Les relations entre les Européens et les Américains au sein de l'Alliance atlantique ressemblent à un mariage forcé d'où est né un enfant bâtard, nommé Otan. Depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis mènent allègrement et en solo la barque de cette organisation en fonction de leurs intérêts géostratégiques et de leurs cibles potentielles. La charte de l'Alliance, qui impose pourtant un consensus dans la prise de décisions en matière de sécurité et de défense, s'avère n'être qu'une coquille vide devant la puissante hégémonie américaine et l'impuissance de l'Europe à rappeler à l'ordre son allié. C'est celle-là l'image caricaturale du fonctionnement de l'Otan qui a, certes, survécu à la guerre froide et au Pacte de Varsovie, mais n'arrive pas à reprendre sa mission originelle de prévention des conflits. Mme Laure Borgomano Loup, qui animait hier une conférence sur le dernier sommet de Prague, a clairement mis en exergue la volonté des Etats-Unis à ne pas s'encombrer des recommandations de l'Alliance dans ses actions de défense. L'oratrice le dit tout de go : “Il y'a deux mondes stratégiques à l'intérieur de l'Otan.” Comprendre : il y'a deux conceptions diamétralement opposées de la notion de sécurité des Etats membres, l'une véhiculée par l'Europe et l'autre par les Américains. À défaut donc de s'atteler à rendre les mécanismes d'intervention de l'Otan plus efficaces, l'on assiste à une confrontation de deux stratégies quasiment contradictoires. “Les Européens sont extrêmement inquiets”, révèle l'oratrice, qui travaille comme conseiller de recherche au Collège de défense de l'Otan, à propos de cette terrible emprise des USA sur cette organisation “peuplée” à 90% par des pays européens. Mme Borgomano explique le glissement des décisions consensuelles que l'Otan est censé prendre, comme le lui recommande sa charte, vers des actions unilatérales que les Etats-Unis engagent où qu'ils veulent et quand ils veulent. C'est là assurément le problème numéro un de cette organisation qui vit depuis la chute du mur de Berlin en pleine tension. Une tension exacerbée par les attentats du 11 septembre qui ont fait des Etats-Unis un véritable gendarme du monde, qui ne tient compte ni du droit international, ni de l'Otan, encore moins des Nations unies. La conférencière parle d'une nouvelle stratégie américaine contre le terrorisme qui fait pratiquement table rase des recommandations de l'Alliance atlantique, via une vision “mondialisante et globalisante” du phénomène. En d'autres termes, l'Administration de George Bush désigne ses cibles et lance ses missiles et ses bombardiers sans même consulter ses partenaires au sein de l'Otan. Le triptyque “terrorisme, tyrannie, technologie” fait office de religion dans la nouvelle stratégie américaine. Vision qui ne cadre pas, d'après Mme Borgomano, avec les principes de l'Otan ni avec ceux des Nations unies dans la mesure où les Européens, eux, privilégient l'action de prévention pour éviter les dérives guerrières, comme cela a été le cas en Afghanistan et lors de la guerre du Golfe. Pour les Européens de l'Otan, il est vital de recentrer leur organisation sur sa vocation défensive au lieu de l'entraîner dans un élan offensif. Mais, pour l'heure, il est clair que l'Otan ne sert presque à rien face à l'impuissance de l'Europe à dompter les tentations belliqueuses des Etats-Unis. Mme Borgomano concède d'ailleurs que les Américains “vont attaquer l'Irak sans l'Otan et sans l'ONU”. Question : que font les Européens au sein de l'Alliance ? H. M.