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52e ANNIVERSAIRE DE L'INDEPENDANCE
Colonel Si M'hamed Bougara : un homme, une Wilaya modèle
Publié dans Liberté le 21 - 04 - 2014

"L'écriture a ceci de mystérieux, c'est qu'elle parle" Paul Claudel, écrivain français (1868-1955)
L'hommage
Mardi 5 mai 2010 à Ouled Bouâchra. C'est une chaude matinée. Une foule bigarrée grimpe péniblement la côte vers une stèle à la mémoire de leur prestigieux chef, le colonel Si M'hamed Bougara, qui répétait assez souvent à ses compagnons d'armes : "La Révolution a ses propres conditions que nous avons pleinement acceptées. Parmi ces conditions, celle du martyr, sans lequel il n'y aura jamais d'indépendance. Et les tombes des chouhada qui parsèmeront le sol algérien seront et resteront à jamais les témoins vivants de ce mal."
Un compagnon d'armes du chahid entama la récitation de la Fatiha. La foule répondit par un retentissant "amine". Il entama ensuite, d'une voix tremblante, une pathétique oraison funèbre à la mémoire de celui qui était tombé au champ d'honneur ici même à Ouled Bouâchra le 5 mai 1959.
"Nous sommes réunis aujourd'hui comme chaque année, par la grâce de Dieu, pour commémorer le 50e anniversaire de l'assassinat d'un valeureux combattant : notre frère, notre ami, notre colonel Si M'hamed Bougara tombé au champ d'honneur ici même voilà un demi-siècle, sous les balles assassines d'un colonialisme barbare."
"Le colonel Si M'hamed vit le jour à..."
La suite de l'oraison se perdit à travers les collines, caressant les villes et villages, les oueds, les talwegs, les anciennes zones interdites des monts de Bouzeghza, l'Ouarsenis, El- Meddad, Amrouna, Djebel Louh, le Zaccar, l'Atlas blidéen et bien d'autres régions que le colonel Si M'hamed avait sillonnées inlassablement, éperdument.
Chacun s'est remémoré les judicieux conseils de Si M'hamed, sa passion et son exaltation pour une Algérie libre et démocratique, son encourageant sourire, son plaisir de toujours essayer d'unir le citadin avec le rural sous une même bannière : la chaleur humaine.
A la fin de la cérémonie, ils se sont éparpillés à leur tour, à travers l'Algérie, pour perpétuer le souvenir de ce grand homme : le colonel Si M'hamed Bougara.
L'homme
De son vrai nom Ahmed Benlarbi Bouguera, le colonel Si M'hamed vit le jour un jeudi 2 décembre 1926 à Affreville (Khemis Miliana – wilaya de Aïn Defla).
C'est dans une petite villa située au fond de la rue du Maroc, une rue perpendiculaire à l'avenue principale qui porte actuellement son nom, qu'est né Ahmed, qui sera connu sous le nom de guerre de Si M'hamed, colonel de la Wilaya IV. Le deuxième prénom Benlarbi vient du fait que dans les grandes smalas où les frères, même mariés, vivent généralement sous le toit du patriarche et donc pour distinguer les nombreux cousins les uns des autres, on ajoute à leur prénom celui de leur père, d'où le prénom de Ahmed Ben Larbi (fils de Larbi).
Ahmed est le troisième d'une fratrie de 7 enfants issus d'une modeste famille très conservatrice, originaire de Titest, petite commune de la région d'Ath Yala, dans le nord sétifien, proche de la petite Kabylie.
Larbi, son père, était technicien réparateur dans la téléphonie à Affreville (Khemis Miliana) où est né le jeune Ahmed. Il faut dire que le nom réel de la famille à Titest est Benmessaoud, nom hérité vraisemblablement d'un ancêtre de Larbi qui était connu sous le prénom de Messaoud. Par contre, le nom patronymique des Bougara aurait été attribué par l'administration coloniale en référence à Bougaâ (ex-Lafayette), dont dépendait à cette époque Titest.
