L'auteur malien est, depuis le 1er septembre et jusqu'au 5 octobre, à Alger, en résidence à Dar Abdeltif (siège de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel), pour achever l'écriture de son roman la Beauté du mensonge (titre provisoire). Il revient, dans cet entretien, sur son texte en cours d'élaboration, son œuvre et son rapport à l'écriture. Liberté : Quels sont, selon vous, les avantages d'une résidence d'écriture ? Ibrahima Aya : Je suis auteur, et en même temps, je suis ingénieur agronome, j'exerce donc un métier qui me prend énormément de temps. Je travaille aussi au sein d'associations, donc il est important d'avoir un moment de concentration pour avancer rapidement sur un projet. Pour moi, une résidence, c'est essentiel, parce que je me fixe un objectif et j'essaie de m'organiser et de faire appel à l'inspiration pour m'accompagner dans ce temps-là qui m'est imparti. Vous terminez l'écriture de votre roman la Beauté du mensonge. Pourriez-vous nous parler de ce nouveau texte ? Ça parle d'énormément de choses, mais c'est une histoire de rédemption. Ça se passe dans un pays qu'on appelle le Pays des Eclipses, et au lendemain de l'une de ces éclipses, un jeune homme passionné de danse est violenté et échappe de peu à la mort. Il décide alors, pour vivre et compter, de changer de nom. Plus tard, il devient assez important, et pour dominer, il décide de créer une usine qui fabriquerait des humains à son image. L'entreprise se met en place, mais au détour d'une rencontre, il apprend que le jour où il avait été presque mis à mort, il avait ensemencé l'espoir qui donnera naissance à la future reine de beauté du pays. Il décide de tout abandonner et part chercher son âme enterrée quelque part dans le désert. Il entreprend aussi ce voyage parce qu'il rêve de pouvoir assister au mariage de cette fille avec un fou. C'est un dialogue entre la fiction et l'histoire du Mali. C'est aussi une grande histoire d'amour et de passion dans un pays qui retrouve, après tant d'années d'éclipses, un peu le soleil et la lune. Vous êtes-vous inspiré de contes ou de légendes populaires pour l'élaboration de ce texte ? C'est purement de la fiction, et peut-être que mes fictions gardent toujours les pieds sur terre parce que je suis agronome. Ce sont toujours des fictions qui traversent aussi des faits de l'histoire et de la mémoire collective, donc ça ne reprend pas forcément des choses qui existeraient déjà, c'est purement une histoire inventée, mais on peut faire une lecture en filigrane de l'histoire du Mali. Vous êtes scientifique de formation. Comment en êtes-vous venu à la littérature ? J'ai toujours été partagé entre mon parcours de scientifique et une passion pour la littérature. J'ai grandi dans un milieu où on lisait beaucoup, et donc j'ai toujours gardé cette passion, et j'ai toujours su adapter tout ce que je fais à ces deux choses-là. Après mes études d'agronomie en Moldavie, je suis rentré au Mali et je me suis dit que j'avais aussi des petites choses à dire. Je revenais dans un pays où je savais qu'on ne lisait pas énormément, donc je me suis demandé comment je pouvais partager des petits textes avec le public tout en travaillant sur le langage que je voulais porter. J'ai entamé une première expérience : publier mes textes dans un journal, c'était une première au Mali, et les nouvelles publiées le premier lundi de chaque mois ont eu énormément de succès. Ensuite, j'ai publié le recueil de nouvelles les Larmes de Djoliba. Dans mes textes, je traite de tout, ça peut être juste une image ou une idée qui me donne envie d'écrire. Et comme j'ai eu la chance en tant qu'agronome de parcourir tout le Mali, j'ai énormément côtoyé de gens. Je n'ai jamais eu le temps de parler de moi dans mes écrits. Tout ce que j'ai toujours raconté, c'est parce que j'ai vu, côtoyé, touché et approché. Vous êtes donc un écrivain voyageur... Un peu, oui. Je l'ai été un bon moment parce que souvent dans mon travail, je capte des images qui deviennent des textes. J'ai énormément appris. C'est l'histoire des gens simples que je raconte et que j'ai toujours trouvé extrêmement attachants. Je n'ai pas encore fini d'écrire sur ces gens-là que j'aime beaucoup ; j'ai plein de textes dans la tête et il se trouve malheureusement que je n'ai pas assez de temps pour les écrire. Est-ce dans la nouvelle que vous êtes le plus à l'aise ? Pas forcément, c'est juste parce que dans ce dialogue, j'ai trouvé que la nouvelle c'était la forme la plus adaptée pour le public que je connaissais le mieux, le public malien, parce qu'ils ne lisent pas beaucoup, donc un texte court, ça ne leur prend pas beaucoup de temps et ça peut aller vite. Ils sont assiégés par plein de problèmes quotidiens et ils ont besoin de gagner du temps dans tout ce qu'ils font, et c'est peut être ça qui peut expliquer le succès de ces nouvelles, maintenant que je pense avoir établi avec eux disons un contrat moral, je peux avancer sur des textes plus importants. Souvent, dans mes textes, il y a à la fois de la prose et de la poésie, et c'est justement cela le langage que je veux porter. Je considère un peu que le genre est vraiment une fabrication de la littérature écrite et qu'on peut aller au-delà. De par ma tradition, qui inclut à la fois la littérature écrite et orale, l'histoire peut se raconter à travers plusieurs genres — le genre, je l'utilise pour rythmer mon écriture. C'est une écriture fragmentaire ? Je me dis seulement qu'une histoire est un vécu qu'on raconte, mais c'est aussi un rythme, et dans ce rythme, il y a un moment donné où la poésie restitue le mieux le rythme et à un autre la prose. Je fais en sorte de traverser plusieurs genres