La présence de Jacques Vergès a permis de débattre de la notion de “crimes contre l'humanité” que la France officielle a rendus prescriptibles au nom de l'“amnistie”. Evoquer les souvenirs poignants des massacres du 8 Mai 1945 ou du 20 Août 1955, ou, d'une façon plus générale, ceux de la période coloniale, la misère, les spoliations, les humiliations, les terribles “chlak !” du funeste instrument de Guillotin dans la cour de Barberousse exécutant tel condamné à mort, évoquer tant et tant d'avanies et de douleur en présence d'une figure comme Me Jacques Vergès ne peut que tourner à la “thérapie de groupe”. C'est l'impression que nous a donnée cette plongée dans la mémoire tortueuse et torturée que nous a permise la Fondation du 8-Mai-45 en donnant rendez-vous à un certain nombre d'actrices et d'acteurs de premier plan de la guerre de Libération pour donner la réplique à celui qui fut, pour nombre d'entre eux, leur avocat. Oui. Devant ce torrent d'émotions refoulées, de cris censurés et de souvenirs amputés, Jacques Vergès, par sa stature, son aura et sa voix qui en impose, ne pouvait pas ne pas le déplacer dans la mémoire de cette salle de conférence, du rôle de juriste à celui de psychanalyste. Sorte de psy malgré lui appelé, oui, à diriger cette curieuse thérapie de groupe où chacun y allait de son histoire, avec un grand H. Exorciste tout désigné, lui qui a plaidé quelque 300 affaires du FLN dont celles de 100 condamnés à mort, le voici sommé de tendre l'oreille à telle âme en proie à une douleur séculaire pour en extirper les vieux démons de la nuit coloniale, et qui, loin d'avoir libéré le corps en 1962, n'ont fait que s'y engluer davantage. “Mon père a été le premier détenu torturé. Il a été arrêté le 2 novembre 1954. Il a été soumis à la torture trois mois durant. En 1957, il a été transféré à Barberousse [Serkadji]. Il a écrit beaucoup en prison, mais il était censuré. Il a été exécuté en 1960. Maître, je voudrais retrouver les écrits de mon père et me demande comment obtenir auprès de l'administration pénitentiaire l'œuvre censurée de mon papa.” (sic). C'est là la poignante requête d'une fille de chahid dont elle a, hélas, omis de révéler le nom tant était grande sa pudeur. L'occasion était donc la célébration du 49e anniversaire du 20 Août 1955 qui marquait l'offensive du Nord-Constantinois déclenchée par Zighoud Youcef, et le massacre qui l'a suivie (fusillade du stade de Skikda, entre autres), ainsi que du 48e anniversaire du 20 Août 1956 qui marquait l'accession de la Révolution algérienne à l'âge adulte. C'est sans doute le bâtonnier Me Amar Bentoumi, éminente figure du barreau d'Alger, présent aux côtés de son ami Vergès, qui aura su trouver les mots justes pour rendre justice à ces dates. “Le choc psychologique du 20 août 1955 a fait que les tirailleurs algériens rentrés d'Indochine, ont tout de suite rejoint le maquis. Il y a eu un afflux de volontaires considérables dans la wilaya II. L'ampleur du drame a été telle qu' il y a eu renaissance de la résistance dans l'Oranie. Ce soulèvement populaire allait permettre, pour la première fois, l'enregistrement de la question algérienne à l'ordre du jour de l'Assemblée générale de l'ONU”, dira-t-il du premier. Du second, il a des mots fermes : “Quoi qu'en disent ses détracteurs, c'est le Congrès de la Soummam qui a permis l'organisation de la Révolution sur les plans politique, juridique, administratif et militaire, et elle a duré jusqu'au 5 juillet 62.” Me Bentoumi rappellera à ceux qui ont la mémoire courte que “c'est le tandem Abane-Ben M'hidi qui est à l'origine de ce congrès. Ils sont ce que Carlo était à la Révolution française”. Le bâtonnier estime qu'il y a un