Ahmed fit ses études primaires à l'école française Lafayette, aujourd'hui école Kelkouli- Hamdane, et fréquenta parallèlement l'école coranique où il apprit le Coran. Alors que ses camarades de son âge jouaient aux billes et à colin-maillard, Ahmed était toujours taciturne, en train de broyer du noir dans un coin de la cour de récréation. C'était le début de la prise de conscience de son bouillonnant nationalisme.
A 16 ans, il adhéra au mouvement des Scouts musulmans algériens (SMA). Il sera responsable du groupe El-Widad qui deviendra une véritable école du nationalisme avec comme dirigeants Mohamed Bouras, Omar Lagha, Sadek El-Foul et Bouza Mohamed. Il adhéra en même temps au SCA, le club sportif de l'ex-Affreville où il fut titulaire du poste d'arrière de l'équipe réserve.
Toutes ces adhésions lui permirent de couvrir ses activités politiques. En 1944, accompagné de ses camarades Kouadri, Kelkouli et Belakhal Mohamed Ben Lamdani, le jeune Ahmed, alors âgé de 18 ans, se rendit en Tunisie pour suivre durant une année des études à la prestigieuse université Zitouna, fief du nationalisme, et s'est frotté alors aux traditionalistes fascinés par l'Orient et l'arabisme. Le laps de temps passé en Tunisie, la soif de savoir aidant, grâce aussi au scoutisme et à son militantisme, il put acquérir une large et double culture arabo-française ainsi qu'une bonne base politique.
Il fut arrêté une première fois le 8 mai 1945, jour qui vit le génocide de tout un peuple à Sétif, Guelma et Kherrata.
En 1946, il reprit ses activités patriotiques dès sa libération. Il adhéra au Parti du peuple algérien (PPA) et devient membre de l'Organisation spéciale (OS) à partir de 1948. On le retrouve plus tard au Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD).
Il fut arrêté une deuxième fois en 1950 pour être incarcéré à la suite de la découverte et le démantèlement de l'Organisation spéciale en compagnie de ses amis de toujours, Malki Abdelkader, Fernini Ahmed, qui furent condamnés à, respectivement, 3 et à 2 ans de prison.
Libéré 3 ans après, il fut interdit de séjour, cela ne l'empêchera pas de poursuivre avec la même détermination, sinon plus, ses activités jusqu'au déclenchement de la lutte libératrice de Novembre 1954.
Au cours de son interdiction de séjour, des témoignages affirment que le jeune Ahmed travailla comme intendant dans un centre de formation à Blida puis à Alger. Avant son arrestation en 1950, on le retrouve au centre de formation professionnelle de Kouba où il apprit le métier de soudeur à l'arc et travailla à la Société des chemins de fer de Khemis Miliana (Aïn Defla). En 1953, coup de tonnerre chez les Bougara. La mère, les sœurs, les frères sont tous dans une communion de joie et de liesse. Entouré d'une garde de militants, Ahmed pénétra chez lui au grand bonheur de sa mère. Il était dans un piteux état. Après avoir pris une douche et changé de vêtements, il les quitte, après avoir passé un dernier moment avec eux. Il les quitte alors, en leur disant de ne plus le chercher et que désormais il appartient à l'Algérie. Depuis, il n'a jamais été revu par sa famille. Il était parti vers son destin sans connaître ni femme, ni enfants.
Mais il épousa l'Algérie et sa Révolution.
En 1954, deux mois après le déclenchement de la lutte armée, il fit une rencontre déterminante. Il croise le chemin de Amar Ouamrane, chef de Zone IV qui va de Bouira à Orléansville (Chlef) et d'Alger jusqu'aux portes du Sud.
