Taos regarde sa fille à la dérobée. Wassila avait pris quelques kilos, et c'est tant mieux. La femme est belle avec ses rondeurs. Qui a dit que les hommes préfèrent les minces... ? Elle secoue sa tête. Ces femmes «spaghetti» qui passent — à la télé, et qui gardent une ligne ultra fine à coups de privations et de régimes draconiens, n'étaient pas pour plaire. Leurs corps aussi plat qu'une planche à laver et leurs visages émaciés et osseux feraient fuir le plus hardi des hommes. Elle pousse un soupir nostalgique. Du temps de sa jeunesse, on gavait les jeunes filles de touted sorted de nourriture, afin de les "arrondir" à souhait dans le but d'attirer d'éventuels regards de marieuses ou de mères ayant des garçons en âge de fonder un foyer. Elle en connaissait un bout, car elle-même accompagnait souvent sa mère à des fêtes ou à des rencontres féminines, et se tenait toute droite, les yeux baissés et la mine sérieuse. Des femmes s'approchaient d'elle, la détaillaient du regard, ou allaient même jusqu'à la toucher afin de s'assurer qu'elle était bien en chair et pourrait faire une bonne épouse et porter une nombreuse progéniture. Elle s'était mariée à tout juste dix-huit ans. Pourtant sa propre mère lui avait à maintes reprises reproché ouvertement son célibat endurci, allant jusqu'à suspecter certains proches de lui avoir jeté un sort. Elle soupire encore. De nos jours, les filles se marient à n'importe quel âge de leur vie. Les temps et l'époque n'étaient plus aussi rigides que jadis, et c'est tant mieux. Pourtant, comme toutes les mamans qui avaient des filles en âge d'être mariées, elle s'inquiétait pour Wassila. Sa fille frôlait la quarantaine sans qu'aucun prétendant ait daigné se présenter. Certes, il y a eu quelques tentatives. Des hommes s'étaient intéressés à sa fille alors qu'elle n'était encore qu'une jeune collégienne à peine pubère. Taos, s'était opposé à ces demandes, arguant que sa fille n'était pas encore prête à entamer une vie conjugale, et encore moins à devenir une maman, puisqu'elle-même était encore une enfant. Les années s'écoulèrent l'une après l'autre. Wassila avait quitté les bancs de l'école bien plus tôt qu'elle ne le prévoyait. Les études ne l'avaient jamais intéressée, et elle avait entamé une formation en coiffure et esthétique. à l'issue de trois années d'études, elle était parvenue à décrocher un diplôme qui la mettrait à l'abri du besoin dans le cas où ses parents venaient à disparaître. Mais pour Taos, la place d'une femme était dans son foyer. Wassila travaillait depuis des années dans un salon de coiffure non loin du quartier, et subvenait à ses propres besoins. Elle cuisinait fort bien et savait tenir une maison. Elle faisait aussi de menus travaux de couture, et sa broderie était réputée dans toute la famille, et même dans le quartier. Mais là aussi, Taos n'en tirait aucune fierté. Il y a bien des filles qui ne savaient rien faire de leurs dix doigts mais qui étaient mariées et bien casées. Elle en connaissait deux ou trois qui savaient à peine laver une serviette, mais qui n'avaient pas attendu longtemps la venue du prince charmant. Par contre Wassila... Ah ! Wassila ! Va-t-elle demeurer encore longtemps sous le toit parental ? Taos ferme les yeux et adresse une prière muette au Tout-Puissant : que sa fille trouve rapidement un acquéreur... Un mari qui la soulagera de son célibat ! Wassila, qui était en train d'étendre du linge sur le balcon, revint dans la cuisine, sa bassine vide entre les mains : -Tu sembles pensive maman... Taos secoue sa tête : -Je pensais à quelque chose. Heu... tu as terminé la lessive ? -Oui... mais ne t'attends pas à ce que je m'occupe du déjeuner. Tu sais bien que la patronne n'aime pas les retards... Sa mère lève les bras au ciel et les laisse retomber : -La patronne... la patronne... Et moi donc ? Je suis bien ta mère n'est-ce pas ? Wassila hausse les épaules : -Certes, mais je ne travaille pas chez toi... Je suis coiffeuse, et je bosse dans un salon. Taos lui lance un regard curieux : -Tu sembles un peu nerveuse ces derniers temps... Un peu trop pressée de te rendre au salon... (À suivre) Y. H.