rapatriement des profits des entreprises américaines. Nous suivons de près les rapports du département d'Etat. Il vient d'ailleurs de nous sortir qu'il y a oppression de la minorité juive ! Elle est où ? Il nous dit qu'il y a des demandes d'agrément d'associations d'homosexuels et de lesbiennes. C'est quoi ces inventions ? On est en train d'inventer un dispositif pour justifier des interférences étrangères, les pressions et les chantages étrangers sont permanents. Nous ne minimisons pas le renforcement des bases militaires américaines au sud de l'Espagne et en Sicile. C'est prémédité, et en révision d'une intervention militaire en Afrique du Nord. Et dans cette intervention, l'Algérie est incluse. Les rapports américains disent qu'il va y voir le chaos à l'occasion de la présidentielle, et des émeutes partout. Pourtant, ce sont des revendications sociales. Donc on voit bien qu'il y a des tentatives de manipuler, de donner une autre dimension à des revendications légitimes. Il y a des activités, et c'est démocratique, comme par exemple pour ceux qui sortent contre le quatrième mandat. Mais c'est amplifié à l'échelle internationale, c'est une indication, même si tout le monde voit que ce ne sont pas des manifestations massives. Dans ce scrutin, je présente un programme. Je respecterai leur verdict dès lors que les élections seront libres et transparentes, démocratiques et qu'il n'y aurait pas de fraude et qu'on puisse faire des recours. Pour moi, donc, c'est comment passer vers une autre ère. Nous ne voulons pas de chaos le 18 avril. Nous voulons une Algérie qui s'oriente résolument vers la démocratie. Et, à notre avis, c'est vers la deuxième République. Beaucoup de partis appellent à un consensus. Etes-vous d'accord ? Non. Ça, c'est quelques chose qu'on doit soumettre au peuple algérien, lequel doit exercer sa souveraineté, trancher. Si les Algériens me donnent une majorité, je leur restituerai la parole immédiatement pour débattre d'une véritable réforme constitutionnelle de fond ; une vraie réforme pour discuter ensemble de la nature des institutions à mettre en place, des rapports entre les institutions, de la primauté du politique sur le militaire et sur le religieux, de la sécularisation de l'Etat, du contenu véritable de la République, de l'égalité, de l'officialisation de tamazight, l'abrogation du code de la famille, levée de toutes les contraintes devant l'exercice de la République, sans mettre de côté les questions économiques, notamment la propriété collective de la nation. D'ailleurs au moment où on fait du bruit autour du quatrième mandat, quelque part on est en train de cacher certaines intentions de certains candidats sur le plan économique. Je viens de prendre connaissance des déclarations d'un candidat qui prétend avoir beaucoup d'ambitions et qui annonce qu'il va remettre en cause en grande partie la règle de 51/49. Cela s'appelle donner des gages aux multinationales et à une partie du patronat. Pas tout le patronat, car il y a un patronat nationaliste et un patronat compradore qui a un lien direct avec les multinationales. Donc, il y a quelque part une volonté de semer la confusion, déporter le débat sur la santé du Président, le quatrième mandat, au lieu qu'on discute des programmes économiques, politiques, socioculturels qui concernent les Algériens. On veut empêcher le libre débat, le libre arbitre du peuple algérien. Nous appelons le peuple à réaliser un sursaut nationaliste pour rompre avec le système du parti unique. Il y a eu des avancées, mais c'est insuffisant. Pourquoi ? Parce que le gouvernement n'est pas l'émanation de la majorité. La composante du gouvernement, une sorte de patchwork, les restes du plan d'ajustement structurel et les correctifs introduits depuis 2009 dans les lois de finances complémentaires n'ont pas permis qu'il y ait de réelles avancées. Nous avons des institutions obsolètes gangrénées par l'argent sale. Pour faire du neuf, il faut une politique économique cohérente, de vraies institutions démocratiques, asseoir une politique sociale qui réponde aux larges couches, à même de renforcer la cohésion nationale et l'immunité contre les chantages extérieurs. La transition est devenue un leitmotiv chez certains, ces derniers temps. On a vu le prix de la transition en Tunisie, en Syrie, en Egypte. En réalité, cela correspond au tournant pris lors du discours d'Obama au Caire lorsqu'il a dit : maintenant, c'est la transition vers la démocratie. C'est devenu à la mode, une nouvelle religion. Tout comme l'était à un certain moment la lutte contre le terrorisme, un instrument privilégié pour imposer la vision américaine. Mais les transitions, ça mène vers l'islamisme, vers n'importe quel courant réactionnaire, obscurantiste. Les Américains, ça ne les intéressent pas qu'il y ait la démocratie dans les pays arabes. Ils veulent des pouvoirs faibles pour pouvoir les manipuler. Imposer leur diktat, le pillage des ressources, l'accaparement des marchés. Nous sommes conscients de ces enjeux-là. Aujourd'hui, ils cherchent des islamistes prétendument modérés. Nous étions l'exception à la règle générale parce que nous avons