seul point de la plate-forme de la Soummam qui n'a toujours pas été réalisé : la primauté du politique sur le militaire. Mme Drifa Ben M'hidi, sœur de Larbi Ben M'hidi, décline avec orgueil la légion chiraquienne dont le chef de l'Etat français a cru bon distinguer la ville d'Alger. “La France doit reconnaître ce qu'elle a fait. Elle doit reconnaître les tortures, les massacres, les tueries. Elle doit demander pardon au peuple algérien sinon, la page ne sera jamais tournée !” dira-t-elle. Interrogé au sujet des plaintes pour crimes contre l'humanité commis par Paul Aussaresses et consorts et leur chance d'être reçues par quelque tribunal compétent, Jacques Vergès s'est montré plutôt sceptique sur la question : “Ce sont des crimes qui sont aujourd'hui amnistiés”, a-t-il répondu. Mais l'amnistie, si elle blanchit, ne justifie pas l'amnésie… M. B. Le chef de l'Etat “Il faut réaliser la réconciliation” Le président Abdelaziz Bouteflika a affirmé jeudi dernier que l'Algérie, qui a payé un lourd tribut pour sa liberté, est aujourd'hui capable d'“édifier un développement économique, une relance sociale et une prospérité civilisationnelle”. Dans un message à l'occasion de la célébration à Oran du double anniversaire du 20 Août (1955 et 1956), et lu par le ministre des Moudjahidine, M. Mohammed Chérif Abbas, le président de la République a rappelé les batailles menées par le peuple algérien pour s'affirmer et rejeter toute hégémonie et le combat qu'il mène aujourd'hui “non seulement pour s'affirmer mais aussi pour développer son pays et porter haut sa voix”. Le chef de l'Etat a également appelé la jeunesse à la complémentarité et à la continuité, à l'instar des ancêtres, l'incitant à ne pas rompre la continuité et à assimiler son importance dans le cours de l'Histoire “afin de pouvoir ainsi prendre en main les destinées de son Etat moderne”. Le président a, par ailleurs, appelé à l'adaptation aux exigences de l'ère, ce qui impose “la réalisation de la réconciliation nationale en ce sens qu'elle mette fin à l'anarchie, à la discorde, à l'extrémisme, à la désobéissance, au monopole de la décision, à disposer des biens de l'Etat avec la mentalité du beylek”, sans contrôle ni surveillance, au mépris des lois de l'Etat et des symboles de la Nation. R. N. 48e Anniverssaire du congrès de la Soummam Les archs se ressourcent à Ifri C'est à partir du village Ifri, à 8 km du chef-lieu communal d'Ouzellaguène (Béjaïa), où ils ont organisé dans la nuit du jeudi à vendredi derniers, une veillée à l'occasion du 48e anniversaire de la tenue du Congrès de la Soummam, que les membres de l'Interwilayas des archs ont tenu à “réitérer l'engagement du mouvement citoyen à se réapproprier des dates historiques du peuple algérien” et à “réaffirmer sa détermination pour l'aboutissement des aspirations citoyennes”. Les animateurs des archs qui ont rendu publique, hier, une déclaration politique, estiment que “le mouvement citoyen vient se ressourcer à Ifri-Ouzellaguène, lieu hautement symbolique de la glorieuse révolution algérienne, où ses architectes, à l'image de Abane Ramdane et Larbi Ben M'hidi, ont jeté les bases et les fondements pour l'édification d'une Algérie libre et démocratique”. Pour les rédacteurs du document, “la plate-forme d'El-Kseur, née de la dynamique citoyenne du Printemps noir, est le prolongement de la plate-forme de la Soummam”. À noter que dans la matinée de la journée d'hier, les animateurs du mouvement des archs se sont recueillis à la mémoire des 1 500 martyrs de la commune d'Ouzellaguène, avant de se diriger vers le Carré des six martyrs du Printemps noir 2001, sis à l'entrée du siège de l'APC, où ils ont déposé une gerbe de fleurs. K. O.