Mis sur le marché mardi dernier, le livre autobiographique du président américain sortant, Bill Clinton, attire surtout les curieux, pensant pouvoir en savoir plus sur sa liaison extraconjugale avec la secrétaire stagiaire, Monica Lewinsky. Trois ans et demi après son départ de la Maison-Blanche, Bill Clinton suscite toujours la curiosité des Américains. Ils étaient des centaines mardi à faire la queue devant les libraires proposant ses mémoires My life. La majeure partie d'entre eux était particulièrement intéressée par la version de l'ex-patron de la Maison-Blanche sur sa tumultueuse relation avec la secrétaire, Monica Lewinsky. Parmi les bribes d'informations rapportées sur l'œuvre de Clinton, celle-ci s'annonce comme un véritable best-seller. Le très fort tirage et le battage médiatique qui ont entouré le livre laissent augurer d'un grand succès, même si cela ne constitue guère l'avis du New York Times, qui l'a qualifié de “navet”. “Mal fait, complaisant et souvent terriblement ennuyeux” sont les qualificatifs dont a usé le célèbre quotidien new-yorkais pour parler de my life. Emballement médiatique Depuis l'annonce de la sortie de My life en librairie, les médias américains en ont fait le principal sujet de leurs éditions. Le jour de la sortie de l'ouvrage, une grande partie des librairies ont quasiment modifié leurs horaires d'ouverture. Ainsi, quelques-unes qui fermaient habituellement à minuit sont tout simplement restées ouvertes au-delà de cette heure pour permettre à leurs clients d'acquérir les premiers exemplaires de l'autobiographie de Bill Clinton, qui a pratiquement été entourée de conditions similaires à celles de la sortie de Harry Potter. Il faut dire que le matraquage médiatique qui a précédé l'événement a été payant. L'ancien locataire du bureau ovale accordait des entretiens à tour de bras à la presse. Les plus grandes chaînes de télévision, les journaux et les revues à fort tirage en ont fait leur sujet préféré. L'engouement ne s'est pas limité à New York, où l'ex-président démocrate a lancé l'opération de promotion. Il a touché les grandes villes américaines, telles que Chicago, Washington, Denver, la Floride et l'Arkansas natal de Bill Clinton, avant de gagner la côte ouest. Un best-seller annoncé Les chiffres de vente de la première journée ont dépassé les estimations les plus optimistes et battu tous les records. 400 000 exemplaires du livre ont été vendus mardi seulement. Ce pavé de 957 pages, comme l'a qualifié le New York Times, fait un tabac dans les librairies américaines où l'on se l'arrache comme des petits pains. Idem pour la version audio qui a connu un immense succès. 35 000 exemplaires ont été écoulés de cette version où Bill Clinton fait une lecture de son œuvre. C'est pratiquement dix fois plus que ce qui se faisait auparavant pour les livres à grands succès. La maison d'édition, qui a porté le premier tirage à 2 250 000 copies, n'écarte pas la possibilité de l'augmenter si les ventes poursuivent cette courbe ascendante. Jamais, de mémoire d'éditeurs, une œuvre ne relevant pas de la fiction n'a suscité autant d'engouement parmi les lecteurs. Clinton, qui a déjà perçu une avance de 10 000 000 de dollars, peut se frotter les mains. Son ouvrage est sur le point de lui rapporter une véritable fortune, si l'on se fie aux premiers résultats de l'opération. C'est la bonne affaire ! Bill Clinton se lance dans une tournée à travers les Etats-Unis dans le but de doper davantage les ventes. Monica Lewinsky, la grande tromperie Bill Clinton commence la partie réservée à son idylle avec la secrétaire stagiaire en qualifiant l'histoire de “cauchemar éveillé”. Soixante-dix pages sur les 957 du bouquin sont consacrées au scandale qui a ébranlé son fauteuil présidentiel et sa vie familiale. Il reconnaît avoir trompé tout le monde y compris le magistrat Kenneth Starr. “Je continuais mon travail, je bétonnais, niant tout ce qui s'est passé auprès de tous. Hillary, Chelsea (sa fille), mon équipe, mes amis au Congrès, les journalistes et le peuple américain… c'était comme un cauchemar éveillé”, écrit-il au sujet de cette affaire, qui a fait des choux gras dans la presse US. Ensuite, il avoue son forfait : “Au cours du blocage gouvernementale fin 1995, au moment où très peu de gens étaient autorisés à venir travailler à la Maison-Blanche et que ceux qui venaient travaillaient tard, j'ai eu une relation inappropriée avec Monica Lewinsky, et j'en ai eu à d'autres occasions entre novembre et avril, moment où elle a quitté la Maison-Blanche pour le Pentagone”. C'est dire que Clinton a mis du temps pour rompre définitivement avec celle qui a failli être à l'origine d'une procédure d'“impeachment” (destitution) contre lui au Congrès. Des remords sincères ou de circonstance ? Bill Clinton reconnaît plus loin avoir revu sa maîtresse en février 1997, durant un de ses enregistrements-radio hebdomadaires. Il affirme qu'ils sont restés seuls pendant quinze minutes. “Je me dégoûtais moi-même de faire ça”, écrit-il avant de poursuivre que, lors d'une autre rencontre à l'automne, il aurait dit à Monica Lewinsky que “c'était mal” ce qu'il avaient fait jusque-là. Etaient-ce de véritables remords ou juste une manière de couper les ponts avec elle, de peur de voir le scandale prendre une ampleur incontrôlable ? Dans son livre, il tente de convaincre ou, plus, de se