tout en racontant une seule histoire, c'est peut-être un exercice pas encore abouti, mais je continue cette réflexion. Par exemple, lorsqu'un personnage féminin à envie de dire quelque chose d'important, il le dirait à travers un chant, et un chant c'est aussi de la poésie. En fait, au lieu de le dire dans un dialogue, elle le dit dans un chant, et moi, je restitue cela dans un poème. Même dans la réalité, c'est comme ça que ça se passe dans la société que je connais le mieux. C'est un dialogue indirect. C'est ça aussi la littérature orale. Votre langue maternelle est le songhaï et votre langue d'écriture est le français... J'ai un rapport assez simple avec les choses. D'abord, je ne fais pas de fixation. Le français, c'est une rencontre à la suite d'un contact brutal, c'est le produit pratiquement d'un viol, mais à un moment donné, il faut dépasser cela ; et ce n'est pas vécu de la même manière par tout le monde. J'ai appris le français et je reste dans ce rapport qui me dit que c'est une langue que j'ai apprise, et dans tout ce que j'ai appris, j'essaie d'en tirer le meilleur possible. Chez nous, on considère que lorsqu'on parle une langue, il faut essayer de la bien parler, parce que dès qu'on apprend une langue elle devient aussi votre langue, et comme on est très métissé, on apprend beaucoup de langues en même temps, et donc, on a un rapport peut-être moins conflictuel avec les langues d'où qu'elles nous viennent. Mais en tant qu'auteur, je suis dans un jeu, j'essaie — puisqu'il s'agit pour moi d'écrire l'oralité — de prendre des langues écrites, y compris le français, ce qui fait aussi la force de l'écriture, la densité par exemple. Même si l'oralité me donne la force de l'improvisation, l'écriture me donne cette capacité à densifier les choses, à les harmoniser, les condenser. J'essaie d'utiliser ce qui peut me servir de part et d'autre pour travailler mon langage propre, ce qui fera mon style. J'ai un rapport apaisé avec le français, avec toutes les langues que j'apprends. Vous êtes secrétaire exécutif de l'association Fonds des prix littéraires au Mali qui organise un festival littéraire. Parlez-nous de cette association... C'est une association indépendante qui rassemble des auteurs et des éditeurs, et qui organise un événement qui s'appelle la Rentrée littéraire du Mali. C'est un festival littéraire qui s'organise autour d'une série de manifestations qui comprend des cafés littéraires, des débats à l'université, des conférences, des spectacles, des dédicaces dans les écoles, des rencontres dans les librairies et dans plein de centres culturels à Bamako, et qui invite des auteurs du Mali et d'ailleurs. Ce festival, qui existe depuis 2008, était organisé en biennale, mais à partir de 2015 (la prochaine édition aura lieu du 24 au 27 février 2015), il deviendra annuel. Des prix littéraires sont aussi décernés lors de cette manifestation. De l'écriture, vous êtes passé à l'édition (vous êtes cofondateur des éditions Tombouctou)... Avec une amie qui est aussi auteure, on a pensé qu'on pouvait faire de l'édition. On est parti du constat que c'était difficile pour des jeunes porteurs de textes de se faire éditer et on a créé cette maison qu'on a appelé Tombouctou parce que je viens de cette région et parce que c'est un clin d'œil au patrimoine —Tombouctou, c'est la cité des manuscrits. Et depuis, la maison marche pas mal, et édite justement des jeunes auteurs, mais aussi des auteurs confirmés dans différents genres (roman, théâtre, poésie, essai, BD pour enfants). La maison fait aussi de la coédition avec des éditeurs étrangers, et plusieurs ouvrages de cette maison ont été imprimés en Algérie, en partenariat avec les éditions Apic, parce qu'on sait qu'il y a une bonne imprimerie ici, car les ouvrages doivent avoir une certaine qualité. Qu'en est-il de la diffusion de ces ouvrages dans le continent ? On va travailler aussi avec nos amis algériens, y compris avec les éditions Apic, pour améliorer cette diffusion, et ça peut aussi l'être dans l'autre sens pour améliorer la diffusion des ouvrages des auteurs algériens vers l'Afrique au sud du Sahara. Il y a énormément de choses à partager, mais je pense que de part et d'autre, on commence à prendre ça en compte et à sortir du triangle qui consiste à passer par Paris. La question maintenant est qu'est-ce qu'on fait ici en Afrique pour mettre en valeur ceux qui sont ici sur le continent et ceux qui sont partis et qui ont envie aussi d'être présents. Il faut vraiment créer la masse critique des lecteurs qui permettrait d'inciter les uns et les autres à s'inscrire dans cette dynamique-là, ça peut prendre du temps, mais c'est possible. Il faut juste mettre en place certaines choses, savoir mobiliser les ressources qu'il faut et d'en faire une priorité. C'est une question de volonté politique d'abord, il faut une volonté aussi des professionnels, de la formation, des infrastructures ; c'est toute une filière à professionnaliser et à organiser, et il faut aussi beaucoup d'espaces de partage. Créer des vocations, donner envie aux gens d'écrire, de publier, de produire, d'inventer... Ce n'est pas évident, mais il n'y a rien d'impossible. Ce n'est pas évident, surtout actuellement avec tous les problèmes que traverse l'Afrique... Je pense quand même que les Africains doivent intégrer le fait que la culture aussi peut aider à résoudre beaucoup de ces problèmes. Il y a tant de violence, et la violence, c'est aussi souvent dû à la négation de l'autre, or l'écriture c'est inventer l'autre tous les jours. La création peut aider parce que l'objet de la création, c'est toujours l'autre. Je considère que la culture fait partie des urgences.