Les intervenants ont mis en relief dans leurs interventions le parcours du militant et son prolongement à travers ses recherches en histoire pour prouver l'existence millénaire de la nation algérienne. Le premier colloque dédié au défunt Mohand Cherif Sahli, philosophe, historien et militant de la cause nationale, a eu lieu, ce week-end, à Sidi Aïch, sa région natale, en présence d'éminentes personnalités politiques, d'historiens, de chercheurs universitaires, d'anciens hauts fonctionnaires de l'Etat, dont l'ancien chef de gouvernement, Rédha Malek, l'ex-membre du Haut Comité d'Etat (HCE), Ali Haroun, l'ancien président de l'APN, Karim Younès, le Dr cheikh Bouamrane, président du Haut Conseil islamique (HCI)... C'est le président de l'association savante Gehimab, initiatrice du colloque, qui ouvrira les travaux de cette manifestation organisée en étroite collaboration avec une dizaine de communes constituant l'ancienne daïra de Sidi Aïch. Lors de son allocution d'ouverture, le Pr Aïssani dira en substance : "Aujourd'hui, nous vivons ici, à Sidi Aïch, un moment historique exceptionnel. L'une des figures historiques du mouvement national. Nous ne sommes pas ici pour réhabiliter un homme ou lui rendre hommage, mais plutôt pour remettre les pendules à l'heure". Avant de déplorer qu'"il est vraiment regrettable que 25 ans après sa mort, aucune institution ou autre organisation n'évoquent son nom, ni son parcours militant, encore moins son œuvre". L'orateur cédera ensuite la parole à l'ancien chef de gouvernement, Rédha Malek, sous un tonnerre d'applaudissements. "Je suis impressionné par ce rassemblement qui honore cette région de la vallée de la Soummam. Je suis très heureux de célébrer avec vous le 25e anniversaire de la mort de cet intellectuel de grande envergure. Le regretté Mohand Cherif Sahli était le précurseur de la critique historique. Il a pu retrouver l'identité de son peuple en remontant dans le temps 25 siècles en arrière. Il a retrouvé le peuple numide et nos ancêtres héroïques, notamment Massinissa et Jugurtha, ayant marqué l'histoire avant même l'avènement de l'ère chrétienne. C'est le penseur de l'idée nationale, un intellectuel algérien engagé." Décortiquant son livre Le message de Jugurtha, l'ancien président de l'Alliance nationale républicaine (ANR), expliquera que "Jugurtha avait combattu pendant dix ans l'impérialisme romain, avant d'être trahi par son beau-père, Boukechouche (marocain), qui lui a tendu un véritable guet-apens. Ce dernier, qui était de mèche avec les Romains, invita alors son gendre, le roi berbère, à une rencontre de négociations avec ses antagonistes en vue de décréter la trêve. C'est ainsi que Jugurtha tomba dans un traquenard tendu par l'armée romaine qui, après l'avoir emprisonné, l'exécuta dans une prison à Rome". Pour le conférencier, en politique, on ne doit pas faire de la confiance excessive. Et il ne faut surtout pas céder aux sentiments. Sur sa lancée, il enchaînera que "l'Emir Abdelkader, lui aussi, avait combattu le colonisateur français, pendant une quinzaine d'années. Il y fut blessé à trois reprises. C'est dire son héroïsme et son courage. Cependant, il a fini par connaître le même sort que Jugurtha, puisque, lui aussi, il fut trahi par les Français en croyant à leur ‘loyauté'. Le traité dit de la Tafna qu'il signa avec l'armée coloniale, tomba à l'eau. Il n'a finalement servi que les intérêts des Français en leur permettant de se réorganiser et se préparer pour mieux frapper et mater la résistance armée menée par l'Emir Abdelkader". En guise de conclusion, le membre de la délégation ayant signé les accords d'Evian soulignera que "le message que voulait nous transmettre le regretté Sahli, à travers son œuvre, est de savoir là où il faut placer l'humanisme et la générosité. Pour lui, il ne faut croire qu'aux actes. C'est ainsi, d'ailleurs, que nos chefs historiques, à l'image de Abane Ramdane, ont exigé comme préalable à toute négociation avec la France, la reconnaissance officielle de la Nation algérienne et du droit de son peuple à l'autodétermination. Voilà la stratégie politique qui les a amenés à recouvrer l'indépendance du pays". Lui succédant, l'ancien membre du HCE, Ali Haroun dira : "Parlant du regretté Sahli, je voudrais faire le portrait d'un moudjahid, car évoquer le nom de Mohand Cherif Sahli, c'est faire un pas dans l'écriture de l'histoire de notre cher pays". N'ayant jamais usé d'une arme à feu, le défunt avait combattu la France coloniale avec sa plume. En 1930, alors