Cartésienne et cohérente, la première dame du Parti des travailleurs s'exprime dans cet entretien sur les questions d'actualité politique et développe les arguments de son parti par rapport à la révision de la Constitution, au Parlement et à la présidentielle de 2009. L'Expression: Le projet de révision de la Constitution sera endossé aujourd'hui par un Parlement dont vous déniez la légitimité, demandant même sa dissolution. Ne pensez-vous pas que l'option de passer par le Parlement discrédite quelque peu le projet? Louisa Hanoune: Je tiens à rappeler que le président de la République lui-même, a déclaré son intention d'aller vers un référendum. Apparemment ça n'a pas été possible. Le recours au Parlement est une démarche indiscutablement légale, cela relève des prérogatives du président de la République. Nous aussi, nous disons que même s'il s'agit d'amendements partiels on aurait préféré un référendum d'autant plus que les délais sont suffisants, même s'il fallait reporter les élections. Je ne crois pas qu'il existe quelqu'un qui pourrait affirmer aujourd'hui que cette Assemblée dispose d'un tant soit peu de légitimité et de crédibilité. Tout le monde sait qu'elle a été élue à moins de 35% des suffrages. De plus, la majorité dans cette Assemblée n'a pas essayé de réhabiliter l'institution en prenant des initiatives à même de répondre aux cris de détresse exprimés par un taux d'abstention de 65%. L'adoption de la loi de finances 2009 en est la preuve. Le rejet de la totalité des amendements par la majorité, de façon partisane et dogmatique, a définitivement disqualifié l'APN. Les élus ont ainsi tourné le dos à la majorité du peuple, voire aux intérêts de la nation. En effet, le rejet de notre amendement relatif à l'interdiction de l'importation des médicaments, dont l'équivalent est fabriqué localement, décidée pourtant par le gouvernement deux jours avant, a démontré que cette Assemblée peut constituer un danger. Il en est de même pour l'amendement proposant l'obligation aux investisseurs étrangers d'investir 30% de leurs bénéfices chez nous, principe que le gouvernement a décrété concernant les laboratoires étrangers. Chose qui nous amène à considérer que se pose sérieusement aujourd'hui la nécessité de résoudre le problème de la légitimité de cette Assemblée, par l'organisation d'élections législatives anticipées. Je reviens sur la question de la révision, nous ne sommes pas «ultimatistes». Nous avons des réserves sur la forme, c'est-à-dire la voie parlementaire. En 2002, les deux chambres qui ont voté la constitutionnalisation de tamazight comme langue nationale n'étaient pas plus légitimes ni plus crédibles. Mais tamazight est aujourd'hui une langue nationale, inscrite dans la Constitution. Malgré la nature de cette Assemblée, aujourd'hui encore s'il y a une initiative, quels qu'en soient les auteurs, qui va dans le sens de l'intérêt de la nation, nous n'hésiterons pas une fraction de seconde à y adhérer. Nous n'avons pas des intérêts partisans à défendre, ce sont les intérêts des travailleurs, des jeunes... etc. qui nous guident. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas être neutres et nous ne pouvons pas opposer le caractère illégitime de l'APN à la nécessité de résoudre des problèmes réels qui se posent aujourd'hui par rapport à la conjoncture et qui ont amené le président à opter pour cette voie. Le PT est-il convaincu de l'importance du contenu, sachant qu'il avait toujours appelé à l'ouverture d'un débat national sur la question? N'y a-t-il pas une contradiction avec vos dernières positions? Absolument pas! Il y a une distinction à faire entre nos aspirations et revendications et le jugement ou la position que nous pouvons adopter par rapport à une question politique. C'est pourquoi je dis que nous ne sommes pas «ultimatistes». Nous ne sommes pas encore le parti majoritaire, nous oeuvrons justement pour le devenir. Mais, en attendant, toute question, qui concerne le sort de la nation, nous interpelle car nous ne pouvons pas être indifférents. C'est vrai que nous avons appelé à un débat national et nous avons même adressé un mémorandum au président de la République le 20 août 2006. Le président de la République a fait, donc, un aveu en disant qu'il aurait préféré un référendum, et a précisé qu'il n'abandonne pas cette question. Nous avons pris acte de sa déclaration. Et tenant compte de la situation nationale et internationale et des enjeux que soulève la révision de la Constitution, nous avons décidé de prendre part et de nous exprimer sur la base du contenu des amendements qui, rappelons-le, sont soumis par le président de la République. Nous n'en sommes pas les initiateurs. Même si nous avons des réserves sur la forme, que nous maintenons, c'est le contenu qui prime. Et les amendements apportés, bien que limités et partiels, sont importants, à notre avis. Fondamentalement, ils ne consacrent aucun recul sur la souveraineté nationale ou les droits démocratiques, contrairement à la