C'est aujourd'hui que Mohamed Benchicou comparaît en appel. Il est inutile de revenir sur les motifs de sa condamnation à deux ans de prison ferme. La défense a démontré, preuves à l'appui, qu'il n'a pas dérogé à la loi. Comme nous l'avons dit et écrit, Mohamed Benchicou n'aurait jamais été condamné s'il était bien en cour et Le Matin n'aurait jamais fait l'objet d'un redressement fiscal et d'une suspension de tirage pour non-paiement de factures à l'imprimerie. Il n'empêche. Le délit pour lequel Benchicou a été condamné n'a convaincu ni les Algériens ni ses amis étrangers qui ont signé une pétition en faveur de sa libération. Pour ces derniers, le Pouvoir a commis une faute en fabriquant en quelque sorte un prisonnier politique. En le maintenant en prison, l'Algérie veut-elle rejoindre le club de ces pays arabes pour qui la seule liberté tolérée est celle de se taire ? Le président Bouteflika est-il complexé devant ses pairs du monde arabe au point de tenter de montrer en réprimant toute opposition que lui aussi possède une poigne de fer ? Ou alors subit-il des pressions « amicales » de la part de ces mêmes régimes arabes qui lui demandent de mettre un terme à la liberté de ton de la presse algérienne par peur de la contagion ? On sait que certains régimes arabes se sont plaints de la manière dont la presse indépendante traite la situation qui prévaut dans leurs pays respectifs. Ces régimes souhaiteraient que la presse algérienne, à l'instar d'une certaine presse arabe, leur tresse des lauriers... Et pour ce faire, il faut la mettre au pas ! Pour autant, le Pouvoir actuel devrait s'enorgueillir d'avoir la presse la plus libre du monde arabe. En raison de son passé prestigieux, des sacrifices consentis pour sa libération et aujourd'hui pour avoir su contrer la menace islamiste, l'Algérie n'a pas à ressembler à ces pays dits frères dirigés par des régimes autoritaires ou dictatoriaux. Bien au contraire, elle devrait leur indiquer la voie à suivre, à savoir celle de la démocratie, des libertés d'expression et de la presse et de la tolérance politique. On en est loin, bien sûr. Au sein du Pouvoir, certains cercles ne se sont jamais accommodés de l'existence d'une presse libre. Ils regardent avec envie certains régimes répressifs arabes. Ils souhaiteraient un pays monolithique où une pseudo-élite détenant la vérité dirigerait des masses qu'ils voudraient socio-politiquement indifférenciées. La réalité, malheureusement, est tout autre. Tout au long de leur histoire, les Algériens n'ont jamais accepté le diktat d'un quelconque groupe social ou le diktat étranger. Octobre 1988 en est une parfaite illustration. Plus près de nous, la révolte kabyle et toutes ces émeutes sociales, uniques dans le monde arabe, en sont une autre démonstration. la liberté C'est ainsi. On ne peut changer de peuple. Et les journalistes, quels que soient les excès émaillant leurs écrits, sont les enfants de ce peuple et s'en font à leur manière les interprètes mais pas leur porte-parole. Le Matin s'inscrit en droite ligne de cet état d'esprit pour que ce pays, qui a tant souffert, avance. Dans cet ordre d'idées, qu'on ne nous dise pas que Le Matin, lu par environ 100 000 lecteurs, dérange au point de faire trembler un Pouvoir qui, de son propre aveu, affirme à qui veut l'entendre qu'il est soutenu par 85% d'Algériens ! Les 100 000 lecteurs du Matin sont divers. Les uns sont nationalistes, certains marxistes, d'autres tout simplement démocrates, d'autres encore simples lecteurs. Tous ces lecteurs ne sont pas forcément d'accord avec ce qu'on écrit et certains d'entre eux n'hésitent pas à nous interpeller, mais tous partagent une conviction commune : la liberté d'expression et une information crédible. Un exemple. Sans Le Matin et ces confrères qui sont solidaires de notre combat - El Watan, Le Soir d'Algérie, El Khabar... - l'Algérie aurait-elle eu les moyens de faire face au déluge de propagande pro-islamiste durant ces dix années de guerre islamiste à l'Etat et à la société ? C'est parce que cette presse possède une certaine liberté de ton que les informations touchant à la nature de l'islamisme radical et de ses vrais objectifs ont été crédibles non seulement auprès des Algériens mais surtout auprès des étrangers. De ce fait, elle n'a pas nui à l'image du pays à l'étranger. Bien au contraire, elle a contribué à dévoiler les tenants et aboutissants de la crise algérienne, à révéler les vrais enjeux de la lutte antiterroriste, et ce, au prix de sacrifices immenses : plus d'une centaine de journalistes et d'employés de la presse assassinés. Pour toutes ces raisons, le procès de Benchicou n'aurait dû jamais avoir lieu. Il doit être libéré car la place d'un journaliste de conviction, comme c'est son cas, n'est pas en prison mais auprès de sa famille et de sa rédaction. Car, aujourd'hui, l'heure n'est pas à édicter de nouvelles règles en matière d'information. Il faut plutôt créer le cadre d'une plus grande liberté d'expression, d'une presse plurielle et crédible. Il faut, comme le recommandent les Nations unies, dépénaliser les délits de presse. « La presse n'est pas avec nous, alors changeons de presse », pour paraphraser Bertolt Brecht, semble être la formule envisagée par certains cercles du Pouvoir. Or, ces gens devraient savoir qu'un pouvoir quelle que soit sa couleur politique, ne pourra jamais bénéficier du soutien de toute la presse au risque de n'être pas crédible auprès des Algériens. L'unité nationale, les intérêts nationaux de l'Algérie sont les seuls domaines qui doivent faire consensus dans les rapports entre le Pouvoir et la presse. Le reste relève du libre débat politique contradictoire.