que la France célébrait avec faste son centenaire de colonisation (1830-1930) de l'Algérie, des hommes braves comme Mohand Cherif Sahli défiaient l'armée française en publiant son livre de chevet Décoloniser l'histoire. Revenant sur la teneur des ouvrages de l'enfant prodige de Sidi Aïch, l'orateur estimera qu'"aujourd'hui, 25 ans après sa disparition, Sahli nous transmet son message de foi, avec lequel nous allons construire l'avenir de l'Algérie". L'allusion est faite, ici, au titre donné par Sahli à son ouvrage consacré sur l'émir Abdelkader qu'il qualifie de "chevalier de la foi". Intervenant dans un arabe classique, le Dr Cheikh Bouamrane, président du Haut Conseil islamique (HCI), s'en est pris à "certains journalistes de la presse francophone" qui, selon lui, "ont dénaturé une réalité historique, en croyant savoir à travers leurs écrits que l'émir Abdelkader avait fini par capituler devant l'ennemi. Chose qui est complètement fausse !" Par ailleurs, le responsable du HCI promet de rééditer les ouvrages de feu Sahli et de les distribuer à travers le territoire national afin de faire connaître son parcours militant et sa pensée en tant que philosophe et historien. Pour sa part, Fouad Bouattoura, directeur général du protocole au ministère des Affaires étrangères affirme que "M. Sahli avait qualifié l'Emir Abdelkader, dans le livre qui lui a dédié, de ‘Socrate Algérie'". Pour lui, "Sahli était un militant nationaliste de la première heure. Je l'avais connu en 1971, quand il était venu à Prague en tant qu'ambassadeur d'Algérie, après avoir occupé pendant six ans le même poste en Chine. Nous l'avions reçu avec beaucoup d'appréhension, mais nous avons fini de découvrir en lui des qualités morales et humaines extraordinaires, telles que l'intégrité, la rigueur, la modestie, le sérieux, la compétence, le militantisme...". Le Pr Zahir Ihaddaden, ancien directeur de l'Institut du journalisme à Alger, témoignera que "contrairement aux enseignants français qui entraient en classe avec des bâtons à la main, Mohand Cherif Sahli n'a jamais frappé un élève. Il fut muté dans une école primaire à Toudja pour y exercer en tant qu'instituteur, lui qui était agrégé en philosophie. J'ai lu au moins 20 fois son livre Décoloniser l'histoire que j'ai bien analysé. En somme, j'ai déduits que l'auteur parlait de trois déterminismes qu'il avait eu à remarquer chez les historiens occidentaux de l'époque. A savoir : le déterminisme géographique, le déterminisme racial et le déterminisme sociologique. Les historiens coloniaux ont réduit l'histoire de notre pays à six dominations qui se sont étalées sur trois siècles. Or, nous avons 50 siècles d'histoire. En plus, toutes les dynasties qui se sont succédé en Algérie durant les huit siècles de la domination musulmane sont des berbères. C'est M. Sahli qui m'avait incité à écrire le livre que j'ai intitulé L'histoire décolonisée du Maghreb". Invité à prendre la parole, le Dr Djamel Sahli, dentiste de profession et proche parent de l'intellectuel disparu, fera lecture d'une longue déclaration dans laquelle il dresse le portrait presque exhaustif de son cousin. "J'espère que ce jour sera la résurrection de la pensée et de la mémoire de Mohand Cherif Sahli, longtemps et pour quels motifs occulté de la scène historique de notre pays ? Comment peut-on être fier d'un pays sans mémoire ? Les grands hommes ont existé et existent encore et doivent avoir une place de choix dans nos cœurs et nos pensées. Honorons-les en les faisant connaître à notre jeunesse, à notre peuple, afin qu'il soit fier d'être Algérien", tonnera-t-il d'emblée. Après s'être attardé sur la biographie de son cousin décédé le 4 juillet 1989, à Alger, l'orateur fera lecture de quelques extraits de la lettre que lui a envoyée, le 18 juillet 1989, Mostefa Lacheraf, l'un des meilleurs amis du défunt. "J'aimerais tellement que vous m'écriviez pour me parler des derniers moments de mon cher et vieil ami, Si Mohamed Cherif, à qui me liaient 43 années de vie politique et intellectuelle, consacrées par nous deux, en commun à l'Algérie, à la connaissance de son passé, à ses luttes, à ses gloires et à ses épreuves. 43 années d'entretiens, de confrontations de nos travaux et recherches historiques, de correspondances, de militantisme au sein du PPA-MTLD, puis du FLN au temps de la guerre (...). Je pense qu'il ne faudrait pas ‘bazarder' ses livres, ses notes de travail, ses manuscrits et lettre reçues de ses amis et anciens compagnons de lutte." K. O. Nom Adresse email