Constitution de 1996 qui a consacré une régression extraordinaire sur plusieurs plans dont le terrain des libertés démocratiques. En vérité, la révision de 1996 était le produit de la guerre, des pressions extérieures, une régression sur toute la ligne. Cependant, il ne faut pas nier qu'elle a permis de sauvegarder l'intégrité de l'Etat algérien. Il est donc nécessaire aujourd'hui de corriger les régressions dont la limitation du nombre de mandats mais aussi la liberté d'organisation politique qui se trouve également conditionnée. En août 2005, le chef de l'Etat a déclaré que la Charte pour la paix est le produit du rapport des forces en présence. Apparemment, c'est aussi le cas pour les amendements soumis. Tenant compte de cet aspect, nous essayons de contribuer par notre participation à faire sortir, un tant soit peu, l'Etat algérien de la crise politique qui s'exprime encore en son sein à travers un bicéphalisme criant. La suppression de la limitation des mandats est une reconquête de la liberté de candidature. Cela étant, cette liberté, pour consacrer la souveraineté populaire, doit être accompagnée du droit pour le peuple algérien de révoquer ses représentants, y compris le président de la République, comme c'est le cas entre autres au Venezuela, en Bolivie où existe la possibilité de convoquer des référendums révocatoires. Nous militons pour que ce principe soit consacré dans la prochaine révision qui doit être précédée par un débat véritable pour que tout Algérien et toute Algérienne puissent exprimer leur point de vue et se reconnaître dans la loi fondamentale qui doit refléter les aspirations nationales à la démocratie véritable. Aujourd'hui, pour traverser cette conjoncture sensible, il y a des amendements qui rétablissent un droit démocratique et clarifient et ça reste en même temps insuffisant. Nous ne sommes pas partisans du tout ou rien. Cependant, la question de la légitimité et de la souveraineté du peuple ne saurait être limitée au seul Président, elle soulève concomitamment et avec acuité la nécessité d'élections législatives anticipées pour dégager une vraie représentation populaire. Cela doit être une perspective immédiate. Car l'APN est aujourd'hui une cathédrale dans le désert, elle est source d'instabilité pour le pays. On est arrivé à la croisée des chemins. D'où l'urgence de redonner la parole au peuple algérien pour que s'exprime la souveraineté populaire pleinement, que soit amorcé un tournant d'autant que des avancées considérables sont réalisées sur le plan sécuritaire. De même, pour le renforcement des droits politiques de la femme, il s'agit de s'attaquer aux racines des problèmes. C'est le Code de la famille qui érige des obstacles juridiques devant la promotion des droits des femmes. Il faut mettre en harmonie le Code de la famille et les autres lois algériennes, à commencer par la Constitution, mais aussi le Code de la nationalité et la loi électorale qui consacrent l'égalité. Cela implique évidemment la levée des réserves sur le Cedaw, mais il y a aussi la précarité de l'emploi et le déficit en services sociaux qui constituent des obstacles. Je crois qu'en la matière, le PT a une expérience unique qui peut aider, considérant notre expérience des législatives et des locales de 2007 et la bataille que nous avons menée. Nous partageons donc la préoccupation dont est porteur l'amendement et nous militerons pour que les vraies solutions soient adoptées dans la loi. S'agissant de l'amendement portant sur les symboles de la Révolution, nous pensons que le drapeau et l'hymne national font partie de l'identité nationale. Nous trouvons tout à fait correct que l'Etat veille à la promotion de l'écriture et l'enseignement de l'histoire. Il est, en effet, temps de réunir les conditions pour l'écriture de toute l'histoire de notre pays plusieurs fois millénaire et que soit restituée l'histoire de la Révolution sans amputation. Selon vous, les amendements apportés à la Constitution, clarifient-ils réellement la nature du régime politique ainsi que les prérogatives de l'Exécutif et du Parlement? D'abord, nous sommes soulagés qu'il n'y ait pas eu création de poste de vice-président de la République. Car cela aurait consacré un partage du pouvoir à l'africaine, un bicéphalisme institutionnalisé. C'est-à-dire que le président décide une chose et le vice- président opte pour le contraire. Le régime politique algérien a toujours été un régime présidentiel. Il n'a jamais été parlementaire, les amendements introduits ne touchent pas aux prérogatives de l'APN, même si elles sont formelles. Le Premier ministre présentera son programme devant le Parlement. Il peut y avoir des changements à la lumière des débats mais, le président de la République doit donner son accord. Pour qu'on ne nous raconte pas des histoires, il n'y a jamais eu de changement, même pas d'une virgule, dans le programme du gouvernement. Au niveau de l'Exécutif, les amendements clarifient les responsabilités qui sont aujourd'hui