Une Coupe du monde n'a rien d'anecdotique dans un pays où le football est venu élire domicile il y a déjà longtemps. Dès ce soir, le temps va s'arrêter et la terre cessera de tourner. Seul le ballon aura le droit de virevolter... Une fois n'est pas coutume mais le Forum de Liberté a reçu, hier, pour la toute première fois depuis son existence, un ambassadeur étranger, en l'occurrence Son Excellence Eduardo Botelho Barbosa, ambassadeur du Brésil à Alger. Arrivé récemment en Algérie, l'hôte de Liberté s'est réjoui de cette première et du fait que la Coupe du monde qui va se dérouler à compter d'aujourd'hui dans son pays ait autant donné de visibilité à sa représentation diplomatique, "une coïncidence heureuse", considère-t-il, de son propre aveu. Saisissant au vol cette "opportunité unique", l'ambassadeur Barbosa a montré alors son entière disponibilité à répondre à toutes les questions, "et sur n'importe quel sujet, y compris le football...", a-t-il ajouté avec le sourire. Enthousiaste, il révèle sans ambages que son pays, qui a investi quelque douze milliards de dollars dans le Mondial, espère bien recevoir des retombées positives. "Avec un taux de 0,3% de croissance économique escompté, le Brésil table sur un effet Coupe du monde pour son développement économique. Il est attendu ainsi dès cette année une augmentation de 12% du nombre de touristes", annonce-t-il. M. Barbosa s'attend surtout, à l'issue de cet évènement planétaire, à une autre perception de son pays. "Nous aimerions que nos visiteurs et, à travers eux le monde entier, aillent plus loin que les images et les stéréotypes. La samba c'est bien mais il n'y a pas que ça ! Quand vous pensez au Brésil, il y a toujours Rio et sa carte postale. Et si ça vous fait prendre l'avion, c'est très bien. Mais le Brésil, c'est aussi 3 fois la taille de l'Algérie. C'est un pays immense. Une des caractéristiques de cette Coupe du monde est qu'elle sera éparpillée sur le plus grand nombre de sites, soit 12 villes au total. Cela va du Nordeste à la forêt amazonienne en passant par Sao Paulo et bien sûr Rio de Janeiro. Si nous avons délivré des visas de 90 jours alors que le Mondial ne dure seulement que 30 jours, c'est pour mieux faire connaître le pays. Il s'agit de voyager et connaître d'autres aspects du Brésil. Cela nous permet de montrer notre vrai visage au monde, notre manière d'être, notre société, un pays émergent..." À l'entendre, sur ce registre, le Brésil dont l'initiale forme la première lettre de l'acronyme Brics entend bien en mettre plein la vue au monde entier. Et ce, dès cet après-midi. "Le coup d'envoi va être donné par une personne tétraplégique habillée avec un exosquelette, une structure mécanique commandée par une connexion avec son cerveau. Il (ou elle) va se lever pour déclarer les joutes ouvertes. Et tout ceci grâce aux travaux d'un chercheur brésilien." C'est dire que ce Mondial va servir au pays hôte d'exceptionnelle vitrine pour montrer ce qu'il a dans le ventre et dans la tête. Le Brésil n'a pas de leçons à recevoir Interrogé sur la montée de la contestation sociale présentée comme un facteur de trouble potentiel, il s'est voulu largement rassurant. "L'interprétation des faits dans les médias ne correspond pas à la réalité. La presse étrangère notamment occidentale a décidément un parti pris avec les pays du Sud. Comme on l'a déjà vu, lors du Mondial en Afrique du Sud, les reportages sortent souvent de l'objectivité." Malgré son ton mesuré pour ne pas dire diplomatique, l'ambassadeur ne comprend pas le pourquoi de cette levée de boucliers. "C'est pourtant un moment de trêve olympique. Dans la Grèce antique, on ne pouvait jamais attaquer la ville qui allait abriter les jeux. C'est un moment sacré et propice pour justement parler de paix..." Venant aux faits, il révélera que les mouvements de revendications salariales ont été résolus "d'une manière ou d'une autre". Sans nier l'existence de quelques difficultés, l'ambassadeur brésilien a tenu à préciser qu'il y a également "des gens qui veulent profiter de cet évènement hyper-médiatisé pour se faire entendre". Interpellé par un représentant