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« Amnesty International est victime de sa culture »
Me Miloud Brahimi (Avocat, professeur de droit)
Publié dans El Watan le 14 - 05 - 2005

Maître Miloud Brahimi, professeur émérite de droit et fin connaisseur des méandres de la justice algérienne, aborde dans cet entretien la situation des droits de l'homme en Algérie, la visite d'Amnesty International, le drame des disparus, l'état d'urgence et le projet de l'amnistie générale.
Vous vous êtes publiquement félicité de la présence à Alger d'Amnesty International. Or de nombreux observateurs ont estimé que cette ONG est venue en Algérie avec des préjugés et une liste de coupables bien désignés...
Amnesty International (AI) est une organisation des droits de l'homme et elle a le droit et le devoir d'enquêter en Algérie comme partout ailleurs sur la situation des libertés. C'est un droit qu'il ne faut pas lui contester. Néanmoins, il faut s'interroger sur ce qu'a fait AI en Algérie pendant la décennie rouge. De ce point de vue, il est malheureux de constater - au-delà de toutes sortes de considérations qui vont de l'absence de la communication de l'Etat algérien aux préjugés de toutes sortes de ce qu'on a appelé à l'époque une certaine gauche française vis-à-vis de l'Algérie - que la position d'AI sur ce qui s'est passé en Algérie est totalement erronée. Cette ONG s'est permis de qualifier de « groupes armés d'opposition » des terroristes dont les crimes et les méfaits n'ont pas d'équivalent dans l'histoire de l'humanité. Imaginez ce que penserait l'opinion internationale si on qualifiait Al Qaîda de groupe armé d'opposition ! Amnesty International a mis le cap sur une critique systématique des forces de sécurité algériennes sans réaliser que ces dernières faisaient face à un mal absolu. Je crois que AI est elle-même victime de sa propre culture. Je donne comme exemple l'Argentine ou le Chili où, effectivement, on a pu faire des rapports extrêmement critiques à l'égard des généraux chiliens et argentins. Toutefois, il y a lieu de relever que, en face de l'ordre des généraux, l'opposition, armée ou non, était de nature démocratique. Elle voulait le départ des généraux pour instaurer une démocratie. Ce fut une sorte de bien contre le mal. Naturellement, on ne peut qu'applaudir la position prise à l'époque par Amnesty International. En Algérie, ce n'est pas du tout la même chose. Chez nous, la guerre qui a été déclarée à l'ordre établi - qu'on pourrait même qualifier d'ordre des généraux - visait son remplacement par une théocratie d'un autre temps. Je dirais par un régime pire, dont l'Algérie ne se serait jamais relevée. Comme je le disais, AI, victime qu'elle est de sa culture, a pointé le doigt vers les violations des droits de l'homme commises par l'Etat dans la répression des crimes contre l'humanité commis par les extrémistes intégristes sans s'arrêter sur les crimes contre l'humanité commis par ces intégristes.
Vous conviendrez avec nous qu'Amnesty International a affiché une partialité dans le choix de ses interlocuteurs. Avez-vous été entendu par cette ONG ?
Amnesty International n'a pas demandé à me voir alors qu'elle me sollicitait systématiquement auparavant. Peut-être qu'elle a besoin de voir les gens qui la confortent dans les préjugés préétablis avec lesquels elle s'est rendue en Algérie. Si AI demande à me voir, je serai sans complaisance à l'égard des violations qui ont été commises par l'Etat dans la répression des crimes contre l'humanité dont on a parlé plus haut et je serai encore moins complaisant quand il s'agit des crimes contre l'humanité commis par les intégristes. Je vous donne un exemple. J'ai lu dans le dernier rapport d'AI qu'elle avait enquêté sur le sort des femmes en Algérie. C'est une bonne initiative d'autant plus que la femme algérienne subit un certain nombre de violences qui sont naturellement inadmissibles et contre lesquelles il faut se battre. Mais j'ai constaté que la plus grande violence subie par la femme a été celle des enlèvements, des viols et des éventrations. Un crime contre l'humanité a été commis contre la femme algérienne par le GIA et les extrémistes intégristes. Cela étant, quand on lit le rapport d'AI, on a plus le sentiment qu'elle en veut à l'Etat algérien qui n'aurait pas mené des enquêtes à l'occasion de ces enlèvements. Il y a là un déséquilibre absolument inadmissible et scandaleux à la fois. Ce qu'il faut dénoncer fondamentalement, c'est surtout le sort qui a été réservé à nos femmes par l'intégrisme.
AI n'ignore pas que la situation de l'Algérie a évolué, un tant soit peu. Pourquoi, à votre avis, cette ONG persiste à vouloir faire porter le chapeau à l'Etat algérien ?
