Liberté : RSF, qui s'est déclaré scandalisé en apprenant l'incarcération du directeur du quotidien Le Matin et du journalistes correspondant de la wilaya de Djelfa, organise aujourd'hui, à Paris, une rencontre à ce sujet. Quel est l'objectif de cette manifestation ? Robert Ménard : C'est une conférence de presse qui réunira un certain nombre de patrons de journaux algériens, des représentants du journal Le Matin, mais aussi des représentants d'organisations professionnelles et des droits de l'Homme et RSF. Son objectif est de sensibiliser les médias français et européens autour des péripéties que subit la corporation de la presse algérienne dans l'objectif de faire pression sur les autorités politiques européennes pour prendre la mesure de ce qui se passe en Algérie. Il est totalement scandaleux et vraiment inadmissible de voir des journalistes jetés en prison. Il s'agit d'une gravissime atteinte à la liberté de la presse. Et on ne peut pas accepter ce qui se passe en Algérie. Il faudra que l'ensemble des médias au niveau européen sache que Monsieur Bouteflika ne fait que mettre en application ce qu'il a toujours dit à propos de la presse algérienne qu'il ne supporte pas et qu'il déteste. Votre solidarité avec la presse se limitera-t-elle à la rencontre d'aujourd'hui ? Bien sûr que non ! La rencontre d'aujourd'hui n'est qu'une première action au cours de laquelle on devra discuter et se concerter avec l'ensemble des présents sur les suites à donner à notre action. Il est, ce faisant, hors de question de se taire ou de rester les bras croisés face à la démarche coercitive du pouvoir algérien contre la presse. Mohamed Benchicou a été condamné à deux années de prison ferme, la semaine dernière ; deux semaines auparavant, Hafnaoui Ghoul avait été, de son côté, condamné à deux mois de prison ferme. Le directeur de la publication du Soir d'Algérie ainsi qu'un journaliste de ce quotidien ont été condamnés, la semaine dernière, quant à eux, à six mois de prison ferme. Hier, le siège social du Matin a été mis sous scellés. Comment réagissez-vous à cette simultanéité dans les condamnations contre la presse ? Je crois qu'il y a quelque chose de concerté, les autorités algériennes ont décidé de faire tout pour intimider et harceler la presse. J'ai fait récemment le point avec RSF sur la situation de la presse en Algérie, on a dénombré des dizaines et des dizaines de plaintes contre des journaux. Il faut qu'il y ait à ce propos une amnistie générale. Mais le président Bouteflika n'est pas prêt à avoir une infime mansuétude à l'endroit des journalistes. Je suis très inquiet pour l'avenir de la presse. Il faut qu'il y ait une mobilisation de toute la presse au niveau européen pour que le pouvoir algérien sente qu'il y a un agacement généralisé par rapport à ce que subit la corporation en Algérie. Comment voulez-vous que les journalistes travaillent normalement quand on sait qu'il y a eu une mascarade électorale le 8 avril dernier ? Ce n'est pas parce que Chirac dit de Bouteflika qu'il est démocrate que Bouteflika est réellement démocrate. En jetant des journalistes en prison, pensez-vous que le pouvoir algérien vise uniquement la corporation ? C'est toujours pareil, le scénario est le même : on commence par intimider et avertir la presse et on fait comprendre à tout le monde que les critiques et les reproches de la gestion du pouvoir ne sont pas tolérées. En ce sens que c'est l'ensemble de la société qui est visée et qui sera réduite au silence. Le directeur du Matin, celui du Soir d'Algérie et Hafnaoui Ghoul ont été condamnés, en réalité, pour avoir dénoncé des affaires de malversation et des abus d'autorité du pouvoir. Pensez-vous que les journalistes dans leur fonction devraient êtres limités et s'empêcher de dénoncer publiquement ces affaires pour s'épargner les foudres du pouvoir ? Bien au contraire ! Le travail du journaliste est de justement dénoncer les tromperies, les abus, les affaires louches et de malversation du pouvoir. En tout état de cause, on n'emprisonne pas un journaliste pour un délit de presse, même s'il y a réellement délit. C'est contraire à toute réglementation internationale et c'est le rapporteur spécial sur les libertés d'opinion et la liberté d'expression auprès des Nations unies qui l'a dit. N. M. Mokrane Aït Larbi “Libérez Benchicou et Hafnaoui !” “L'emprisonnement de Ghoul Hafnaoui pour un délit de presse, la condamnation et l'arrestation à l'audience de Mohamed Benchicou pour “transfert illégal de capitaux” sont une preuve supplémentaire que le pouvoir utilise la justice pour régler des comptes et protéger des intérêts. Mohamed Benchicou a été condamné et emprisonné pour son livre, ses écrits et surtout la position du journal Le Matin avec d'autres titres de la presse privée pendant et après le Printemps noir de Kabylie. Au lieu de se cacher derrière un prétexte ridicule, le pouvoir devait assumer devant l'opinion un procès en diffamation pour permettre à Benchicou de présenter à l'audience publique des preuves sur la véracité de ses écrits en citant à la barre des personnalités historiques comme témoins. Nonobstant les déclarations scandaleuses des porte-parole du pouvoir et les motifs officiels de leur emprisonnement, Benchicou et Hafnaoui sont incontestablement des détenus politiques. Je dénonce l'utilisation de la justice pour régler des comptes et protéger des intérêts privés et demande la libération immédiate et sans condition de Hafnaoui et de Benchicou.” M. A. L. Procèz MDN-PRESSE Renvoyé au 26 octobre 2004 Plusieurs affaires de presse sont passées, hier, devant le tribunal correctionnel de la rue Abane-Ramdane (Alger). Ainsi, le caricaturiste, Ali Dilem, devait être jugé pour une caricature commentant le téléthon organisé suite aux inondations de Bab El-Oued, et dans lequel il épinglait les généraux. L'affaire a été renvoyée au 26 octobre 2004. Une autre affaire concernait, outre notre caricaturiste, le chroniqueur Sid Ahmed Semiane ainsi que la journaliste Ghada Hammouche du Matin et Mohamed Benchicou, en tant que directeur de la publication de ce quotidien. Dilem et SAS avaient, lors d'un procès, tenu des propos irrévérencieux contre la hiérarchie militaire, propos qui ont été rapportés par la journaliste du Matin, ce qui lui valut des poursuites de la part du MDN. Cette affaire a été, elle aussi, renvoyée au 26 octobre prochain, de même que toutes les autres liées au délit de presse. R. N. Communiqué du Collectif du Matin Report du rassemblement prévu aujourd'hui En raison du déroulement du procès de Hafnaoui Ghoul, programmé aujourd'hui au tribunal de Djelfa, et des multiples activités de protestation à l'étranger auxquelles sont conviés les journalistes de la presse indépendante, le collectif du Matin fait savoir que le rassemblement prévu aujourd'hui au niveau de la place de la Liberté de la presse est reporté à une date ultérieure. Le collectif du Matin