S'il y a une liberté à laquelle Bouteflika a toujours franchement assumé son hostilité, c'est bien la liberté de la presse. Ses deux premiers mandats ont été l'occasion d'une véritable chasse à l'expression qui contredit la parole officielle. Outre “l'enrichissement” du code pénal par les articles 144 bis et 146 bis, nous avons assisté à de véritables campagnes de harcèlement judiciaire conduisant à l'emprisonnement de certains journalistes, à une floraison de formules infamantes telles que “tayabate el-hammam” ou “terroristes de la plume”. La dépénalisation du délit de presse ne constitue donc pas un apport du régime à la liberté de la presse, mais, à l'heure où l'on accorde l'immunité administrative et fiscale au commerce informel, la moindre des concessions à faire aux professionnels de l'information est de lever la menace d'emprisonnement qui pèse en permanence sur eux. Cela dit, en l'absence d'indépendance effective de la justice, il y a toujours moyen de sanctionner par l'enfermement la parole qui fâche. Il suffit, comme dans le cas Benchicou, de trouver un prétexte de rechange. Une commission d'experts sera mise sur pied pour “proposer les voies et moyens d'améliorer le paysage audiovisuel, de promouvoir la communication par le biais des nouvelles technologies de l'information et d'identifier les domaines à travers lesquels l'aide publique contribuera à l'épanouissement de la presse écrite”. Cette feuille du jour est annonciatrice d'une conception volontariste pour le développement d'un secteur d'activité d'abord handicapé par l'encadrement tutélaire du pouvoir. L'aide publique existe déjà, mais elle est indirecte, sous forme de mémorandums de règlement de la facture d'imprimerie, de largesses publicitaires et d'indulgences fiscales au profit d'organes acquis à la promotion mécanique de l'activité et de la position officielles. Cette aide est en réalité investie dans le parasitage du paysage médiatique et dans les moyens de contredire l'expression autonome. Pourquoi un régime, qui croit imposer son message par le monopole de l'audiovisuel et par le brouillage de la liberté de la presse écrite, se convertirait-il subitement au credo de la diversité d'opinion ? Il n'y a pas eu besoin de “commissions” pour instituer l'agrément pour la fondation d'organes de presse, le monopole de l'Anep sur la publicité et sa répartition politique, dispenser les journaux de l'OJD, etc. ? Il n'est donc pas besoin de commission pour remédier ces mesures évidemment répressives. Elles réduiraient d'emblée les effets de la pression des institutions de pouvoir sur les rédactions et le trafic d'influence dont souffrent les éditeurs. Le marché, c'est-à-dire les annonceurs indépendants, et, surtout, les lecteurs se chargeront alors, par l'effet de la loi de l'offre et de la demande, “d'améliorer le paysage médiatique” et de réguler une activité qui, pour renfermer des éléments de service public, est aussi une activité économique. Les libertés sont solidairement interdépendantes : sans l'indépendance de la justice, sans l'affranchissement des commis de l'Etat des injonctions politiques, sans la liberté d'entreprendre, y compris dans l'édition et la communication, il n'y a pas de liberté de la presse. Tout nous renvoie à la question du système. M. H. [email protected]