Le grand spécialiste de la guerre qu'est Clausewitz a qualifié la diplomatie de prolongement de la guerre par d'autres moyens. En ce sens, on a parfois le sentiment - et c'est extrêmement désagréable - que les droits de l'homme deviennent une espèce de prolongement de la guerre qui a été déclarée à l'Etat algérien. Maintenant qu'on commence à voir le bout du tunnel, on a l'impression que certaines organisations, peut-être inconsciemment, veulent mettre davantage en difficulté ceux grâce auxquels nous sommes encore en vie.
Amnesty International, sans connaître encore la substance du projet de l'amnistie générale, s'est prononcée contre ce projet. Que cache, selon vous, une position aussi prématurée ?
Ce n'est pas parce que AI a pris des positions critiquables à l'égard de l'Algérie que tout ce que dit cette ONG est faux. Lorsque AI avec la Fédération internationale des droits de l'homme et Human Rights Watch disent qu'il s'est produit en Algérie des crimes contre l'humanité et que ces derniers sont imprescriptibles, et par conséquent non amnistiables, ces ONG ont complètement raison. Je suis de ceux qui ont applaudi la concorde civile et, qu'on le veuille ou non, cette mesure a donné un certain nombre de résultats. Je suis de ceux qui accueillent positivement l'amnistie, mais l'amnistie à quel prix ? jusqu'à quand et jusqu'où ? Il est clair que l'Algérie ne peut pas aller à l'encontre du droit international en passant l'éponge sur tout ce qui s'est produit pendant la décennie rouge. A titre d'exemple, nous avons commémoré la semaine dernière le 60e anniversaire du massacre du 8 mai 1945 que tout le monde qualifie de crime contre l'humanité. La presse algérienne a, unanimement et à juste raison, réclamé des excuses officielles à la France. Il faut dire, à ce sujet, que la mémoire algérienne est encore vive pour ce drame qui s'est déroulé il y a 60 ans. Mais comment expliquer le fait qu'on veuille passer l'éponge sur d'autres crimes qui se sont produits il y a quelques années à peine ? Ce qui s'est passé à Bentalha et Raïs sont des crimes contre l'humanité. J'ajoute que l'assassinat des journalistes relève, de mon point de vue, non seulement du crime contre l'humanité, mais du génocide. Comment peut-on accepter de couvrir ces crimes ? La grosse difficulté, c'est que la notion de crime contre l'humanité n'existe pas dans le droit algérien. Et si on ne prend pas garde en effaçant tout, on va jeter le bébé avec l'eau du bain. Moi je dis non, et de ce point de vue-là, quand des ONG internationales disent qu'on ne peut pas aller jusqu'à amnistier des crimes contre l'humanité, elles ont entièrement raison. Reste à savoir si ces ONG donnent le même contenu que moi aux crimes contre l'humanité. Parce que, en effet, j'ai le sentiment qu'elles mettent sur un pied d'égalité les services de sécurité et les groupes terroristes. Si c'est le cas, c'est doublement condamnable. Moralement injuste d'abord et politiquement inopérant ensuite. Moralement injuste parce qu'on ne peut pas mettre sur un pied d'égalité les services de sécurité qui, avec des sacrifices énormes, ont sauvé le pays de l'hydre islamiste, et cette hydre islamiste elle-même qui a failli nous entraîner dans le néant. C'est politiquement inopérant, parce que, contrairement à ce qui s'est passé au Chili et en Argentine où le bien a triomphé du mal et les démocrates ont triomphé des généraux dictateurs, chez nous c'est l'ordre républicain qui a triomphé de l'intégrisme.
Pour réussir une amnistie générale, suffira-t-il d'introduire dans le droit algérien la notion de crime contre l'humanité ?
A mon avis, ce sera un pas en avant. Un pas gigantesque et souhaitable. D'ailleurs, on aurait dû le faire depuis longtemps. On ne l'a pas fait pour des raisons que je ne comprends pas. Et on en est aujourd'hui, encore une fois, à réclamer que soient jugés les auteurs du massacre du 8 mai 1945 et on ne se rend pas compte qu'on risque d'absoudre les auteurs des massacres de Bentalha et de Raïs. Il y a quelque chose qui ne va pas du tout.
Mais même si on introduit la notion de crime contre l'humanité dans le droit algérien, il y aura toujours l'obstacle de la non-rétroactivité de la loi pénale...