diluées. Car la confusion est totale. Il y a souvent, un monde entre ce que dit le président et ce qui est appliqué. Parmi les aberrations se trouve le Conseil des participations de l'Etat qui a plus de prérogatives que le président de la République. Il décide de dissoudre des fleurons de l'industrie nationale alors que le président ne peut que geler la décision de privatisation. Les ministres sont dépossédés de leurs prérogatives par le ministre des Privatisations. Le chef du gouvernement assiste d'un côté au Conseil des ministres et peut être d'accord avec les orientations du chef de l'Etat sur la privatisation, et de l'autre côté poursuit les privatisations dans le CPE. Ça s'est passé ainsi tout au long de l'année dernière. C'est une véritable hécatombe que sont les privatisations. Et malgré les orientations données par le Président depuis la réunion avec les présidents d'APC le 27 juillet 2008, des entreprises sont liquidées et des étrangers accaparent plus de 51% des parts. Cela doit cesser. Le CPE et les SGP doivent être dissous et les entreprises restituées à leurs secteurs. Le PT n'a pas officiellement annoncé sa participation à l'élection présidentielle. Le parti compte-t-il présenter son candidat? Je ne peux pas confisquer les prérogatives du comité central. Il se réunira prochainement pour étudier la question comme ce fut le cas pour les amendements à la Constitution. Le PT sera présent d'une manière ou d'une autre, j'ai lu des interprétations surprenantes dans la presse, mais jamais cette question n'a encore été à l'ordre du jour de nos instances, bien que des militants la soulèvent dans la discussion. En tout état de cause, ce sont les intérêts de la nation qui détermineront notre décision. Dans tous les cas, on ne peut pas être absent dans cette campagne. Nous ne l'avons pas été en 1999 malgré le rejet de notre candidature. Nous devons être présents pour peser sur le cours des événements. Nous avions pesé dans la présidentielle de 2004 contre le basculement de notre pays dans la guerre civile. Cette fois-ci aussi, nous savons que les élections ne vont pas passer comme une lettre à la poste. Il y a des enjeux économiques et certaines positions de l'Etat en matière de politique extérieure dérangent. Il y aura certainement des tentatives d'interférence dans nos affaires et de chantage. Le Parti des travailleurs, qui se place en défenseur de la souveraineté nationale, se mobilisera, et s'adressera à la conscience des Algériens et des Algériennes et à leur intelligence. Si c'est le cas, pourquoi le PT s'aventure-t-il dans une course à la présidentielle dont les chances de victoire sont minimes? Ceux qui disent ça, en réalité, discréditent, d'ores et déjà, le scrutin. Qu'il s'agisse de ceux qui parlent de «ohda thalitha» (troisième mandat, Ndlr) comme si le jeu était déjà fait, où de ceux qui affirment que c'est truqué, nous, nous militons pour qu'il n'y ait pas de fraude, pour qu'on respecte le libre arbitre du peuple algérien. Nous militons pour qu'il y ait confrontation entre les programmes. Et puis, ce sont les objectifs que l'on s'assigne qui déterminent si nous sommes en situation de victoire ou de défaite. En 2004, le Parti des travailleurs n'a pas été défait malgré la manipulation grossière des résultats qui nous ont été attribués par ceux qui auraient voulu que notre pays s'enfonce dans le chaos, et que notre campagne a dérangés. Non seulement la nation s'en est sortie indemne, et c'était son objectif majeur, mais il a été le premier parti à oser présenter une candidature féminine et ouvrière, socialiste, dans toute la région. Nous avons confirmé notre parti, son aura. Outre l'élargissement de notre base, nous avons la reconnaissance dans de nombreux pays de par le monde. Le PT d'aujourd'hui est incomparable avec celui qui existait en 1997 et même en 2002. Il est devenu une force politique incontournable, massivement implanté, parmi les couches populaires et moyennes. Nous construisons l'avenir et l'avenir politique c'est nous, car nous luttons pour la recomposition politique. Les développements mondiaux sur le terrain économique nous donnent raison. Des positions du PT, considérées hier encore comme archaïques, sont aujourd'hui adoptées par des dirigeants, y compris de pays capitalistes. Et dans notre pays, nous sommes très à l'aise, nous avons énormément de conquêtes et d'acquis. Notre tradition c'est la confrontation entre les idées, et nous militons pour que le peuple ait une vraie représentation politique. Nous voulons arracher d'autres conquêtes et nous construisons le parti de la majorité pour pouvoir diriger sur la base de notre programme et de notre vision politique. L'environnement politique et social est-il aménagé pour accueillir les prochaines échéances? Le scénario des législatives de 2007 est-il valable pour la présidentielle? Si rien n'est fait oui, malheureusement. Les élections législatives étaient une sanction à l'encontre des partis de la majorité. Encore aujourd'hui, on pénalise