Résumé : Zéliha nous recevra dans les normes de l'art ancien. Le décor de son salon était typiquement algérois, et elle est heureuse de nous rappeler qu'elle était née et élevée en Algérie. La langue n'étant plus un handicap pour elle, je me permettais de lui demander quel lien la reliait exactement à notre grand-père... Je toussote : - Si cela ne vous ennuie pas bien sûr. Le but de notre visite n'est pas de vous importuner madame Badrekhan... Elle lève la main et m'interrompt : - Appelez-moi tante Zéliha... Je ne suis pas une étrangère à votre famille, voyons. Je suis la cousine de vos grands-parents. -Nous sommes ravis de vous rencontrer tante Zéliha... -Et moi donc ! Vous êtes tous les deux les petits-enfants de Ziya, et je suis très heureuse de vous rencontrer avant de passer à trépas. J'ai tellement prié Dieu de m'accorder une longue vie afin de reprendre lien avec votre famille. Vous êtes tous les deux les enfants de Wahid ? -Moi je suis Djamil, le fils aîné de Wahid, et elle, c'est Narimène, la fille de tante Nafissa. -Nafissa, la petite blonde ? Je me mets à rire : - Ma mère ne peut plus être petite, puisque moi-même je suis déjà une grande fille. - Je sais... Mais pour moi, elle sera toujours cette petite blonde aux joues rebondies et au rire cristallin, que j'aimais faire jouer sur mes genoux... La petite dernière de la famille avait un charme fou... Est-elle toujours aussi belle ? - Ma tante est toujours belle, lance Djamil... Et ses enfants ont tous les deux hérité de sa beauté. - C'est très bien... Elle me regarde avec un sourire et me dit : - Tu es très belle, mais tu n'es pas blonde comme ta mère... Tu as les traits plutôt bruns, et cela rehausse l'éclat de ta peau mate. - Mon père est brun... - Oui, j'ai deviné. Cependant, je retrouve un peu de Nafissa en toi. Voyons un peu... C'est peut-être la forme et la couleur de tes yeux irisés, un peu son nez et ce menton volontaire des Hikmet Pacha. Elle se met à rire : - Ah ! Les Hikmet Pacha ! J'ai tellement connu vos grands-parents, je les ai tellement côtoyés, que je ne me suis jamais sentie étrangère dans leur famille. - Vous étiez aussi une cousine éloignée de Fatten Alibey ? - Pas vraiment, il y avait juste un petit lien de parenté entre nous, disons qu'une de ses tantes était mariée à un parent à moi. - Nos grands-parents étaient pourtant vos cousins... - Oui Djamil... Je suis la fille de ta grande tante maternelle... Donc je suis une cousine germaine de ta grand-mère... Par contre, comme ton grand-père était aussi le cousin paternel à Aziza, nous avions un lien de parenté par alliance. - Donc tu n'étais pas à proprement parler une cousine directe de grand-père. - Pas vraiment... Mais Fatty l'était... Il était cousin de ton grand-père du côté de son père... Donc aussi un cousin de Aziza, votre grand-mère... Ah ! Les liens du sang ! Je regarde cette femme qui avait dû être très belle dans sa jeunesse, et je tente de reconstituer le scénario des sentiments en spirale qui l'avaient marquée. Nous avions tous les deux compris qu'entre elle et notre grand-père s'était tissé un lien bien plus fort que l'amitié. Est-ce que grand-mère l'avait deviné ? N'est-ce pas pour cette raison qu'elle avait voulu se débarrasser de cette cousine ennuyeuse, en la proposant en mariage à Fatten Alibey ? Comme si elle avait lu dans mes pensées, Zéliha lance d'une petite voix : - Je venais souvent chez vos grands-parents, puisque vers la fin des années cinquante, je me trouvais en Algérie où je menais une vie de récluse, du fait que mes parents s'étaient installés à Istanbul, ici dans cette maison, juste à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ils savaient que leur vie était désormais en Turquie et qu'ils devaient rejoindre le reste de la famille qui ne pouvait plus résider en Algérie. Tous leurs biens avaient été confisqués par les colons français. Mes parents étaient de grands commerçants. Ils voyageaient beaucoup. Mais avec le temps, ils avaient compris que le retour au pays de leurs ancêtres était inéluctable. A cette époque, je venais d'avoir 20 ans et j'étais étudiante. Une aubaine pour moi, alors que les filles de mon âge étaient déjà mariées et même mères de famille. Lorsque mes parents décidèrent de rentrer, je refusai de les suivre. Ils firent alors appel à un oncle qui consentit à m'héberger jusqu'à la fin de mes études. Lorsque je fus prête à entamer des études universitaires, on m'envoya en France. Et c'est là que j'ai rencontré pour la première fois Ziya, votre grand- père. Il était accompagné de Fatten. (À suivre) Y. H. Nom Adresse email