La corporation espère la remise en liberté du directeur du Matin. Pour l'Etat, le procès du directeur du Matin est celui d'un citoyen algérien accusé de “transfert illégal de capitaux et (d') infraction à la législation des changes”. Pour une partie des journaux – privés —, des journalistes et des Algériens, il s'agit d'une affaire purement politique orchestrée contre un homme de plume engagé, voire contre une publication hostile au président de la République et à ses soutiens. Dans les deux cas, Mohamed Benchicou, incarcéré depuis le 14 juin dernier à la prison d'El-Harrach (banlieue est d'Alger), a toutes les raisons d'attendre son procès en appel, prévu aujourd'hui à la cour d'Alger, la peur au ventre. L'apaisement prédit n'a pas eu lieu pour l'autre journaliste — par ailleurs membre de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme à Djelfa —, Hafnaoui Ghoul. Placé sous mandat de dépôt depuis le 24 mai, ce dernier a vu sa condamnation à deux mois de prison ferme, prononcée le 9 juin dernier par le tribunal de Ouled Naïl, augmentée d'un mois après son appel. Au total, pour l'ensemble de ses affaires et des chefs d'inculpation retenus contre lui, le correspondant de Djazaïr News purge une peine de six mois ferme. Les assurances du ministre de la Communication, Boudjemaâ Haïchour, n'ont pas freiné l'élan de la justice. L'intransigeance du Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia (“Vous allez devoir assumer la moindre virgule de vos articles”, avait-il précisé en conférence de presse, en marge du conseil national du RND) aura été sérieuse. Ce procès en appel a donc tout lieu de susciter l'inquiétude. Benchicou en a déjà pris pour deux ans et 20 millions de dinars d'amende. Ce n'est pas tout. Le Matin, qui devait honorer la moindre virgule de ses contrats avec les sociétés d'impression étatiques et avec les services des impôts, baisse rideau peu à peu et s'englue malheureusement dans une mélancolique entreprise de disparition forcée. Son siège social a été mis sous scellés avant d'être vendu aux enchères, son tirage est suspendu depuis le 23 juillet dernier, son collectif s'accroche tant bien que mal à l'espoir de survie, et les confrères solidaires, assistés d'une société civile presque laminée, tiennent dur comme fer à la préservation des libertés publiques et individuelles. Depuis ce fameux 23 août 2003 où Mohamed Benchicou, auteur du livre Bouteflika, une imposture algérienne, a été “pris” à l'aéroport d'Alger avec des bons de caisse, le processus est allé crescendo et l'intervention du patron des douanes, Sid Ali Lebib, signifiant officiellement l'irrégularité de la procédure de mise en accusation, restera à ce jour lettre morte. Demeure en fin de compte ce duel prolongé entre un Etat toujours décidé à faire payer les “méchants” et les défenseurs parfois maladroits de la liberté de la presse et d'expression. La justice, en voie de réforme, observe en respectant scrupuleusement son état de marche. Il faut continuer à espérer. L. B.