Les députés de la majorité au Burkina Faso ont été mis en isolement dans un complexe hôtelier de la capitale pour que la population ne puisse pas les empêcher de se rendre à l'Assemblée nationale où ils devraient voter l'amendement de l'article 37 de la Constitution. Des centaines de milliers de Burkinabés ont manifesté à Ouagadougou et dans la plupart des grandes villes du pays pour s'opposer à cette révision qui permettrait au président Campaoré de briguer un troisième quinquennat. Aux prochaines élections (2015), le maître d'Ouaga en sera à son quatrième mandat : deux septennats (de 1991 à 2005) et deux quinquennats (de 2005 à 2015). En fait, il est à la tête de l'Etat depuis plus de 27 ans, suite à son coup d'Etat en 1987 au cours duquel fut tué son prédécesseur Sankara. Pour s'assurer une telle longévité, Campaore a dû réviser trois fois la Constitution burkinabée. Presque toutes les dictatures africaines ont eu recours à la révision constitutionnelle pour s'éterniser aux commandes de leur pays. Ould Taya (Mauritanie) en 1991 ; Lansana Conté (Guinée) et Ben Ali (Tunisie) en 2002 ; Eyadema (Togo) en 2003, et qui, à sa mort, sera remplacé par son fils ; Idriss Deby (Tchad) et Musseveni (Ouganda) en 2005 ; Bouteflika (Algérie) et Paul Bya (Cameroun) en 2008 ; Mamadou Tandja (Niger) en 2009 ; Edouardo Dos Santos (Angola) en 2010. Et, au Congo-Brazzaville, le président Dénis Sassou Nguesso devrait se représenter en 2016. Quand d'autres despotes n'ont, quant à eux, pas eu à recourir à la rectification. Soit parce qu'ils ne se sont pas encombrés de texte fondamental (Kadhafi) ; soit parce qu'ils disposent d'emblée d'une Constitution ne limitant pas le nombre de mandats (Moubarak). À l'ère des coups d'Etat à répétition des années 1960, 1970 et 1980, a succédé celle des révisions constitutionnelles. Dans la première période, le règne sans limites et sans échéance des premiers autocrates était parfois brutalement écourté ; dans la période actuelle, alors qu'un vent de démocratie souffle sur le monde, les despotes africains revendiquent le caractère "démocratique" de leur présidence à vie en manipulant constitutions et élections dans le sens de leur pérennité. Et depuis qu'ils ont goûté au confort de la présidence "démocratique" illimitée, ils ont, à travers leur syndicat continental, l'Union africaine, prohibé le coup d'Etat. En tout état de cause, ce n'est jamais le destin des peuples africains qui préoccupe l'UA, mais celui de leurs maîtres. Autrement, ce souci pour la condition des peuples d'Afrique se serait manifesté en Erythrée, par exemple. Véritable pays carcéral où règnent la faim et la torture. Non, au lieu de cela, nos dictateurs syndiqués se sont inventé un "mécanisme d'évaluation par les pairs" qui permet aux chefs d'Etat africains de venir solidairement, et à tour de rôle, délivrer des attestions de bonne gouvernance. La tendance à l'accaparement définitif du pouvoir par des dictateurs préalablement "élus" s'explique par la volonté d'assurer l'impunité à des régimes corrompus. Ce sont ces systèmes de prédation durable qui, désormais, font de la sanctuarisation du principe d'alternance la cause des luttes populaires en Afrique. M. H. [email protected]