une histoire particulière, une authentique révolution, nous avons payé un lourd tribut inégalé pour arracher notre indépendance, nous avons construit un Etat national, une République bien qu'imparfaite. Nous avons notre histoire du combat pour la démocratie, il y a eu le Printemps berbère, le Printemps démocratique 1988, nous n'avons rien obtenu sur un plateau d'argent. Aujourd'hui, c'est comment organiser le combat et la mobilisation pour asseoir la démocratie. Pour que le peuple tranche, dise : "ça suffit maintenant !" nous n'attendrons pas que des chars viennent de l'extérieur, organisent des interférences pour nous imposer un candidat qui serait conforme aux besoins des Américains et des Européens. Non, nous ne l'accepterons jamais. Il n'y aura pas de Karzaï en Algérie, il n'y en aura pas. Vous faites allusion à Benflis ? Non, non. C'est une position de principe, je ne porte pas d'accusation. Je ne connais pas encore les intentions véritables des uns et des autres. Mais que chacun dévoile ses cartes. Nous alertons les Algériens : celui qui fera appel à l'aide extérieure trouvera le peuple algérien en face de lui. Pour ce qui est du consensus, en vérité, c'est une conception qui est à l'opposé de la souveraineté du peuple. Entre qui et qui ? On a vu une Constitution consensuelle en Tunisie qui fait l'impasse sur l'économie, sur le social. Pour le reste, on trouve une chose et son contraire. Nous, nous voulons la démocratie. Le consensus est le contraire de la démocratie. Nous, nous soumettons une réforme constitutionnelle de fond. Et nous proposons au peuple algérien des législatives anticipées pour arrêter la pollution politique. Nous voulons une deuxième République, un Etat de droit, une vraie représentation populaire. Nous ne voulons pas tromper le peuple, ni l'entraîner dans un processus qui va le mener vers le chaos. Le consensus entre des partis politiques dont la majorité ne représente rien dans notre pays, étant des sigles nés dans le cadre des fausses réformes, des contre-réformes qui ont échoué ? Ce sont des partis cartables qui n'ont aucun projet de société, ni de vision ni de base militante. Ils ont des appellations au nom des clubs, des associations. Donc, vous allez faire un consensus avec 70 partis et dont l'écrasante ne représente rien ? Pourquoi faire ? Pour se partager le pouvoir ? C'est contre la souveraineté du peuple. La démocratie exige qu'on soumette des programmes au peuple algérien et qu'il choisisse librement. S'il y a un processus politique qui s'enclenche à travers tout le territoire national révolutionnaire, à ce moment-là nous nous orienterons vers un processus constituant. A ce moment-là doivent se conjuguer la volonté de celui qui aura été élu avec les aspirations populaires à travers un débat très large dans la société pour arriver à élaborer une Constitution conforme au point de vue des Algériens, à ses aspirations. Cela implique l'existence d'une vraie Assemblée. Mais tel n'est pas le cas. Comme voyez-vous l'après-17 avril ? Ça dépendra des conditions dans lesquelles se déroulera le scrutin et donc la campagne électorale. S'il ya suffisamment de garanties, libre débat et confrontation entre programmes, à ce moment-là, on aura choisi celui qui sera élu président ou présidente. Et, nous nous engageons dans cette bataille pour gagner. Nous connaissons notre force et notre place au sein des couches populaires. En 2009, nous avions des résultats très intéressants, n'eut été la fraude. En 2012, lors des législatives, nous étions la première force politique, nous avions plus de 80 sièges alors que le FLN n'avait obtenu qu'un peu plus de 55 sièges. Mais malheureusement, il y a eu la fraude. Chaque fois, c'était pour sauver le FLN, le système moribond. Nous allons nous battre pour gagner, pour protéger les voix des électeurs. Nous aurons des observateurs partout et nous allons interpeller les autorités. J'ai déjà interpellé le président de la République et je lui ai dit que jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel rende publics les résultats définitifs, il restera le garant de la stabilité et de la souveraineté. Il sera responsable et comptable devant la nation. Nous ne sommes pas nés en 2012, nous avons une histoire faite de combats, de victoires, qu'ancun autre parti n'a réussi à engranger. Nous aidons les couches qui souffrent de précarité, nous jouons le médiateur sans nous ériger en tuteur et nous assumons nos responsabilités pleines et entières. Quelle que soit l'issue du scrutin, nous serons les premiers à appeler le peuple algérien à dresser un rempart contre toute tentative d'exposer notre pays à l'ingérence extérieure, sous prétexte que tel ou tel candidat considérerait que c'est lui le vainqueur. Il y a des dispositions à nous, mais nous ne sommes pas seuls sur ce terrain-là. Il y a ceux qui ont des ambitions personnelles, qui sont prêts à arriver quelque qu'en soit le prix et par n'importe quel moyen. Et il y a ceux qui se présentent avec des programmes. Il y a peut-être certains qui réfléchissent à des scénarii, à l'ivoirienne, à la kenyane. Le peuple ne l'acceptera jamais. Nom Adresse email