De la fameuse apostrophe de «tayabete el hammam» à l´endroit des journalistes, lors de la campagne de 1999, à l´accusation de «traîtres au pays» en 2004, le président Bouteflika a affiné ses attaques contre la presse privée d´une manière générale et les gens de l´information en particulier, qu´il accuse de tous les maux de l´Algérie. En réalité, M.Bouteflika ne sera pas le dernier homme politique, - et est loin d´être le premier - à avoir pourfendu le droit de dire et les velléités de liberté que les hommes de la presse prétendent consolider. En fait, le président-candidat n´a en rien innové dans un domaine où les enjeux de pouvoir sont énormes quand on sait que les régimes autoritaires ont toujours abhorré tout contre-pouvoir de quelque nature qu´il soit. En fait, tant que la pensée unique était dominante, le problème ne s´est jamais posé en termes de pouvoir, car la presse n´était, au mieux, que la courroie de transmission d´un pouvoir qui n´avait aucun compte à rendre, et/ou aucune obligation de l´information juste et correcte, faisant des journaux autant de bulletins de propagande. Le pouvoir, qui contrôlait l´information en amont et en aval, n´avait aucun souci de crédibilité. Mais avec l´apparition du multipartisme, du pluralisme politique et d´opinion, induisant la multiplication des organes d´information, les choses ont totalement changé. Ainsi, outre le pouvoir, d´autres centres et acteurs politiques (partis politiques, société civile) produisent aujourd´hui l´information dont le pouvoir en place ne détient plus le monopole. Or, M.Bouteflika semble en être resté à cette période de monopole où le pouvoir, unique producteur de l´information, avait seul le droit de dire et de parler. D´où sa réaction en 1999 lorsqu´il prit en grippe l´ensemble de la presse privée. A la vérité, cette presse privée a incommodé nombre de responsables, dont le défunt président Boudiaf qui n´a pas également apprécié, en son temps, la liberté de ton de cette presse «négative» selon lui. Donc, le droit d´informer n´a pas trouvé sa juste mesure en Algérie, car les dépassements, il y en a eu autant du côté de cette presse tant décriée que du côté du pouvoir qui n´a pas su ou pu s´adapter aux nouvelles normes ou voulu faire la part des choses. Mais en fait, dans cet espace d´expression des idées et du débat contradictoire, il y a une marge qui délimite, qui doit délimiter en fait, les responsabilités des uns et des autres, non pas du point de vue de l´autocensure, ce qui reviendrait à occulter délibérément l´information, mais singulièrement de celui de l´éthique, tant il est vrai que même le journaliste doit savoir raison garder. Cela ne veut point dire par-là qu´il faille restreindre l´information, mais il doit bien exister, au plan de l´éthique, des bornes que les journalistes doivent s´imposer à eux-mêmes. Cela d´autant plus que l´information n´est jamais neutre. L´information n´est jamais gratuite en fait et recouvre des données qui échappent souvent, toujours en vérité, à ceux censés les transmettre. De fait, dans l´information, qu´elle soit brute ou travaillée, il y a toujours une part de manipulation, que celle-ci soit déterminée ou instinctive. En conséquence, la source d´information, souvent, manipule le journaliste lequel à son tour manipule son lectorat. Ainsi, avec la multiplication des pôles de production de l´information, on peut toujours se demander qui manipule qui ? Aussi, dans les milieux où la liberté d´expression est un concept naturel et allant de soi, le rôle de la presse est très important, à tel point qu´on lui confère la qualité de «quatrième pouvoir». Or, pour M.Bouteflika, il n´était pas question de partager le pouvoir et il ne comprend pas que la presse puisse lui demander, sinon des comptes, du moins de s´expliquer sur les décisions prises ici ou là. Surtout lorsque le mandat présidentiel est remis en jeu tous les cinq ans. De fait, M.Bouteflika a suffisamment répété ces dernières années son aversion pour le pluralisme médiatique pour qu´on en prenne acte. En réalité, le président-candidat n´accepte pas que son pouvoir puisse être délimité de quelque manière que ce soit, se plaignant même du fait que la Constitution actuelle délègue au chef du gouvernement «des prérogatives étendues pour diriger l´Exécutif gouvernemental», ce qui, sans doute, lui fait de l´ombre alors qu´il veut être seul maître à bord. A une chaîne étrangère il revient sur «la mauvaise expérience de la presse écrite» affirmant «cette expérience m´oblige à avancer lentement dans ce domaine». Ceci expliquant cela, il est évident que M. Bouteflika reste bloqué sur les années de plomb et ne comprend pas le ton libre, voire irrévérencieux, de la presse indépendante et ne conçoit pas que d´autres acteurs (hommes politiques, journalistes) puissent partager avec lui le champ politique national.