Benchicou n'est pas plus en prison qu'il ne l'était. Et que ne l'est la grande masse des Algériens. Les plus libres d'entre nous ne sont-ils pas ceux qui ont les moyens de s'absenter de ce pays ? À commencer par ceux qui décident de notre sort. Il est vain de vouloir faire porter un habit de droit commun à un procès politique. L'aveu est dans l'insistance du juge et du ministre de la Justice à proclamer que l'homme qu'ils viennent de jeter en prison était un citoyen confondu d'un délit financier. S'il en était ainsi, la précision n'aurait pas eu à être autant appuyée. Ce n'est pas la justice qui a jugé le citoyen Benchicou, c'est le pouvoir qui a châtié le directeur du Matin. Plus exactement, c'est un clan qui s'est vengé du journaliste et de l'écrivain. Mohamed Benchicou est en train de payer pour ce qu'il représente, c'est-à-dire ce qu'il y a encore de résistance vive dans notre société. Toujours aux côtés des protestations populaires ou derrière les expressions citoyennes, il a fait de son journal le support de l'insoumission nationale et de la dénonciation des impostures qui nous accablent. Il était déjà aisé de deviner le dessein funeste du régime dans le report de ce procès. Prévu d'abord pour le 31 mai, il fut différé au 14 juin. Dans l'intervalle, le président pouvait se présenter devant ses pairs du G8 en discourant sur les réformes virtuelles de la justice, sur la liberté de presse et sur les progrès de la démocratie sans l'objection gênante d'un journaliste éditeur en prison. La préméditation est flagrante et dénonce la supplique inutile et pathétique d'un pouvoir qui veut faire passer des représailles politiques pour une coïncidence judiciaire. De toute manière, un ministre a promis à Benchicou de “payer” des révélations sur ses abus passés. Le serment instinctif d'un membre du gouvernement était suspendu depuis des mois sur la tête du directeur du Matin. Sauf que même si Benchicou, en réalité, a payé pour ses écrits, la peine de deux ans de prison a été endossée comme sanctionnant une peine pour un délit qui n'en est pas un, mais qu'il fallait bien qualifier comme tel. Anticipée, prédite, la punition aurait du mal à passer pour l'arrêt de justice dont elle veut prendre la forme. Il y a là un cas manifeste de règlement de comptes politique. Le pouvoir aura été jusqu'au bout de sa logique répressive : toujours plus de brutalité. Cela ne consolera pas notre confrère d'avoir perdu sa liberté, mais d'autres citoyens ont, avant lui, enduré la rude détermination du régime. Certain y ont laissé leur vie, comme en Kabylie ; d'autres leur dignité, comme à T'kout. Au demeurant, son châtiment, il ne s'est qu'aggravé, lui qui subissait depuis des mois le harcèlement policier et judiciaire et la contrainte de l'interdiction de circulation. À ce point de résistance, marqué par le recours au procès politique même maquillé en procès de droit commun, la presse engagée aura fait la preuve du devoir accompli et la démonstration de la réalité tyrannique et archaïque du régime. On comprendra alors la brusquerie de l'ultime estocade contre la presse. Sans un sursaut, le second mandat du régime sera celui de l'achèvement de la normalisation totalitaire. La mise au cachot de liberté d'expression, dernier obstacle à l'arbitraire, en est la condition. On y est. M. H.