Ahmed prit le nom de guerre de Si M'hamed et s'installa dans le maquis de Amrouna (Théniet El-Had) où il retrouva ses amis affrevillois parmi eux Belkebir Abdelkader dit Koza qui deviendra un héros de la Zone III avant de tomber au champ d'honneur.
Si M'hamed a été chargé de l'explication des objectifs du FLN/ALN dans les futures zones de la Wilaya IV (Zaccar, Orléansville, Théniet El-Had).
Celui qui va sacrifier sa vie pour l'émergence de la nation algérienne allait s'investir corps et âme dans l'action comme commissaire politique.
Le Colonel
En 1953, Si M'hamed sortit de prison complètement métamorphosé politiquement. Ses camarades de détention et lui venaient de sortir non pas d'une triste prison, un vulgaire lieu d'incarcération, mais d'une grande et véritable université du nationalisme, de patriotisme et de culture où ils avaient acquis le savoir, car le plus important à cette époque, c'était le développement d'une prise de conscience politique.
Dans toutes les prisons et les camps de concentration, les prisonniers étaient pratiquement des internes plutôt en formation politique venus de diverses classes sociales, rassemblés au frais de la trésorerie coloniale. La détention était un bien heureux service qui a été rendu au futur soulèvement révolutionnaire et a vu la formation d'hommes qui allaient encadrer la lutte entamée en 1954.
C'est pendant sa détention que s'est développée en lui la passion de la lecture, les œuvres de Victor Hugo, Lamartine, Verlaine, grâce à ses codétenus qui étaient très instruits et qui avaient donc de solides connaissances en culture générale, en littérature, en mathématiques, en sciences, mais surtout en sciences politiques et l'art de la guérilla qu'ils enseignaient à leurs codétenus.
Les détenus étaient donc soumis, bon gré, mal gré, à une intense activité intellectuelle dans tous les domaines. Des débats sont organisés après chaque lecture, après chaque cours, des conférences sont aussi organisées portant sur tous les sujets.
Si M'hamed était d'une assiduité exemplaire pendant les cours. Il était animé d'une fougue et toujours empressé d'acquérir le savoir dans tous les domaines.
A son tour, il s'est démené comme un diable pour faire profiter de ses connaissances les nouveaux arrivants.
Donc, dès sa libération en 1953, il entra dans la clandestinité après avoir réalisé grâce à son sens patriotique que la Révolution armée était l'unique voie permettant au peuple d'arracher sa liberté.
Il commença à sillonner inlassablement les maquis de Amrouna (Théniet El-Had), du Zaccar, d'Oued Fodda et bien d'autres régions.
Dès 1954, il entama l'organisation des maquis : campagnes de sensibilisation et formation des unités d'élite. Il multiplie les rassemblements populaires et désigna partout des responsables locaux à la tête des cellules. Il eut le mérite d'avoir atteint la cime des trois faces pyramidales de pénétration des douars menant ainsi la paysannerie à s'investir au profit de la révolution :
1- sensibiliser les douars au fait colonial,
2- provoquer en eux un certain élan de solidarité,
3- les mener à s'investir militairement dans la lutte armée.
L'organisation s'implanta alors solidement dans toutes les régions.
Au maquis, sa double expérience dans les domaines politique et militaire mais aussi de meneur d'hommes ne reculant pas devant l'action armée lui permit de gravir rapidement les échelons de la hiérarchie.
En 1955, Si M'hamed, l'idéaliste, fait désormais partie des principaux chefs de la Révolution en Wilaya IV. Il était au nombre de ceux qui ont déclenché l'insurrection armée, une poignée de dissidents du MTLD dont personne, parmi les observateurs, n'avait pu penser à son succès.
"Qui peut imaginer que ce groupe va susciter un immense engouement en Algérie et donner souffle à un mouvement inédit en faveur de l'indépendance?"
Il devint rapidement, au mois d'août 1956, adjoint politique du colonel Ouamrane puis du colonel Dehilès qui apprécièrent sa culture politique.
M. R. Y.
Fils de chahid
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