l'acte de harga, au lieu de répondre à la détresse qu'il exprime, c'est vraiment terrible et c'est la politique de la terre brûlée. Au lieu de chercher des solutions et de prendre en charge cette jeunesse désemparée, c'est la fuite en avant. La situation sociale est désastreuse. Il y a une décomposition terrifiante du tissu social. Cette violence urbaine, qui est en train de se généraliser, est une menace contre l'existence même de l'Etat. Comment convaincre les gens d'aller voter si leurs droits sont niés et leurs aspirations méprisées? Pour autant il n'est pas trop tard. Il suffit de prendre dès maintenant des mesures sociales d'apaisement afin de rétablir la confiance. Puisque la majorité des députés a refusé de le faire à l'occasion du vote de la loi de finances 2009, c'est au président de la République de donner des gages à la nation et donner un coup d'arrêt à la détresse sociale pour rassurer. Il peut décider, par décret, d'augmenter le salaire minimum, les pensions des handicapés et diverses couches vulnérables, prendre des mesures pour améliorer le pouvoir d'achat. Il est temps d'assainir le climat social et de dire aux jeunes et à la majorité de ne pas perdre espoir. Faute de quoi, la voie est grande ouverte devant les manipulations en tous genres. Dans le cas où votre formation serait conviée à prendre part au gouvernement, allez-vous accepter cette proposition? Le partage du pouvoir entre une majorité et une minorité est antidémocratique. En démocratie, c'est la majorité qui gouverne. Le Parti des travailleurs ambitionne de devenir la force politique majoritaire. Lorsque cela sera le cas, nous pourrons gouverner et appliquer notre programme. Mais le fait de ne pas être au gouvernement ne nous a jamais empêchés de défendre la nation et de faire des propositions pour résoudre les problèmes politiques et sociaux. Nous ne sommes pas sectaires et nous soutenons les résistances qui s'expriment en défense des intérêts de la nation d'où qu'elles émanent. Le PT est connu pour ses positions d'avant-garde, notamment pour ce qui est des hydrocarbures et les privatisations. Avez-vous une boussole? Oui, le programme du PT est notre boussole. Notre pays peut s'en sortir et nous en sommes convaincus. Le parti n'a pas d'intérêt particulier, ses intérêts sont ceux de la nation, des travailleurs et des couches démunies. Notre combat s'inscrit pleinement dans le combat que mènent les peuples partout dans le monde pour le droit de vivre libre et dans la dignité, contre l'exploitation et l'oppression, contre le pillage étranger. Nous ne militons pas pour des intérêts personnels mais pour des intérêts collectifs, pour des solutions algériennes nationales. Etes-vous satisfaite de la manière avec laquelle le gouvernement gère la crise financière actuelle avec les éventuelles retombées qu'elle pourrait avoir sur l'Algérie? Certes, il y a quelques mesures positives. Je citerai au passage le refus de création de fonds souverains, le gel de la privatisation du CPA. Le fait que l'économie nationale n'ait pas été totalement intégrée dans le système financier international c'est-à-dire la mondialisation, nous a préservés. Pour le reste, c'est la politique de l'autruche. Nous relevons des contradictions flagrantes entre les ministres. Il n'y a pas de clarté ni de débat sur cette question. Les responsables refusent de nous dire combien d'argent est placé à l'extérieur. Je crois que l'Algérien a le droit de savoir la vérité sur les réserves de change déposées dans des banques étrangères. Pourquoi mettre cet argent ailleurs alors que nous en avons besoin pour construire notre économie. N'y a-t-il pas un risque que cet argent soit englouti dans les plans visant à sauver les spéculateurs dans les pays en crise tel que le plan Paulson aux Etats-Unis? Il y a une urgence d'ouvrir le débat d'autant que le prix du baril de pétrole s'effondre et que la récession, qui frappe l'Europe, avance chez nous, par exemple au complexe d'El Hadjar, et que l'Accord d'association avec l'UE l'importera chez nous. Le processus de privatisation se poursuit malgré les dernières orientations données par le chef de l'Etat, pourquoi selon vous? Tout simplement, il y a un bicéphalisme que personne ne peut nier. Il y a au moins un ministre qui prend ses ordres ailleurs. Des entreprises rentables ont été dissoutes. D'autres, à l'instar de l'ex-DNC de Bordj Bou Arréridj, sont bradées et leurs travailleurs sans salaires depuis des mois. On est en train de massacrer nos entreprises et de jeter nos travailleurs à la rue par centaines aggravant le chômage et le désespoir. Ce qui a été fait sur ce plan est criminel. C'est pourquoi, nous espérons avec la clarification des prérogatives dans l'Exécutif, que le président de la République arrête le processus de désertification, et que soit ouverte une ère de développement véritable basée sur la relance effective de l'industrie algérienne et une vraie réforme agraire, créatrices de richesses durables et d'emplois permanents.