Vous avec entièrement raison. Il y a un double écueil. Celui de l'introduction du crime contre l'humanité et celui de la non-rétroactivité de la loi pénale. Mais force est de souligner que la loi pénale ne rétroagit pas - c'est un principe - sauf si le législateur en décide autrement. Nous avons, dans le droit algérien et celui des autres Etats, des lois qui rétroagissent. Il suffit que le législateur le décide. En France, on a décidé de sanctionner, 50 ans après, les crimes contre l'humanité commis pendant la Seconde Guerre mondiale. En Algérie, on peut décider de faire fonctionner le crime contre l'humanité avec un effet rétroactif. En ce sens, j'ai été surpris en lisant un article publié récemment par El Watan reprenant Me Jacques Vergès qui aurait estimé qu'on pouvait juger la France devant la Cour pénale internationale pour le massacre du 8 mai 1945. C'est totalement erroné parce que, malheureusement, la Cour pénale internationale fonctionne avec le principe de la non-rétroactivité et elle n'a aucunement le droit de traiter des crimes contre l'humanité commis avant son entrée en vigueur le 1er juillet 2002. Et vous conviendrez avec moi que la France n'aurait jamais accepté de ratifier la Convention de Rome qui porte création de la Cour pénale internationale si on avait retenu le principe de la rétroactivité de la loi pénale.
Cela veut dire qu'avant d'aller à tout projet d'amnistie, on doit assainir l'environnement juridique et législatif...
Ce serait l'idéal. Maintenant, il est tout à fait possible de baliser le terrain pour dire que les crimes contre l'humanité commis pendant la décennie rouge sont exclus du bénéfice de cette mesure.
Que pensez-vous des conclusions du rapport du mécanisme ad hoc institué par le Président aux fins de faire la lumière sur le sort des disparus ?
Je n'ai pas lu le contenu de ce rapport. Je peux simplement dire que je me retrouve en harmonie, du moins sur le point intellectuel, avec ce qu'a fait la commission présidée par Farouk Ksentini. Bien qu'il préside une instance relevant de la présidence de la République, il a fait un travail compétent et courageux. Ceux qui l'attaquent aujourd'hui ne sont pas toujours extrêmement lucides. Quand il demande à faire indemniser les familles des victimes, il a toujours précisé que cela n'enlèverait pas aux familles des disparus le droit de connaître la vérité.
Mais quand il dit que les enlèvements ont été opérés par des agents et que les institutions ne sont pas concernées, il y a un problème. Ces agents avaient des noms, des chefs...
C'est clair, mais Ksentini a précisé que, dans le cas où les familles des disparus reconnaîtraient les agents qui ont enlevé le membre de leur famille, elles sont en droit de déposer plainte. Il faut, toutefois, faire une rétrospective des événements qui ont failli jeter l'Algérie au fond de l'abîme. Les agents qui se sont rendus coupables de ce genre de crimes, il faut le dire, agissaient dans le cadre de la répression du terrorisme. Apparemment, leurs chefs et l'Etat lui-même ont du mal à aller jusqu'à les mettre en jugement.
Est-il difficile d'identifier les auteurs de ces enlèvements ?
Je sais qu'il y a des familles qui ont pu identifier les auteurs de certains enlèvements. Mais au-delà de l'identification, il y a un problème de preuves. Et il faut préciser à ce sujet que toute personne déférée devant la justice est présumée innocente. Il serait extrêmement difficile aux plaignants d'apporter la preuve de leur accusation...
Malgré les critiques formulées par les ONG internationales et la classe politique algérienne, l'Etat a maintenu l'état d'urgence. Le maintien de cette mesure d'exception est-il justifiable aujourd'hui ?
Sur le plan sécuritaire, je pense que la situation n'est pas encore définitivement stabilisée. J'estime également que le terrorisme est susceptible de faire encore des victimes. Maintenant, reste à savoir l'apport de l'état d'urgence dans le combat contre le terrorisme. Il fut un temps, c'était un apport déterminant et décisif, mais c'est de moins en moins le cas. Alors on est tenté de penser - moi je suis en train de changer d'opinion à l'égard de l'état d'urgence - que cette mesure fonctionne actuellement beaucoup plus pour freiner les libertés au sein de la société que comme facteur d'efficacité dans la lutte antiterroriste. Je constate que le mouvement associatif est freiné dans son développement, parce que le ministère de l'Intérieur refuse d'octroyer des agréments à des associations qui veulent activer au sein de la société civile. A ce sujet, je m'interroge sur les raisons qui font qu'on refuse d'accorder des agréments aux associations des familles de disparus et des familles des victimes du terrorisme. On en est à ce paradoxe. Pourquoi c'est Amnesty International qui est le porte-voix des familles des disparus en Algérie ? Ce n'est pas du tout sérieux. Il faut engager un dialogue direct avec des associations reconnues pour leur permettre de faire connaître leur point de vue.
Cela reviendra à dire que la gestion de l'après-terrorisme appelle un dialogue public...
Absolument. Il faut que toutes les composantes et les sensibilités de la société algériennes puissent donner leur avis quel qu'il soit. On peut être un bon citoyen en étant pour ce projet, on peut être tout aussi bon citoyen en étant contre le même projet. Honnêtement, je suis pour l'amnistie mais, pour que cette amnistie réussisse, il faut qu'elle ramène, au-delà de la paix du vainqueur, la paix des cœurs.


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