Dans cet entretien, le premier responsable de l'association évoque les contraintes au développement de l'industrie pharmaceutique en Algérie. Liberté : Comment décririez-vous la situation de l'industrie pharmaceutique, aujourd'hui ? Abdelouahed Kerrar : La situation de la filière pharmaceutique est plutôt contrastée. On peut parler d'un marché national en pleine croissance, avec une demande de produits de santé qui enregistre une augmentation significative au cours des six dernières années, ce qui signifie en pratique que les médicaments sont de plus en plus accessibles aux citoyens les plus modestes. Les producteurs nationaux ont largement bénéficié de cette embellie : avec un taux de croissance de plus de 12% depuis 2008, la filière pharmaceutique est celle qui connaît les meilleures performances dans l'industrie nationale, c'est la seule à avoir gagné des parts de marché aux dépens des importations. Cela est dû, selon nous, à l'engagement des investisseurs nationaux, mais aussi et surtout aux mesures de protection du marché interne prises par le gouvernement en 2008. Cela étant, il y a encore un champ de progrès considérable, pour peu que le système qui cadre notre activité (prix, enregistrement, remboursement, contrôle, etc.) se mette à niveau. Quelles sont les raisons qui font que la production locale dans l'industrie pharmaceutique évolue toujours dans une proportion, relativement pas bonne, pendant que la facture d'importation prend de l'ampleur ? Le gouvernement avait fixé en 2010 un objectif de couverture de 70% des besoins nationaux en médicaments, à l'horizon 2014. Dans cette perspective, l'Union nationale des opérateurs de la pharmacie (Unop) avait proposé des recommandations très précises identifiant tous les obstacles à surmonter pour atteindre l'objectif ambitieux de substituer 1 milliard de dollars par la production. Ces recommandations, simples et peu coûteuses, n'ont pas été suivies, ce qui explique sans doute que nous en soyons seulement à 40% de parts de marché pour la production locale. Multiplier par dix la valeur de la production en une décade représente un effort important consenti par les producteurs, mais reflète aussi le volontarisme et l'engagement de certains fonctionnaires qui ont accompagné, comme ils le pouvaient, avec des moyens sommaires, la croissance de notre filière. Il faut ajouter à cela que le problème, aujourd'hui, n'est plus celui des capacités de production, celles-ci couvrant déjà largement cet objectif des 70% ; en fait, avec plus d'une centaine d'unités en cours de réception (qui s'ajouteront aux 77 déjà opérationnelles), on peut même prévoir très prochainement un problème de surcapacités pour lesquelles il faudrait d'ores et déjà envisager des débouchés à l'exportation. Le tarif de référence, qui sert de base dans le remboursement de médicaments, pose problème. Qu'en pense l'Unop ? A la base, il faut rappeler que le tarif de référence est une nécessité absolue pour assurer une régulation efficace du marché et surtout pour garantir un équilibre à long terme des caisses de Sécurité sociale qui sont, comme chacun le sait, un des piliers de la politique nationale de santé publique. Ce qu'il faut souligner aussi, c'est que ce système n'a pu être mis sur pied que grâce à l'appui des producteurs nationaux qui, en mettant sur le marché des produits de qualité à bas prix, ont fourni au gouvernement le socle indispensable qui l'a aidé à fixer des prix concurrentiels servant de référence au remboursement par la Sécurité sociale. Toutefois, la gestion courante de ce système des tarifs de référence génère, avec le temps, un certain nombre de contraintes qui nuisent à ces mêmes producteurs qui ont aidé à sa mise en place. Globalement, ces contraintes sont de quatre ordres : il y a absence de coordination entre l'autorité de santé qui fixe le prix public du médicament et celle de la Sécurité sociale qui fixe le seuil de remboursement. Les délais très longs entre ces deux décisions de 3 à 18 mois qui devraient être simultanées dans un monde bien fait, représentent un coût financier énorme pour les producteurs ; les changements trop fréquents de ces tarifs de référence nous empêchent de concevoir des prévisions de production et de financement cohérents avec le coût élevé de nos investissements ; le système des tarifs de référence conduit, selon notre constat, à une forme de spirale à la baisse des prix qui est, certes, compatible avec l'objectif immédiat d'équilibre des caisses de Sécurité sociale, mais qui est à terme mortelle pour les producteurs nationaux ; enfin, il y a une forme d'incohérence dans l'approche de fixation de ce tarif. Tous les importateurs de médicaments devaient mettre en place des unités de production. La loi les y oblige. Où en sont les choses à ce sujet ? A notre connaissance, cette mesure est appliquée. Nous sommes le seul secteur où le statut d'importateur pur n'existe plus. Comme je vous le disais plus haut, il y a aujourd'hui plus d'une centaine d'unités en construction qui devraient entrer en production dans les prochains mois ou les toutes prochaines années. C'est un investissement considérable estimé par l'Unop a 1,5 milliard de dollars. Ces capacités, une fois opérationnelles, dépassent très largement le seuil des besoins nationaux et il faudrait donc commencer dès à présent à prospecter des débouchés externes. De même qu'il faudrait songer de toute urgence, pour donner une chance à tous ces jeunes promoteurs, à réformer en profondeur et à moderniser l'ensemble de notre cadre réglementaire. Notre espoir est que cet énième appel puisse être entendu par nos autorités. Y. S.