Là où il en est, le pouvoir n'a plus rien à prouver en la matière : dans sa pratique, il est d'un tel détachement vis-à-vis de son discours que l'on se demande, souvent, si le pouvoir qui parle et le pouvoir qui agit ne font qu'un. En ce 3 mai 2014, Journée mondiale de la liberté de presse, il a fallu s'y reprendre à plusieurs fois pour s'assurer que c'était bien un message du président Bouteflika qui affirmait ceci : "J'ai veillé et je continuerai à veiller à ce que l'exercice de la liberté d'expression et de presse se fasse loin de toute pression, en dehors de toute tutelle et de toute restriction, si ce n'est celle de la conscience." S'il y a un domaine dans lequel le régime Bouteflika aura clairement montré son inaptitude à se convertir, c'est bien celui de la liberté d'expression. Et celui de la liberté de la presse, en particulier. Nul besoin de remonter aux formules qui, d'emblée, condensaient l'aversion du Président envers une fonction sociale effectivement désobligeante pour un personnel politique élevé dans le confort du monopole d'Etat de l'information. La liberté de la presse faisant concurrence au discours univoque d'un régime nostalgique du système de parti unique et de communication centralisée. La première initiative politique de Bouteflika fut celle de "rapatrier", dès son élection, en 1999, le maximum de "formations politiques" vers le giron du parti unique, afin de réduire l'expression politique contradictoire à sa juste portion. Mais la démarche de normalisation ne put s'appliquer au champ médiatique, certains organes étant restés agrippés à un minimum de leur indépendance originelle. Une presse en partie "inadaptée" qui fut très vite proclamée presse de "tayabet el hammam" et de "terroristes de la plume" ... Depuis, le régime Bouteflika se débat dans la propre contradiction d'un régime qui, indéfiniment, cherche, "au nom de la démocratie", le moyen d'imposer sa dictature : sa politique en matière de liberté de presse consiste à trouver le juste équilibre entre son aversion à l'expression contradictoire et la nécessité d'offrir des gages d'ouverture moderniste au monde qui le regarde. Le retard technologique imposé au pays dans le domaine des TIC et le verrouillage de l'audiovisuel, en dépit d'une loi de libéralisation "maison", sont autant de signes de ce que la liberté d'information et de communication est perçue comme une menace pour le pouvoir archaïque qui continue à contrôler l'Etat. Le message du Président, loin de rassurer, traduit, une fois de plus et de manière édifiante, cette capacité du régime à sévir contre les droits citoyens tout en se faisant l'apôtre des libertés qu'ils répriment. Depuis la loi sur la liberté de la presse, la législation a invariablement tendu à réprimer et à verrouiller la liberté d'expression. De la loi sur l'audiovisuel et ses effets dévastateurs... en remontant à l'article 144 bis. Justement, le message présidentiel, qui promet de légiférer sur le sujet, inquiète, parce qu'il rappelle étrangement ce propos du Premier ministre Ouyahia : "L'Etat n'a nullement l'intention de porter atteinte à la liberté d'expression." C'était le 27 février 2011, cinq jours après l'adoption par le Conseil des ministres du projet d'article 144 bis. On connaît, depuis, ses conséquences ravageuses sur la liberté de la presse. M. H. [email protected] Nom Adresse email