Liberté : Nous voici aux derniers jours d'un ramadhan qui se sera caractérisé, une fois encore, par des dérives de différents ordres : les marchés sont devenus le domaine de détrousseurs, les rues et les routes, ceux d'automobilistes meurtriers, les lieux de travail ceux de la paresse et de la mauvaise humeur, la vie publique, un espace d'agressivité. Est-ce donc une fatalité que l'Algérie vive ainsi un mois de piété ? • Cheikh Bouamrane : Le jeûne comporte une signification spirituelle que certains de nos concitoyens comprennent mal. Il a pour message d'inviter à la bonne conduite, à la courtoisie, à la solidarité active, en plus de la piété requise et de la pratique exacte demandée aux fidèles. Malheureusement, les hommes sont les hommes, avec leurs passions, leurs intérêts, leurs écarts. Dans toutes les religions vivantes, il en est ainsi : la doctrine est claire, d'un idéal élevé sur le plan éthique ; mais son observance dépend de la culture, de la réflexion, de la conscience morale et de ses exigences. Il faut rappeler sans cesse aux croyants qu'ils doivent respecter la lettre et l'esprit du jeûne. Tel est le rôle de la mosquée, de l'école, des médias... Avons-nous bien rempli notre mission ? Je n'en suis pas sûr. Chaque fois qu'on parle de l'islam aujourd'hui, on croit nécessaire de lui accoler l'une des deux épithètes : modéré ou violent. L'expression islam modéré devrait être pourtant un pléonasme. Qu'a-t-il bien pu se passer pour qu'il n'en soit plus ainsi ? • Il est devenu courant, en effet, de distinguer l'islam authentique, religion du juste milieu, (“Nous avons fait de vous une communauté médiane”, Coran, 2/143), de tolérance et de fraternité, d'une part, des dérives que l'on constate ici ou là, lorsque ses principes sont méconnus ou piétinés, d'autre part. Par définition, l'islam est pacifique, sa racine est la paix (al-salâm). Il faut s'y tenir, par l'effort constant sur nous-mêmes et sur notre milieu social. Pour cela, nous avons besoin aussi de faire notre autocritique, sans aucune complaisance. Il y a quelques jours, la capitale du Nigeria a été à feu et à sang à la suite d'un article de presse commentant la tenue dans un hôtel de la ville de l'élection de Miss Monde. Pourriez-vous faire un commentaire sur cette facilité avec laquelle se déclenchent les violences de caractère religieux ? • La presse a rapporté les récentes émeutes qui ont eu lieu au Nigeria. D'après les faits décrits, il y a eu des provocations maladroites : organiser une rencontre de Miss Monde en plein ramadhan, dans une région où les tensions sont très vives entre chrétiens et musulmans, ajoutez à cela un article d'un journal qui a utilisé une expression irrespectueuse à l'égard du Prophète Mohammed (Qssl). Le journaliste s'est excusé et la réunion de Miss Monde a été transférée à Londres, mais les esprits ne sont pas encore calmés. Il faut déplorer les pertes humaines au cours de ces émeutes et faire intervenir les sages des deux communautés pour mettre un terme à cette situation. Malheureusement, plusieurs pays africains ont connu des débordements tragiques pour des raisons religieuses ou plus souvent ethniques, comme au Burundi, au Rwanda et ailleurs. En votre qualité de président du Haut Conseil islamique, quel message adressez-vous aux citoyens algériens à la veille de l'Aïd el-fitr ? • En ma qualité de président du Haut Conseil islamique, je m'adresse à mes concitoyens, à la veille de l'Aïd el-fitr, pour leur recommander de se respecter les uns les autres, d'observer une pratique juste de notre religion, par une conduite fraternelle dans notre société qui a besoin d'unité spirituelle, de paix et de stabilité pour nous attacher au développement, pour vaincre la pauvreté et l'ignorance et prendre notre place dans le monde civilisé, avec nos valeurs propres et notre générosité coutumière. Bonne et heureuse fête à tous (saha aïdkoum). M. A.