Venant de la bouche d'un locataire de la Maison-Blanche, la reconnaissance de la pratique de la torture par les Etats-Unis constitue un aveu sans précédent, qui jette l'opprobre sur le pays chantre des libertés. En évoquant vendredi, lors d'un point de presse à la Maison-Blanche, la prochaine déclassification d'un rapport parlementaire sur les techniques d'interrogatoire employées par la CIA entre 2002 et 2006, le président américain a surpris tout son monde en annonçant que les Etats-Unis avaient fait des choses "contraires" à leurs valeurs. Poursuivant sur sa lancée, Barack Obama surprendra encore davantage son auditoire en reconnaissant clairement : "Nous avons torturé des gens." C'est une déclaration que l'on ne s'attendait pas à entendre de la bouche d'un président américain. Mais, à voir le cheminement du locataire du bureau ovale, qui avait pour principal objectif, depuis son arrivée il y a six ans à la Maison-Blanche, de fermer le centre de Guantanamo où sont regroupés tous les suspects des actions terroristes menées contre les Etats-Unis ou leurs intérêts, on a l'impression qu'il accélère la cadence pour réaliser les réformes dont il avait la charge. À travers ce terrible aveu, il ternit l'image des républicains, pour peut-être mieux les écarter de la course à la prochaine présidentielle américaine, à laquelle il ne participera pas en raison de la limitation des mandats, mais dont la principale favorite est la démocrate Hillary Clinton. Et cette dernière pourrait avoir pour mission d'achever les réformes que Barack Obama n'avait pu concrétiser parce qu'il n'avait pas les coudées franches en raison des bâtons que lui mettaient dans les roues les élus républicains à la Chambre des représentants et au Sénat. Au-delà du fait qu'il noircit le bilan de George Walker Bush, qui avait tout permis aux agences du renseignement américain et au FBI dans le cadre du "Patriot Act", le président US porte ainsi un rude coup aux républicains à mi-chemin de la prochaine élection présidentielle. Tout en appelant pourtant à se tenir à l'écart des jugements moralisateurs, Barack Obama a déclaré : "Lorsque nous avons utilisé certaines techniques d'interrogatoire poussé, des techniques que je considère et que toute personne honnête devrait considérer comme de la torture, nous avons franchi une ligne." Lui, qui avait déjà utilisé le terme "torture" par le passé sans pour autant se livrer autant sur sa vision de cette période. Il y a lieu de rappeler qu'après les attentats du 11 septembre 2001, la CIA a capturé des dizaines de personnes soupçonnées de liens avec Al-Qaïda et utilisé des "techniques d'interrogatoire musclé". Ces méthodes comprenaient la privation de sommeil, la mise à nu du détenu, ou encore la simulation de noyade. Cette sortie médiatique du patron de la Maison-Blanche constitue en fait une suite logique des derniers événements qui ont touché les services du renseignement US, notamment l'affaire WikiLeaks et celle de l'agent Snowden, qui avaient permis de révéler d'importantes informations sur leurs agissements, particulièrement en matière d'espionnage des dirigeants des autres pays. Devant la gravité de leurs révélations, qui a obligé la Maison-Blanche à s'expliquer et à se justifier aux yeux de ses interlocuteurs étrangers, les Etats-Unis ont tout tenté pour les extrader afin de les juger, en vain. Cela étant, le rapport parlementaire américain, dont la publication devrait intervenir rapidement, est au cœur d'une tempête qui avait éclaté en mars dernier, quand la présidente de la Commission du renseignement du Sénat, Dianne Feinstein, avait publiquement accusé la CIA d'avoir fouillé les ordinateurs utilisés par des enquêteurs de sa commission. Après avoir vigoureusement contesté dans un premier temps tout agissement déplacé de ses équipes, le directeur de la CIA, John Brennan, s'est — fait sans précédent — excusé cette semaine auprès de responsables du Sénat. M T Nom Adresse email