Ce spécialiste des questions sociales plaide pour une répartition plus juste du revenu national. Liberté : Avec les augmentations des salaires des policiers, ne craignez-vous pas un effet boule de neige ? Hadj Lazib : Que cette décision fasse boule de neige, il n' y a aucun doute. Dans le secteur de la Fonction publique les rémunérations ont été, trop longtemps, bloquées. Au point où en 2008 un administrateur ou un professeur de lycée débutant touchait 1,2 fois le SNMG contre 4 au tout début des années 90. Et il en est ainsi pour tous les emplois qualifiés de l'Etat quel que soit le secteur d'activité (éducation, formation, santé, corps d'inspection et de contrôle, pourtant si indispensables dans une économie de marché....). Bien sûr durant toute cette période des ajustements ont été apportés ici et là sous la pression, selon une logique obéissant au rapport de forces mais sans cohérence d'ensemble en l'absence d'un cap ou d'un projet de développement économique et social. D'ailleurs la nouvelle ordonnance portant statut général de la Fonction publique en est profondément imprégnée puisqu'elle prévoit d'ores et déjà la possibilité de transgresser, par voie réglementaire, aux normes qu'elle fixe, au profit des secteurs des Affaires étrangères ,des Douanes, des Forêts, de la Police,des Affaires religieuses.... Auparavant on avait sorti de ce statut les députés et les magistrats mais également les personnels qui s'y rattachent. En fait,à la Fonction publique d'Etat de caractère statutaire s'est substituée, une forme inconnue ailleurs, une Fonction publique de pouvoir. Dans le secteur économique, les entreprises de production ont été mises à mal par la restructuration et la réorientation des investissements décidés à l'orée des années 80, pour une vie meilleure, disait le FLN de Chadli, Messaâdia et consorts. Dès le milieu des années 80,les entrepreneurs privés du secteur des textiles et cuirs annonçaient avoir licencié plus de 100 000 salariés. Par la suite,avec la crise de l'endettement et sur injonction du FMI, plus de 1 000 entreprises publiques ont été dissoutes, il y eut 600 000 salariés de licenciés durant la seconde moitié des années 90. Autant dire que l'action syndicale ne pouvait qu'en être marquée. Il y eut peu de mouvements sociaux, les deux dernières décennies. Mieux,sous l'effet conjugué du chômage de masse et des faibles rémunérations du principal employeur qu'est le secteur de la Fonction publique, les salaires moyens, hors secteurs de l'energie et des services telles les banques, ont évolué à un rythme beaucoup plus faible que le SNMG; ils se situent à quelques % de ce dernier. Pis encore, dans certaines entreprises privées, en l'absence de contrôle de l'Etat et de syndicats on paye allègrement en deçà sans s'acquitter des obligations fiscales et sociales(la moitié des salariés n'est pas déclarée). Au total, la part des revenus salariaux dans le revenu national est passée de 45% à moins 20%. Ce sont là quelques- uns des faits saillants du prolétariat algérien, malgré l'embellie financière qu'a connue le pays. Les milliards de dollars dépensés ont largement permis à une oligarchie d'Etat prédatrice, à une bourgeoisie compradore, celle liée à l'import et à une petite bourgeoisie réactionnaire et conservatrice de se goinfrer. Alors faut-il craindre un effet boule de neige? Il faudrait me semble-t-il l'espérer et souhaiter que le mouvement soit suffisamment ample et fort pour contraindre le gouvernement à une répartition du revenu national plus juste et plus conforme aux besoins du développement national en replaçant l'emploi, le travail et sa qualification et plus largement les conditions de vie de la force de travail au centre de toutes les préoccupations. Avec l'abrogation du 87 bis , et les concessions que l'exécutif vient de faire pour les policiers, les pompiers et les douaniers, pensez-vous que les capacités financières du pays le permettent dans un contexte caractérisé par la chute des prix du pétrole ? D'abrogation du 87 bis, pour ma part j'observe qu'il n'en est rien puisque d'une part on prévoit d'ores et déjà d'ajouter au salaire de base tout élément lié au rendement à la productivité ou aux résultats et que d'autre part on prévoit explicitement des dispositions réglementaires pour