Toutes les belles choses que l'on a vues cette année à Béchar dans le cadre de la 8e édition de ce rendez-vous augurent de beaux jours pour le diwane. Il n'est peut-être pas anodin, une semaine après sa fin, de revenir sur les moments forts de la 8e édition du Festival national de la musique diwane, qui s'est tenu à Béchar (stade Ennasr pour les scènes, la Maison de la culture pour les conférences et la master class, hôtel Antar pour les ateliers), du 23 au 29 mai derniers. Le festival évolue bien, mais reste tributaire des moyens financiers qu'il aura pour les prochaines éditions, car la qualité y est ; reste l'argent pour la préserver et l'enrichir. Ce festival semble s'inscrire dans la continuité et dans la concrétisation de ses engagements. Par exemple, parmi les recommandations de la 7e édition (rédigées par des universitaires, des journalistes et des invités), l'organisation d'un rituel diwane, appelé "Lembita" à Béchar. S'il n'a pas été restitué dans sa totalité, une reconstitution a permis de saisir les grands et forts moments qui le caractérisent. La troupe Diwane ammi Brahim de Béchar a, au lendemain de l'ouverture de la 8e édition, présenté les plus importantes étapes du diwane, de "Trig (la voie du rituel) cherguia". Une louable initiative des organisateurs, une manière de découvrir des aspects cachés d'une pratique qui ne nous parvient, nous autres non-initiés, que par la musique qui transporte, mais aussi par le récit fragmentaire et souvent contradictoire des héritiers de cette tradition. L'originalité, la créativité qu'on demande si souvent aux diwanes est peut-être à chercher de ce côté-ci, du côté de l'espace sacré, où se crée une incroyable énergie, une ambiance de partage, de solidarité, de convivialité. Autre bonne idée des organisateurs : les ateliers organisés les après-midis ("Territoire et culture", "Le rôle des festivals dans le développement local"), un espace de débat libre qui a permis, par son côté informel, de délier les langues et de constater que les diwanes ne savent pas encore comment gérer l'espace scénique ni ce qu'ils souhaitent présenter ou montrer de leurs pratiques. Les diwanes semblent chercher un sens à la scène. Si certains jouent le jeu, d'autres rament encore parce qu'ils n'ont pas encore réussi à "codifier" cet espace, mais après avoir rabâché, pendant des années, les mêmes bradjs (morceaux), ils explorent aujourd'hui de nouvelles pistes, en témoignent les spectacles reprenant des bradjs "Migzawa" (comme l'association folklorique Sidi Blal de Mascara qui a décroché le premier prix, ou Megzawin gnawa de Mostaganem). Donner du contenu à l'espace scénique Pour maâlem Youcef Maâzouzi de Noujoum Diwane de Sidi Bel-Abbès, "le répertoire diwane est très riche. Si on s'entraide les uns les autres, on fera beaucoup de choses". Maâlem Houari d'Oran estime, pour sa part, que "le diwane est un art sensible, ce n'est pas évident de tout donner ou tout montrer. Il se développe progressivement et il faut le faire intelligemment. Par exemple, lorsqu'on a commencé à utiliser l'ampli et la pastille, ça a été difficile, on a été critique envers nous. Ce n'est pas facile d'apporter des changements". Beaucoup de chercheurs, d'universitaires et de diwanes présents ont souligné que pour en savoir davantage, "il faut se déplacer, assister à des rituels, rencontrer des gens". En outre, lors des conférences et des ateliers, bien souvent, le débat dérive, les propositions foisonnent et les interrogations sont devenues des obsessions, notamment, celle relative au concours qui dérange beaucoup de participants. D'un autre côté, la compétition a eu un impact positif, sur le plan musical, puisque beaucoup de formations ont vu le jour, et le nombre de participants au festival augmente chaque année. Effet de mode ou réappropriation de quelque chose qui était là, mais qu'on ne voulait pas voir ? Seul l'avenir nous le dira. Cependant, il y a lieu de noter que bien que décrié par rapport à la compétition, le festival continue d'attirer les diwanes qui prennent part au concours, bien que nombre d'entre-eux ont déjà été primés. La présence des maâlmine dans le jury est sans doute rassurante. Après avoir convié maâlem Mohamed Amine Canon de Saïda, l'an dernier, à intégrer le jury cette année, deux maâlmine ont fait partie des juges : maâlem Houari Bousmaha d'Oran (de la troupe Tourat Gnawa) et maâlem Mejbar Ben Medjbari de Béchar. Ce qui est triste est que l'on va à Béchar, on fait le plein de diwane, on retourne à Alger, on attend le Festival international du diwane d'Alger, on assiste à trois spectacles de diwane –des trois troupes lauréates à Béchar–, on remet les compteurs à zéro et on attend la prochaine édition nationale. Car la participation des diwanes au Festival d'Alger –et bien qu'il porte l'appellation diwane– reste limitée. Alors que le meilleur moyen de promouvoir cette musique est de valoriser ceux qui la pratiquent, la pérennisent, la sauvegardent, la transmettent. Que faire du Diwane ? Le diwane ce n'est pas uniquement deux festivals et quelques concerts durant le mois de Ramadhan. La musique doit être valorisée, ses praticiens également. Le regretté Maâlem Mejdoub, une véritable star dans le milieu du diwane qui "a initié trig cherguia", ammi Brahim, un maâlem et mqedem de Béchar très respecté, maâlem Benaïssa (disparu en 2008) dont la démarche musicale a eu un écho remarquable à Alger, gagneraient à être connus de tous (et pas uniquement par les amoureux de cette musique), tant pour ce qu'ils ont apporté que pour ce qu'ils continuent de représenter. Ne plus compter uniquement sur le soutien de l'Etat, encourager les initiatives indépendantes, créer des festivals régionaux, multiplier les scènes pourraient être une manière de porter cette musique et lui donner une autre dimension. Côté scène, beaucoup ont relevé "la disparition du Koyo Bongo (chanteur, diseur)", même si l'on a remarqué que beaucoup de troupes cette année avaient un maâlem qui se concentrait sur le jeu sur le goumbri et un Koyo Bongo qui se chargeait de révéler le répertoire (Sidi Blal de Mascara, Gnawa Sidi Blal de Mascara, Dar El-Bahri Ousfane de Constantine, Sidi Belal de Béchar). Par ailleurs, la revue Diwane éditée cette année par le Festival national de la musique diwane (autre belle initiative) pourrait devenir bimestrielle ou trimestrielle, avec une large participation de chercheurs, qui pourraient apporter leurs points de vue de spécialistes. Somme toute, le besoin des diwanes de (se) dire est évident, reste à les impliquer davantage –et pas uniquement dans le cadre du Festival national. Peut-être faudrait-il qu'ils s'organisent dans le cadre d'une association ou d'une fondation. Mais réussiront-ils à se mettre d'accord et à s'ouvrir encore plus sur ceux qui ne souhaitent prendre du diwane que l'aspect musical et artistique, qui envisagent le diwane comme une musique avec une démarche musicienne, sans s'approfondir dans les pratiques? En tout cas, la relève est bien là, que ce soit des "wlad" (enfants) diwanes que des musiciens souhaitant pratiquer la musique, reste à savoir quelle dimension donner au diwane ? S. K. Nom Adresse email