C'est dans son atelier au centre culturel du village de Aïn Kercha (wilaya d'Oum El-Bouaghi) que cet artiste peintre nous a chaleureusement reçu. Nadhir Djebbar arbore un style oscillant entre le graffiti et les motifs berbères. Il revient, dans cet entretien, sur sa particularité, son style, sa touche. Liberté : Vous avez commencé à manier le pinceau très tôt, puisqu'on raconte que vous étiez le chouchou dans votre école primaire... Nadhir Djebbar : Effectivement, les différents enseignants durant le cycle primaire me demandaient de dessiner au tableau ou d'aider mes camarades. Comme beaucoup d'autres, je m'inspirais des personnages des dessins animés qui passaient à la télévision. Une fois adulte, je me souviens qu'un ami m'avait ramené, sous le manteau, une feuille avec les lettres tifinagh. Certes, c'était la première fois que je voyais ça, mais au plus profond de moi, j'avais un sentiment de déjà-vu. Les courbes, les formes, la dynamique de certaines lettres, en particularité le fameux Z amazigh, ne m'étaient point étrangères ou étranges. C'était le coup de foudre ! J'avais rendez-vous avec moi-même, avec ma source d'inspiration. Ma mère, qui n'a jamais été à l'école et n'a jamais connu les lettres de tifinagh, a sur le bras une de ces lettres. J'allais donc interroger ma mère et ma grand-mère à propos des tatouages des habitants du village. Je n'ai plus à chercher loin, j'ai mes repères, ma source, et j'ai mon équilibre. Peut-on dire que c'était en quelque sorte un rendez-vous avec l'identité ? Oui, mais aussi pour que cesse la question ou les questions relatives au repère, à la référence, à l'appartenance, et commence la quête d'un puzzle morcelé. L'enfance est liée à ma grand-mère qui tisse (et elle continue toujours de le faire), à ma mère qui réalise ses poteries, à ses tatouages, et à bien d'autres formes qu'on retrouve dans la construction (architecture) et sur les ustensiles maison. En réalité, nous baignons dans une atmosphère où il suffit de bien regarder pour se rendre compte qu'elle est particulière, peut-être unique. J'ai eu des réponses, un tas de réponses, et j'ai compris qu'il suffisait d'être soi et cesser de vouloir être l'autre. A mon sens, c'est du temps perdu, car il n'y a qu'un Picasso, qu'un Rembrandt, qu'un Issiakhem... L'identité individuelle et collective est donc un point de départ, mais pourriez-vous évoquer pour nous vos débuts dans le monde de l'art ? On peut le dire, oui. Durant les années 1980 – la période de tous les espoirs – nous avons créé une association dans le village avec beaucoup d'amis, et nous avons commencé à mettre en exergue la richesse que nous possédions et pas uniquement à travers (et dans) la peinture ou le dessin. Je me chargeais à l'époque de réaliser des œuvres, et lors des expositions, j'ai constaté que les visiteurs avaient les mêmes sensations que moi la première fois que j'ai vu l'alphabet en tifinagh. Les gens avaient la même impression de déjà-vu. Je souligne tout de même que c'était une période où l'esprit militant l'emportait sur celui de l'artiste et du créateur, et je n'ai pas eu l'opportunité ou la chance de rencontrer quelqu'un pour me guider ou m'orienter. Je me suis inscrit à un concours des cadres de la jeunesse à Constantine et j'ai eu l'examen, mais on m'avait dit que je n'avais pas l'âge requis. Je n'oublierai jamais ce jour, parce que c'était mon premier contact avec l'injustice, car si je n'avais pas vraiment l'âge, il ne fallait, dès le départ, pas me laisser passer l'examen. Vient la création du Haut Commissariat de l'amazighité. Une date importante pour vous... Une date importante pour moi, pour deux raisons : j'ai conçu la couverture du livre de lecture de tamazight, mais aussi et surtout j'ai enseigné ma langue maternelle. C'est une expérience unique. J'ai enseigné pendant 4 ans, et cette expérience restera gravée dans ma mémoire à jamais. Je considère d'ailleurs que ces années dans l'enseignement ont été les meilleurs moments de ma vie, mais comme je n'avais pas le statut de titulaire, à la première occasion, on a mis fin à mon contrat. Vous avez également vécu quelques années en France... En juillet 2001, je suis parti vers l'inconnu, car la situation était insoutenable dans ma région. C'était l'occasion de voir de près ce qui se fait sous d'autres cieux. Malgré les moments difficiles, j'ai réussi à produire des œuvres, et j'avais l'impression que c'était par nostalgie du pays, notamment beaucoup de monogrammes. J'ai transformé aussi un squat en atelier de peinture. Je me suis également installé non loin du centre Pompidou et je proposais aux passants leurs prénoms en caractères tifinaghs. Ça se vendait comme des petits pains ! Cette expérience vous a fait gagner en maturité. Que retenez-vous justement de ce passage en France ? Oui, j'ai gagné en maturité, en expérience et en perspicacité. J'ai l'impression d'avoir aiguisé mon de pinceau ; la touche est plus personnelle et personnalisée. J'ai envie, puisque l'occasion m'est offerte au centre culturel, d'initier les enfants à cet art, et de pouvoir aussi le développer, le protéger et le faire connaître à travers le grand Aurès et même sous d'autres cieux. Comme le fait Amraoui Hacène, qui travaille sur les graffitis amazighs au Québec, ou Noureddine Tabarha, qui travaille sur les motifs et les symboles berbères. En attendant, je voyage et je fais voyager, entre un point et un autre point, par des lignes, souvent en couleurs chaudes, celles de chez nous. En fait, la mémoire se balade entre la ligne et le point. R. H. Nom Adresse email