fixer les primes et indemnités à prendre encore en considération. A ce stade de l'information, je reste pour ma part ébaubi devant les chiffres qu'avancent maints experts sur les incidences financières d'une telle mesure. Pour l'instant il n'y en a aucune. A moins qu'ils ne soient au courant de ce que décidera un gouvernement qui lui à l'évidence s'est placé dans une position d'attente : logique de rapport de forces ou absence de vision quant tu nous tient... Ceci dit et pour revenir au nouveau dispositif, comment intégrer des éléments liés au rendement individuel ou collectif, par définition variables, au salaire de base ? C'est là à l'évidence une disposition qui permet à des employeurs de contrevenir au respect d'un salaire minimum applicable pour tout salarié non pas en raison de sa productivité, faut-il le rappeler mais de sa disposition au profit d'un employeur durant une période de temps fixée par la loi dans le monde moderne. La création de l'Organisation internationale du travail, bien avant toute autre de ce niveau, et sa première recommandation portant sur l'institution par les états membres d'un salaire minimum devraient être médités par nos décideurs. En second lieu, pourquoi renvoyer à la réglementation le soin de fixer les autres éléments à prendre en considération dans l'évaluation du salaire? Que ce soit une telle forme que prendrait une telle décision dans la Fonction publique personne n'en disconviendra, s'agissant du budget de l'Etat. Mais concernant le secteur économique pourquoi ne pas permettre aux partenaires sociaux d'en fixer les contenus, tenant compte de l'état de leur entreprise ou de tout autre facteur? Dans les deux cas de figures, il y a en fait une volonté manifeste de biaiser avec le principe du droit à la négociation collective prévu par les réformes de 1990 sur les relations de travail (cf également à ce sujet la Convention internationale n° 49 de 1949). Donc de nouveau, dans la Fonction publique pas d'obligation légale à consulter les syndicats autonomes et dans le secteur économique inutile de mettre encore plus à mal la représentativité plus que chancelante du syndicat partenaire aux tripartites, voire de susciter par une approche adaptée a une économie de marché l'émergence de syndicats autonomes. Quant aux contraintes financières prévisibles les travailleurs continuent à ce jour de payer les errements de la politique économique libérale sauvage ou organisée depuis les années 80,n'est-il pas temps de faire contribuer d'autres catégories ? Par exemple toutes celles qui ne payent pas d'impôts à la source, celles qui le font sur déclaration sans risque d'etre contrôlées, celles qui paient un forfait dérisoire etc. Le projet de nouveau Code du travail a provoqué un tollé général dans les milieux syndicaux. Qu'en est-il de la précarisation de la relation de travail ? La précarisation de la relation de travail ou plus précisément sa fragilisation a été engagée dès 1990, avec les nouvelles lois dans le cadre des réformes. Elle s'est aggravée au milieu des années 90, sur injonction du FMI, pour les secteurs du BTPH où les autorités ont décidé de reconvertir les contrats existants en contrats à durée déterminée, renouvelables autant que nécessaire. Et cette fragilisation prendra un caractère général avec le développement des emplois d'attente, dans le cadre de ce qui est communément appelé le traitement social du chômage où on a des ingénieurs voire des médecins recrutés pour un temps déterminé rémunérés en dessous du salaire minimum, que le salaire minimum. Cette situation n'est bien entendu pas sans conséquence sur le monde du travail. Je n'ai pas accédé au projet, mais de ce qu'en a rapporté la presse et sur la base de déclarations des syndicats il semble bien que ce qui visé ce sont les droits démocratiques accordés dans le cadre des réformes de 1990 en contrepartie du recul de l'intervention de l'Etat c'est-à-dire le libre exercice du droit syndical, le droit à la négociation ainsi que le droit de grève. La généralisation des CDD peut y concourir grandement. Dans une telle perspective, il est évident qu'on ne cherche pas à promouvoir le dialogue social si nécessaire à une entreprise moderne et au final on aboutira à des situations favorables à la confrontation. A. H.