convaincre lui-même que ce qu'il a fait avec Monica Lewinsky était immoral et que c'était une bêtise. “J'en étais profondément honteux et je ne voulais pas que cela se sache.” C'est une tentative de justifier sa conduite condamnable à plus d'un titre. Ses regrets sont tardifs car la durée de sa relation avec la jeune femme constitue un élément accablant. En effet, il aurait pu mettre fin à son idylle beaucoup plus tôt si son acte n'avait pas été prémédité. Avec une franchise désarmante, il met cette histoire sur le compte de ses “vieux démons” et reconnaît avoir eu cette relation avec Monica Lewinsky “parce qu'il le pouvait”. Cet aveu se passe de tout commentaire, car il démontre clairement sa volonté à l'entretenir aussi longtemps. Enfin, il admet que dans cette histoire “je devais me battre avec mes vieux démons et j'ai perdu”, avant d'ajouter qu'“il n'y a pas d'explication rationnelle” à ce qu'il a fait avec Monica Lewinsky. La confession devant Hillary et Chelsea À en croire Bill Clinton, le plus dur moment dans cette histoire a été l'instant où il a été obligé de confesser son “pêché” à Hillary Clinton. Ainsi, après avoir avoué la vérité à son épouse, il décrit la réaction de celle-ci comme suit : “Elle m'a regardé comme si elle avait reçu un coup au ventre, presque aussi en colère pour mes mensonges que pour ce que j'ai fait.” Il a éprouvé la même difficulté avec sa fille ajoute-t-il : “Je devais parler à Chelsea aussi. D'une certaine manière, c'était encore plus dur. J'avais peur de perdre non seulement mon mariage mais aussi l'amour et le respect de ma fille.” Les relations familiales se sont totalement détériorées à tel point que son épouse et sa fille ne lui adressaient pratiquement plus la parole. Il en était arrivé à supplier un pardon, au moment où il planifiait avec les stratèges du Pentagone les frappes en Afghanistan. Bill Clinton reconnaît avoir passé les pires moments de son existence au cours de cette période, où c'est beaucoup plus sa vie familiale qui a été ébranlée que sa vie professionnelle. Il raconte aussi la période durant laquelle il avait dû dormir sur un canapé tant ses relations avec Hillary et sa fille, Chelsea, s'étaient dégradées. Ben Laden, le grand échec Bill Clinton regrette surtout de n'avoir pas réussi à mettre hors d'état de nuire le patron de la mouvance El-Qaïda. Contre cet homme qui a fait trembler l'Amérique, l'ex-chef de la Maison- Blanche a tout essayé, y compris l'autorisation donnée à la CIA pour utiliser “une force mortelle” et des opérations coup-de-poing. À deux reprises, Clinton a cherché à mettre sur pied une force spéciale pour capturer Ben Laden, sans obtenir l'aval de ses stratèges militaires du Pentagone. Une année à peine après sa prise de fonction, soit en 1993, l'ex-président US affirme s'être intéressé au cas du fondateur d'El-Qaïda. À la suite des attentats de Dar Es Salem (Tanzanie) et de Nairobi (Kenya) de 1998, Bill Clinton a concentré tous ses efforts sur la manière qui permettrait l'arrestation ou la liquidation d'Oussama Ben Laden. L'impossibilité de mettre la main sur l'ennemi public numéro un des Etats-Unis est sa plus grande déception, avoue-t-il. Il a averti son successeur, George Walker Bush, sur la gravité du danger que représente la nébuleuse El-Qaïda. Irak, critiques contre Bush Dans le chapitre consacré au conflit irakien, Bill Clinton n'a pas ménagé l'actuel président. D'entrée, il assure qu'il n'aurait jamais engagé les troupes américaines dans une guerre contre l'Irak, avant que l'ex-inspecteur principal de l'ONU, le Suédois Hans Blix, n'eut ficelé son rapport sur les armes de destruction massive irakiennes. Il impute directement la responsabilité du déclenchement des hostilités contre le régime de Saddam Hussein au vice-président Dick Cheney et au numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz, qui ont convaincu Bush que les “Irakiens se porteraient mieux sans Saddam”. Ces deux “décideurs” ont fait comprendre au président que par cette guerre les Etats-Unis “ébranleraient les régimes autoritaires arabes au Proche-Orient” et accroîtront “leur capacité à inciter les Palestiniens et les Israéliens à faire la paix”, continue Clinton. Une popularité intacte En dépit des répercussions de l'affaire Monica Lewinsky, Bill Clinton est resté très populaire auprès des Américains, comme le montrent les avis de plusieurs citoyens en quête du livre. Kathie Smythe-Newman, venue avec son conjoint de la banlieue pour acheter l'ouvrage, ne cache pas son admiration pour le président démocrate sortant. “J'adorais sa politique. Les contradictions extrêmes dans sa personnalité sont fascinantes. J'aimerai bien entendre comment il justifie cela”, dit-elle. June Joaquin, âgée de 67 ans, achète cinq exemplaires par crainte que le stock ne s'épuise et pour pouvoir en offrir aux amis et à ses petits enfants. Pour Jim Kempland, être parmi les premiers à acquérir l'œuvre c'est “pour faire un peu partie de l'histoire”. “Et je voulais le lire moi-même et non à travers les médias”, poursuit-il. Une étudiante de 22 ans, Elizabeth Sawyer, estime que acheter ce livre fait partie de la mode du temps car, précise-t-elle, “je suis sûre que beaucoup de gens en parleront”. Ses huit ans de règne n'ont pas laissé les Américains insensibles. Il jouit toujours d'un capital sympathie considérable auprès de ses concitoyens. K. A.