Ceux qui croyaient à quelques gestes “d'apaisement” de la part du pouvoir en auront eu pour leurs frais. Mohamed Benchicou ne sera finalement pas libéré. Ni la mobilisation en partie de la corporation, ni les cris d'indignation d'une frange de l'opinion, encore moins les condamnations de certaines ONG n'ont réussi à infléchir la décision des autorités. Et la sortie du ministre de la Communication, Boudjemâa Haïchour, dans laquelle certains y avaient perçu, hâtivement sans doute, quelques velléités d'apaisement, apparaît aujourd'hui comme une simple profession de foi. Mieux encore, par certains aspects, elle s'apparente à une diversion, histoire de ne pas accabler le pouvoir d'intention liberticide. Il fallait pourtant une bonne dose de naïveté pour s'attendre à un geste de “bonne volonté” du pouvoir car l'incarcération de Benchicou, programmée depuis longtemps, obéit à un schéma bien défini : d'une part, faire payer à un journaliste, de surcroît le plus talentueux d'entre tous et le plus lu, pas trop “orthodoxe”, aux yeux des forts du moment, ses écrits et son livre pamphlet Bouteflika, une imposture algérienne et, d'autre part, lancer un signal fort à l'endroit des titres qui seraient tentés de jouer les “trouble-fête” dans la politique de normalisation en cours. Cependant, le malheur pour le célèbre chroniqueur ne provient pas tant du pouvoir dont, à la limite, on peut lui concéder d'être resté fidèle à sa réputation, mais bien de ses pairs et de la classe politique. Beaucoup ont, en effet, brillé par leur absence ce mercredi lors du procès. Pis, en guise de justification à leur démission, ils brandissent les mêmes arguments que le pouvoir à savoir que Benchicou, à travers le port des bons de caisse, a commis une infraction à la législation en vigueur, et que, par ailleurs, il est coupable de “dérapages” dans ses écrits. Certains n'hésitent même pas à lui reprocher d'avoir “choisi son clan” quand d'autres enfin s'attardent sur sa “gestion” ou encore “son passé”. Comme si le fait de s'opposer à M. Bouteflika lors de la présidentielle constituait un crime de “lèsemajesté”, et un passé “irréprochable” représente un critère à la compétence et au talent. Mais à vrai dire, le recours à cette argumentation n'est qu'une manière de ne pas avoir à assumer un combat et des convictions. Encore faut-il que certains y croient réellement. À défaut d'avoir les moyens de sa politique, on fait la politique de ses moyens. Se ranger du côté du plus fort même en sacrifiant la liberté. Sinon comment expliquer qu'on feigne d'ignorer la lettre des services des douanes aux autorités compétentes ? Se reconnaissent-ils dans la République qui permet à un Benaïcha ou un Madani Mezrag de se pavaner librement quand une “plume” est mise au cachot ? Croient-ils réellement à une justice neutre ? Oui, on peut ne pas partager les idées de Benchicou, tout comme la presse a besoin de professionnalisation. Mais l'incarcération du directeur du Matin autant que celle de Hafnaoui Ghoul est d'abord une atteinte à la liberté. Et se taire devant “l'incurie” et l'autoritarisme du pouvoir relève de la couardise et participe à enterrer les illusions démocratiques d'après Octobre 88. C'est aussi trahir un combat de plusieurs martyrs. “On n'emprisonne pas une plume”, aurait dit un jour De Gaulle. Et on aurait bien aimé entendre les défenseurs de la cour le rappeler au bon souvenir du président lequel a toujours répété qu'il était un admirateur de “Jefferson” et de “De Gaulle”. K. K. Affaire Mohamed Benchicou RSF dénonce “Une justice inique” Reporters sans frontières est indignée par le verdict du procès en appel de Mohamed Benchicou, directeur du Matin (suspendu), qui a confirmé, la peine de deux ans de prison prononcée par le tribunal de première instance d'Alger. “Le pouvoir fait payer à Mohamed Benchicou le prix fort de sa liberté de parole. Avec ce verdict inique, le président Bouteflika montre qu'il ne tolère pas qu'on s'attaque à lui, lançant la machine judiciaire aux trousses des journalistes qui osent encore le critiquer. Durant ces dernières semaines, les atteintes à la liberté de la presse ont augmenté de façon vertigineuse en Algérie et les peines de prison pour les journalistes ont été confirmées en appel, voire aggravées, comme dans le cas de Hafnaoui Ghoul”, a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières. R. N.