d'Amnesty International au sujet de la vague de répressions qui s'est abattue notamment sur des manifestants, grévistes du métro de Sao Paulo, l'ambassadeur défendra bec et ongles son pays dont il est, du reste, un diplomate. "On a sans doute beaucoup de tensions sociale et salariale au Brésil mais tout s'y déroule de manière transparente. Les manifestants ont immobilisé toute une métropole sans retourner au travail. On négocie autour d'une table et non pas dans la rue." D'après lui, la nécessité d'utiliser la police s'est imposée car il y a eu surtout "des actes de vandalisme". "Il ne faut pas faire de démagogie. La coupe ne va pas résoudre tous les problèmes qu'on remet à plus tard. De même qu'elle ne va pas remettre en cause le processus politique. D'après lui, même s'il y aura des manifestations ponctuelles, cela ne va pas perturber outre mesure le Mondial." Dans sa volonté de remettre les pendules à l'heure, l'ambassadeur Barbosa révélera que les dépenses du Mondial n'ont rien ôté du budget de la santé ou de l'éducation. "Au contraire !" D'après lui, les Brésiliens devraient se réjouir de disposer de nouvelles installations notamment "multimodales" qui seront rentabilisées au fil du temps. "Le droit de manifester est garanti autant que celui de voir un match pour celui qui a acheté un billet pour le stade", a déclaré, rapporte-t-il, l'ancien président Lula qui n'est autre qu'un ancien... syndicaliste. L'ambassadeur Barbosa, qui fait figure ici d'avant-centre en position offensive, n'a pas manqué de rappeler à son auditoire que l'actuelle présidente du Brésil, Dilma Roussef, était une militante d'extrême gauche qui avait été emprisonnée. Tout ceci pour dire que "la question sociale est très présente au Brésil". Et pour cause ! "Au cours des dix dernières années, le Brésil a connu une accélération considérable du progrès social. 30 millions de personnes sont sorties de la misère pour rejoindre la classe moyenne basse." Parmi les motifs de son optimisme, le fait que le Brésil ait eu à organiser durant la décennie écoulée plusieurs "méga-événements" (Jeux panaméricains, Coupe de la Confédération, Jeux militaires). "Cela s'est toujours bien passé et cette fois aussi, cela se passera bien." L'ambiance de la Coupe du monde est déjà installée au Brésil. "Ça commence à chauffer... Nous sommes prêts." D'après lui, dès que le ballon va rouler, toutes les appréhensions vont se dissiper. "Tout va se passer de manière ordonnée. L'accueil des équipes étrangères et la réaction populaire qui s'en est suivie sont déjà le signal que le pays est fin prêt." Interrogé enfin sur les relations bilatérales entre l'Algérie et le Brésil, l'ambassadeur Barbosa s'est félicité de leur "excellence". "Sur les grands thèmes de l'agenda international, on est d'accord." Quant à son pronostic, il reconnaît l'immense défi pour les Brésiliens. "Avec l'avantage du terrain, on va jouer, certes, chez nous en position de favori. Ce qui est également une lourde responsabilité d'autant plus avec une équipe de jeunes qui a peu d'expérience du Mondial. Ceci dit, je garde bon espoir." Et quid de l'Algérie ? Peut-on avoir une équipe de football performante dans un pays qui ne l'est pas ? Contrairement au Brésil, l'Algérie, comme chacun sait, ne produit rien. Ou presque. Le pays a, aujourd'hui, les bras cassés. Et d'une certaine manière, les jambes aussi. Pour l'ambassadeur du Brésil, l'Algérie peut créer néanmoins la "surprise". On se demande comment. Car dans le cas d'espèce, il ne s'agit pas de gagner mais de savoir perdre. Même la défaite doit être assumée au Brésil avec panache et doit être perçue comme une condition nécessaire à un succès futur. Positivons car le chemin est long. Sans jouer aux oiseaux de mauvais augure, ce qui n'a rien d'amusant, il est à peu près certain que l'Algérie ne sera pas en finale de Coupe du monde, pas avant au moins 50 ans. C'est pourquoi, on n'est pas près de revoir, de si tôt, ce cher monsieur Barbosa, un ardent défenseur de son pays. Parce que promesse d'une nouvelle invitation au Forum lui a été faite si... l'Algérie battait le Brésil en finale. M.-C. L. Nom Adresse email